La responsabilité élargie du producteur (REP) est l’obligation pour les producteurs – c’est-à-dire les fabricants, importateurs et certains distributeurs – de produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB) de contribuer ou de pourvoir à la collecte des déchets issus des produits qu’ils mettent sur le marché. Créée par la loi Agec en 2020, la REP PMCB est particulière par rapport aux REP historiques (emballages, éléments électriques et électroniques, éléments d’ameublement…) en ce qu’elle poursuit précisément deux objectifs (art. L. 541-10-1 du Code de l’environnement) : nettoyer et réduire les dépôts sauvages des déchets du bâtiment et améliorer les taux de recyclage de ces déchets, notamment s’agissant des éléments du second œuvre, en déployant un maillage territorial de points de reprise gratuite ou encore la reprise quasi gratuite des déchets sur chantier (à partir de 50 m3).
Pour atteindre ces objectifs, les producteurs versent une éco-contribution à l’un des éco-organismes agréés (Valobat, Ecominéro, Valdelia et Ecomaison), et leur transfèrent ainsi le soin notamment de pourvoir à la reprise des déchets et d’organiser leur traitement.
Mise en œuvre progressive. L’autre spécificité de la REP PMCB réside dans la progressivité de sa mise en œuvre. En effet, au vu de l’inflation du prix des matériaux et de l’ampleur de l’objectif de maillage territorial (un point de reprise mis en service tous les 10 à 20 km selon les zones), le dispositif opérationnel se déploie par paliers. Ainsi, seulement 50 % des points de reprise devront être aménagés d’ici à décembre 2024 ; la reprise sur chantier ne démarrera quant à elle qu’en 2024, et avec une prise en charge partielle des coûts dans un premier temps ; la prise en charge des dépôts sauvages pourra être différée jusqu’en 2025 ; etc. Le barème des éco-contributions va augmenter progressivement durant les quatre prochaines années pour supporter ces charges croissantes.
Pour les maîtres d’ouvrage publics, l’impact est double. D’un côté, ils devraient bénéficier d’une baisse des coûts de la gestion des déchets de leur chantier grâce à la reprise gratuite. Mais de l’autre, ils vont subir l’augmentation du prix des matériaux liés à l’éco-contribution. Décryptage de cet impact sur le prix des marchés de travaux, et proposition de premières solutions pour les marchés en cours et à venir.
Impact sur le coût de gestion des déchets de chantier
Avec le déploiement de la REP, les coûts de gestion des déchets sont amenés à diminuer progressivement pour les entreprises de travaux. Cette baisse des coûts peut-elle induire une réduction du prix pour le maître d’ouvrage dans le cadre des marchés déjà attribués et des futurs marchés ?
Absence d’impact pour les marchés en cours, sauf exception. Dans la plupart des cas, le maître d’ouvrage ne pourra bénéficier de la diminution du coût de gestion de ses déchets de chantier, notamment s’il souhaite l’imposer unilatéralement à son cocontractant.
En effet, en principe, les prix sont fermes « sauf dans les cas où la réglementation prévoit des prix révisables ou si les documents particuliers du marché prévoient de tels prix et qu’ils comportent une formule de révision des prix » (art. 9.4.1 du CCAG travaux). A défaut de clause de révision permettant de prendre en compte l’entrée en vigueur de la REP, le prix du marché ne pourra donc pas être révisé automatiquement par le maître d’ouvrage.
Plus précisément, lorsque le marché est conclu à prix forfaitaire, il n’est pas possible de se fonder sur un écart entre les prestations commandées et les prestations réalisées pour baisser le prix (art. 10.3.1 du CCAG travaux). L’acheteur ne peut donc pas arguer d’une diminution des prestations de gestion des déchets pour décider de payer moins.
Dans le cadre d’un marché à prix unitaires, le montant du marché s’obtient en multipliant ces prix par les quantités réellement exécutées. L’acheteur peut ainsi, en théorie, diminuer le montant du marché s’il estime qu’une prestation n’a pas été exécutée. Mais la maîtrise d’ouvrage doit pouvoir isoler les prestations relatives à la gestion des déchets pour connaître le montant de la diminution envisagée. Cela implique donc que les pièces financières du marché distinguent les prestations de collecte/transport et de traitement des déchets.
Or, la majorité des offres ne font pas apparaître distinctement ces coûts dans leurs pièces financières (ils sont supposés être intégrés dans le prix – art. 9.1.1 du CCAG travaux), et encore moins la subdivision coûts de collecte/transport et coûts de traitement des déchets. De plus, la REP bénéficie uniquement à certains flux de déchets et de manière différenciée selon les types de déchets (exemple : reprise 100 % gratuite pour les déchets de verre triés mais prise en charge de 50 % des coûts de traitement des déchets minéraux par l’éco-organisme jusqu’en décembre 2023). Afin de pouvoir évaluer la diminution réelle des coûts, il serait alors nécessaire que soient distingués, a minima, les coûts de traitement des déchets inertes, non dangereux et dangereux.
Bien que cela ait peu de chances d’aboutir, on rappellera enfin que le maître d’ouvrage peut toujours négocier la diminution du montant du marché avec l’entreprise de travaux qui bénéficie du déploiement de la REP, et formaliser cette modification par la conclusion d’un avenant prévoyant la seule réduction du prix, hypothèse dont le Conseil d’Etat a récemment rappelé la validité (avis du 15 septembre 2022, n° 405540).
Les bonnes pratiques pour la rédaction des nouveaux marchés. L’enjeu pour la maîtrise d’ouvrage à l’avenir est d’abord de pouvoir distinguer les prestations qui sont impactées par la REP et qui sont susceptibles d’entraîner une baisse des coûts pour le titulaire. Les pièces financières doivent isoler, comme vu précédemment, les coûts de collecte et de transport des déchets de chantier, leurs coûts de traitement, et ce a minima pour les déchets inertes, non dangereux et dangereux (sachant qu’une approche plus fine par flux est envisageable).
Le contrat devra ensuite prévoir la manière dont sera prise en compte la REP. Par exemple, pour les déchets non dangereux repris gratuitement, il précisera que la prestation de traitement ne donnera pas lieu à facturation lorsque l’entreprise a recours à un point de reprise de la REP.
Afin de rendre ces stipulations parfaitement claires pour les candidats, il est opportun de rappeler le calendrier de déploiement de la REP PMCB prévu par le cahier des charges des éco-organismes de la filière avec la prise en charge progressive des différents coûts de transport et de traitement des déchets (arrêté du 10 juin 2022 portant cahier des charges des éco-organismes - NOR : TREP2129879A).
Il peut être également opportun d’inviter les soumissionnaires à préciser dans leur offre les conditions dans lesquelles ils proposent d’exécuter leurs prestations de gestion des déchets en lien avec le déploiement de la REP, et/ou d’instaurer un critère permettant à la maîtrise d’ouvrage de juger du meilleur rapport coût/efficacité/performance environnementale en matière de gestion des déchets.
Il est enfin nécessaire d’imposer dans tous les cas, conjointement à l’obligation de traçabilité traditionnelle (bordereau de suivi, accusé de réception délivré par les installations de traitement, registre de suivi des déchets…), la transmission des justificatifs mentionnant le montant effectivement acquitté par le titulaire au titre de la remise des déchets à un collecteur ou à un opérateur de traitement. Ces informations permettront notamment de mettre en œuvre une réfaction du prix, prévue contractuellement, en fonction de la diminution des coûts dont bénéficie réellement l’entreprise.
Impact sur le prix des matériaux
Les solutions pour limiter l’impact de l’entrée en vigueur de l’éco-contribution dans les marchés de travaux en cours et à venir sont liées directement aux spécificités de celle-ci dans la REP PMCB.
Les spécificités de l’éco-contribution REP PMCB. Pour certaines filières comme les éléments d’ameublement, le législateur a prévu une obligation d’éco-participation ou « écocontribution visible » (« visible fee »). Ce dispositif impose à tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement jusqu’au client final d’afficher dans la facture en sus du prix le montant de l’éco-contribution, et d’exclure toute réfaction sur ce montant. L’intérêt pour l’acheteur est double : sensibilisation environnementale et transparence sur la part d’éco-contribution dans le prix.
La jurisprudence et la doctrine administratives sont désormais claires : en présence d’une éco-participation, c’est l’acheteur public qui doit supporter la modification de l’éco-contribution en cours d’exécution d’un marché (CAA de Paris, 23 janvier 2014, n° 12PA02969). A défaut d’éco-participation, l’éco-contribution fait partie des coûts de revient d’une entreprise et ne peut être répercutée à l’acheteur public dans le cadre des marchés en cours (Guide pratique « Le prix dans les marchés publics », avril 2013, DAJ).
S’agissant de la filière PMCB, la situation est inédite, puisqu’il n’y a pas d’obligation d’éco-participation prévue par la loi, mais le Code de l’environnement prévoit une « visible fee » partielle et facultative. Selon l’article R. 543-290-3 du code en effet, l’éco-organisme peut imposer dans son contrat d’adhésion avec les metteurs sur le marché que le producteur « précise dans ses conditions générales de vente que la part du coût unitaire qu’il supporte pour la gestion des déchets est répercutée à l’acheteur sans possibilité de réfaction ».
En pratique, les contrats d’adhésion de Valobat et de Valdelia, par exemple, imposent l’affichage de l’éco-contribution dans les factures émises par leurs adhérents, tandis que l’éco-organisme Ecomaison « recommande » seulement aux adhérents d’indiquer le montant de l’éco-contribution en pied de facture. En toute hypothèse, l’obligation d’affichage fixée par l’éco-organisme ne pèse que sur les producteurs (fabricants, importateurs, etc.), et aucune obligation ne pèse sur les acquéreurs ultérieurs (notamment les distributeurs), qui peuvent choisir ou non de rendre visible le montant de l’éco-contribution.
Les solutions pour les marchés en cours. Contrairement aux éco-participations (ou « visible fee »), l’éco-contribution spécifique PMCB n’a donc pas vocation à être répercutée sur l’acheteur. L’entreprise ne possède ainsi aucun moyen de contraindre le maître d’ouvrage à payer le surcoût qu’elle estime subir. Une clause contractuelle permettrait de faire exception à cette règle mais il est très peu probable que les marchés actuels aient prévu ce cas de figure lors de leur rédaction.
Il reste possible pour l’acheteur de prendre en charge le surcoût, s’il le souhaite, par la conclusion d’un avenant. Comme cela a été rappelé, le principe d’une augmentation « sèche » du prix est possible. Il est néanmoins recommandé à la maîtrise d’ouvrage, si elle souhaite y procéder, de s’assurer de la réalité de cette augmentation et de demander tous les éléments justificatifs que l’entreprise peut transmettre.
Dans cette hypothèse, il est renvoyé aux modalités classiques de modification des contrats, telles que rappelées notamment dans l’avis du Conseil d’Etat précité. Il convient cependant de préciser que cette modification ne présentera aucun caractère imprévisible, les acteurs du bâtiment étant informés de l’entrée en vigueur de la REP depuis 2020 et les trajectoires des barèmes d’éco-contributions étant disponibles pour 2023/2024.
Les bonnes pratiques pour la rédaction des nouveaux marchés. Bien que l’acheteur n’ait aucune obligation de prendre en charge une hausse des éco-contributions, il peut tout de même prévoir dès la rédaction de ses marchés le sort réservé à leur augmentation. Concrètement, deux options s’offrent à lui.
Premièrement, il peut décider d’exclure totalement cette possibilité en précisant que cette contribution est un coût de revient et, donc, que toute évolution sera entièrement à la charge du titulaire.
Deuxièmement, il peut décider de prendre en charge l’augmentation des éco-contributions, mais cette option est selon nous nettement plus délicate à contractualiser, voire, en l’état, impossible. En effet, dans la plupart des cas, les entreprises de travaux seront dans l’incapacité de connaître, d’évaluer et de démontrer cette augmentation du montant des éco-contributions qu’elles ont subie (puisque leur fournisseur n’aura, la plupart du temps, aucune obligation de la faire apparaître), tant au stade du dépôt de l’offre qu’au cours de l’exécution du marché.
Il reste néanmoins possible d’inclure une clause de réexamen prévoyant qu’en cas d’augmentation significative des éco-contributions, les parties se mettront d’accord par voie d’avenant sur le surcoût à intégrer au montant du marché – une étude des barèmes des éco-organismes et des factures produites par les entreprises sera nécessaire dans le cadre des négociations. Si cette clause a une valeur juridique plutôt faible, étant donné que cette possibilité est en toute hypothèse offerte par le Code de la commande publique, elle présentera au moins l’avantage de rassurer les entreprises.