Commande publique : comment le contrôle des subventions étrangères va affecter la passation des contrats

Le dispositif instauré par un règlement européen entrera en vigueur à partir du 12 juillet 2023.

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Jusqu'à l'adoption du relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur, aucun instrument de l'Union européenne ne traitait des distorsions de concurrence causées par les subventions issues de pays tiers, le régime du contrôle des aides d'Etat n'étant pas opérant face à ce type de situation.

Le mécanisme institué est inédit et concerne à la fois les opérations de concentration et la commande publique, afin en particulier d'éviter que des entreprises de l'Union soient défavorisées par rapport à des entreprises subventionnées. S'agissant de la commande publique - à laquelle seront consacrés les développements qui suivent -, l'originalité du dispositif est qu'il vient directement s'insérer dans les procédures de passation des marchés publics et des concessions. Les procédures de notification et de contrôle qui sont instituées ont un impact direct sur le déroulement des opérations d'achat.

Un champ d'application large

Le contrôle des subventions étrangères s'applique à tous les marchés publics, accords-cadres, marchés de partenariat et concessions dont la valeur est supérieure ou égale à 250 millions d'euros. En cas d'allotissement, le régime s'applique - lorsque la valeur du contrat précitée est dépassée - à tout lot auquel soumissionne un opérateur économique lorsque la valeur cumulée des lots auxquels il soumissionne dépasse 125 millions d'euros. Seuls les marchés publics importants seront concernés mais, pour les contrats de longue durée tels les marchés de partenariat ou les concessions, le seuil peut être atteint assez aisément, y compris pour des contrats de taille moyenne puisque la valeur prise en compte est la somme des rémunérations du titulaire sur la durée du contrat.

Tous les opérateurs économiques sont concernés : l'article 29 du règlement vise tant les opérateurs économiques et les groupements soumissionnaires que leurs principaux sous-traitants ou fournisseurs participant à l'exécution d'éléments clés ou bénéficiant d'une part économique supérieure à 20 % de la valeur du contrat.

Outre le pouvoir de contrôle d'office dont bénéficie la Commission, l'article 28 du règlement fixe les seuils au-delà desquels les soumissionnaires sont astreints à une obligation de notification permettant le déclenchement d'un examen par la Commission. L'obligation de notification concerne les subventions étrangères bénéficiant à un opérateur économique lorsque lui-même, ses filiales dépourvues d'autonomie commerciale ou ses principaux prestataires ont perçu, au cours des trois années précédant la candidature, une contribution financière d'un pays tiers supérieure ou égale à 4 millions d'euros. Le soumissionnaire principal n'est toutefois pas responsable de la véracité des données communiquées par ses partenaires. La notion de contribution financière est largement entendue puisqu'elle concerne à la fois les subventions publiques, mais également les garanties d'emprunt, de passif, les abandons de recettes ou les mesures fiscales incitatives, cette liste n'étant pas exhaustive.

Exclusions. Sont toutefois exclus les marchés passés dans les domaines de la défense et de la sécurité. De même, comme l'indique l'article 4 du règlement, une subvention étrangère peut être considérée comme ne faussant pas le marché intérieur lorsqu'elle vise à remédier aux dommages causés par une catastrophe naturelle ou par d'autres événements exceptionnels. Cette disposition pourrait être interprétée comme s'appliquant aux mesures de soutien prises pendant la pandémie de Covid-19.

Des incidences importantes sur les étapes des procédures de passation

Dès le dépôt des candidatures, et cela est mentionné dans l'avis d'appel à candidatures, les soumissionnaires devront joindre à leur dossier la notification prévue par le règlement - si le seuil de 4 millions d'euros de subventions étrangères est atteint - ou une déclaration énumérant les contributions financières reçues. L'acheteur est tenu de s'assurer du caractère complet de la notification ou de la déclaration et pourra, à défaut, déclarer la candidature ou l'offre irrégulière. La notification ou la déclaration est ensuite transmise par l'acheteur public à la Commission.

Parallèlement à la procédure d'attribution du contrat, la Commission va instruire la notification transmise et examiner si la subvention étrangère notifiée est susceptible de fausser le marché intérieur. Cela débute par un examen préliminaire d'une durée de vingt jours ouvrables. A l'issue de ce délai, la Commission peut, soit clore l'examen, soit décider de l'ouverture d'une enquête approfondie et en avise alors l'acheteur public. L'enquête approfondie ne peut, en principe, excéder cent dix jours à compter de la réception de la notification. En cas de procédure par étapes (candidature puis offre) ou s'il y a plusieurs offres, les délais s'agencent un peu différemment. Pendant ce temps, la procédure de passation du contrat se poursuit mais l'acheteur public ne peut l'attribuer.

Le soumissionnaire concerné peut faire l'objet de demandes de renseignements, voire d'inspections de la Commission, sous réserve de l'absence d'objection du pays tiers ainsi informé. Dans le cadre de la procédure d'enquête approfondie, des mesures de remédiation peuvent être proposées à la Commission. Ces mesures sont similaires à celles prévues en matière de contrôle des concentrations. Elles ne doivent pas conduire à modifier l'offre remise à l'acheteur.

Trois issues. Au terme de la procédure d'enquête approfondie, la Commission peut soit décider que la subvention étrangère ne soulève pas de difficultés, soit accepter les mesures de remédiation et considérer la subvention comme compatible, soit interdire purement et simplement l'attribution du contrat public au bénéficiaire de la subvention.

Indépendamment de ces procédures, la Commission peut, de sa propre initiative ou sur alerte notamment d'un concurrent évincé, procéder à un examen d'office dont l'issue peut conduire à des mesures réparatrices imposées à l'attributaire d'un contrat public, sans pour autant remettre en cause ce contrat lui-même.

Se préparer et sécuriser les projets

Le règlement s'applique aux procédures lancées à compter du 12 juillet, et l'obligation de notification ou de déclaration entre en vigueur le 12 octobre 2023. Il convient dès à présent d'anticiper ces nouvelles formalités. Cela suppose d'établir une cartographie des subventions étrangères de pays tiers bénéficiant à l'entreprise et ses filiales ; et, lors de la constitution de groupements d'entreprises ou de la sélection de fournisseurs ou de sous-traitants, notamment étrangers, d'identifier les risques liés à de potentielles subventions étrangères.

Cependant, de nombreuses questions restent ouvertes. Le champ d'application du texte étant très large, la pratique décisionnelle de la Commission sera très utile pour cerner la portée des obligations de notification et de déclaration. Celle-ci doit publier des lignes directrices avant le 12 janvier 2026.

A l'instar des aides d'Etat, une procédure de prénotification est prévue mais il est difficile d'imaginer comment elle va s'articuler avec une phase de soumission d'un dossier de candidature à un contrat public. En cas de difficulté en cours de procédure avec un partenaire ou le membre d'un groupement, pourrait se poser la question de l'évolutivité des candidatures ou des groupements, ce qui est déjà parfois autorisé et encadré dans certaines procédures (concessions ou marchés de partenariat). Enfin, la question de savoir comment le juge administratif va se saisir de ces nouvelles procédures dans le cadre du contentieux de l'attribution des contrats publics est également un élément clé qui sera tranché par la jurisprudence.

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