Quels sont les engagements de l'industrie cimentière en matière de réduction de l'empreinte carbone ?
Fin 2022, l'industrie française émettait 80 millions de tonnes de CO2 par an, dont la moitié provenait de 50 sites. Parmi eux figuraient 20 cimenteries. Lors d'une réunion à l'Elysée organisée à cette époque, le président de la République a demandé à chaque filière d'établir une feuille de route en promettant des aides à la décarbonation, évaluées à l'époque à 5 Mds €. De plus, si nous parvenions à présenter une stratégie permettant de réduire de moitié les émissions carbone de ces 50 sites, l'aide atteindrait 10 Mds € au total. Chez France Ciment, nous avons alors présenté une feuille de route répondant à cette volonté, assortie de l'ambition d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.
Presque trois ans après, où en êtes-vous dans la poursuite de vos objectifs ?
Nos émissions ont reculé de 11 % entre 2019 et 2023, avec une accélération la dernière année. Nous allons plus vite que ce que nous avions programmé avec une réduction de 2,7 % par an, au lieu de 1,9 %. Pour décarboner le ciment, nous disposons de deux leviers : d'une part, en remplaçant des combustibles fossiles par des déchets et en diminuant la teneur en clinker des ciments ; et, d'autre part, en agissant sur le processus industriel et chimique global. Nous avons moins avancé sur ce levier, qui s'intéresse à la séquestration et à la réutilisation du carbone.
Comment expliquez-vous le retard accusé sur ce deuxième levier ?
D'abord, il existe des difficultés liées aux financements d'amorçage et autres subventions qui doivent permettre aux industriels d'entrer de plain-pied dans le processus de décarbonation. Il faut également de la visibilité, car ce sont des projets coûteux pour lesquels nous nous engageons sur des dizaines d'années. Ensuite, l'électricité doit être abordable pour pouvoir lancer les nouveaux processus dans une industrie cimentière électro-intensive. Enfin, il est fondamental d'obtenir un alignement technique et réglementaire d'un bout à l'autre de la chaîne.
Quelles sont vos attentes quant aux financements ?
Nous avons évalué à 3,8 Mds € le coût de la décarbonation de l'ensemble des cimenteries françaises, soit entre 200 M€ et 400 M€ par usine. En sachant que 2034 sonnera le glas des quotas gratuits pour le carbone, nous avons calculé que, d'ici 2050, les cimentiers vont acheter pour 9 Mds € de quotas carbone. Ce que l'on demande à l'Etat, c'est de réinvestir une partie de ces 9 Mds € dans la décarbonation de l'industrie, ce qui pourra conduire à l'émergence d'une véritable filière de la décarbonation. Si la France ne le fait pas, d'autres pays lui grilleront la politesse et la rendront dépendante de technologies étrangères.
Etes-vous favorable à la mise en place du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) ?
Le MACF devrait permettre de supprimer un désavantage compétitif des industriels européens face aux extra-européens, et donc signifier la fin d'un abus.
Je m'explique : sans la mise en place de ce mécanisme [qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2026, NDLR], les producteurs européens de clinker sont obligés d'acheter des quotas carbone ; en revanche, si j'importe ce même clinker de pays extra-européens, je ne paye pas de quotas.
Il existe donc aujourd'hui une distorsion de concurrence, qui altère considérablement notre compétitivité.
Cependant, nous n'avons toujours pas de garanties sur un certain nombre de points, notamment concernant le calcul des émissions de CO2. Les pays qui exportent vers l'Union européenne devraient, selon nous, recourir à des méthodes d'évaluation carbone au moins aussi robustes que les nôtres et, de plus, approuvées par l'UE. Pour cela, il faudrait une entité indépendante capable de valider les émissions liées à la production du clinker selon des critères similaires à ceux ayant cours ici.
Quels sont les débouchés des bétons issus de la déconstruction d'ouvrages et de bâtiments ?
Il en existe plusieurs. Ils sont majoritairement récupérés, puis traités dans des installations dédiées afin d'être ensuite valorisés en granulats, en remblaiement ou en applications routières. Par ailleurs, les fines peuvent servir de constituant pour les ciments. C'est un matériau recyclable à l'infini. Aujourd'hui, 70 % des bétons de déconstruction sont déjà recyclés.
« Nous avons évalué à 3,8 Mds € le coût de la décarbonation de l'ensemble des cimenteries françaises. »
Qu'en est-il des 30 % restants ?
Nous pouvons les utiliser comme substitut aux combustibles fossiles, essentiellement le charbon, le pétrole et, dans une moindre mesure, le gaz. Les déchets énergétiques non recyclables, dont fait partie le béton, représentent aujourd'hui un peu plus de 50 % de la consommation thermique des usines. L'idée est de faire grimper ce taux de substitution des combustibles fossiles à 80 % en 2030. De plus, le process cimentier valorise des déchets non énergétiques comme matières premières (fines de béton, terres polluées…).
Cela représente plus de 800 000 t de ressources naturelles préservées.
Quel regard portez-vous sur la REP PMCB, qui vient de faire l'objet d'un moratoire ?
France Ciment a plaidé en ce sens et pour sa refonte, tout en soutenant le dispositif, qui a été un succès incontestable pour la catégorie des matériaux inertes. Nous avons pu déployer un grand nombre de plateformes de recyclage et étendre leur maillage territorial afin de lutter contre le fléau des dépôts sauvages. Il subsistait néanmoins quelques écueils qui rendaient cette REP perfectible. A commencer par l'inflation des coûts dans cette filière, qui deviendra insoutenable avec le temps. De plus, l'efficacité économique et environnementale du dispositif n'a pas été atteinte et des ajustements restent indispensables. Je pense ici à la fin du dogme du tout-gratuit. Enfin, il faudra revoir nos objectifs sur la boucle fermée, en favorisant le recyclage du béton dans le béton, au lieu de le réintégrer majoritairement en sous-couches routières. Il faut davantage valoriser le produit.
Comment défendre le béton à une époque où les matériaux biosourcés sont valorisés ?
Nous ne critiquons pas la promotion des produits biosourcés, loin de là. En revanche, nous sommes contre l'avantage indu, non-scientifique et totalement arbitraire, dont ils bénéficient. La RE 2020 a poussé la construction bois avec le stockage du CO dans des ouvrages à longue durée de vie. Or, nous nous apercevons que la forêt française n'est pas en mesure de répondre aux besoins théoriques de bois de construction, rendant son import massif indispensable pour répondre à la demande. De plus, le bois est également émetteur de carbone. Différé certes, puisqu'il le stocke avant de le relâcher plus tard. Mais réel. Le ciment, quant à lui, relâche le carbone en début de vie, ce qui crée cette confusion qui voudrait qu'il soit foncièrement plus polluant. C'est ce narratif que l'on critique. La décarbonation ne viendra pas que du bois, même si ce dernier peut y contribuer. Notre mantra est et restera : le bon béton au bon endroit.