Baisse des émissions de CO2 : le bâtiment cale et les transports peinent à accélérer

Le Haut conseil pour le climat vient de rendre son 7e rapport. L'analyse des politiques publiques montre un recul général.

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Les secteurs du bâtiment et des transports ralentissent le rythme en matière de baisse des émissions de CO2.

« Relancer l’action climatique face à l’aggravation des impacts et à l’affaiblissement du pilotage ». Le titre du septième rapport du Haut conseil pour le climat (HCC), organisme chargé d’évaluer les politiques publiques, est sans équivoque. Le bilan est globalement très préoccupant, même si dans les détails du rapport, on trouve parfois matière à espérer.

D’abord avec la première ligne du résumé exécutif : « Les Français affichent une forte inquiétude vis-à-vis du changement climatique, dont les impacts s’aggravent ». Le HCC se base sur l’enquête de Statista (février 2025) qui indique que 83 % des Français sont préoccupés par le sujet. Ce qui fait dire à Sophie Dubuisson-Quellier, directrice de recherche au CNRS et membre du HCC, que « la démobilisation est moins dans l’opinion que dans la classe politique ».

2024, année parmi les plus chaudes et les plus pluvieuses

De fait, les citoyens ont raison d’être préoccupés. En métropole, le réchauffement observé atteint 2,2 °C pour la période 2015-2024. L’an dernier aura été l’une des années parmi les cinq plus chaudes et figure parmi les 10 années les plus pluvieuses jamais enregistrées en France. L’excédent de précipitation est de 15 % et le déficit d’ensoleillement de 10 %. Une situation qui résulte des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ces dernières ont augmenté de 1,9 % en 2023 par rapport à 2022.

Des chiffres qui amènent Jean-François Soussana, président du HCC à rappeler que les Etats-Unis sont à la fois le premier producteur de pétrole et de gaz, mais aussi le premier fournisseur de la France. « Ils mènent depuis le début d’année une action de déni du changement climatique et d’obstruction des politiques climatiques ». Pour autant, depuis 2015 et la signature de l’Accord de Paris, 60 pays ont réduit leurs émissions de gaz à effet de serre et 147 pays les ont réduits par unité de PIB. « Ce point est loin d’être anecdotique » souligne Marion Guillou, ancienne présidente de l’INRA et membre du HCC. Elle reprend, « cela signifie que ces pays sont parvenus à émettre moins de CO2 tout en produisant de la richesse ».

Autre point encourageant, en 2024, 107 pays qui représentent 82 % des émissions de CO2 ont pris des engagements pour la neutralité carbone. Et surtout, pour la première fois, les émissions de la Chine (31 % du total mondial) ont baissé au cours des douze derniers mois.

Reculs inquiétants sur MaPrimeRenov', les ZFE et le ZAN

Il est donc vital de poursuivre les efforts, mais le bâtiment, qui représente 15 % des émissions françaises (57,1 Mt eqCO2 en 2024), a ralenti fortement son rythme de réduction. Le secteur qui faisait figure de bon élève en 2022 avec une baisse de 10,7 % des émissions, affiche maintenant une légère hausse dû en partie au chauffage et à l’ECS, mais surtout au froid (+ 2 %). « Pour atteindre les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC 3), la baisse des émissions devra être neuf fois plus forte que celle (relative) observée entre 2023 et 2024 », pointe Jean-François Soussana.

Ces mauvais résultats s’expliquent par la faiblesse structurelle des politiques en place, pour les membres du HCC. Ainsi la consommation énergétique des bâtiments a augmenté de 1 % en 2024 par rapport à l’année précédente. Le relâchement des efforts de sobriété, en raison du moindre portage politique et d’un signal prix défavorable aux économies d’énergie peuvent expliquer cette hausse. En revanche, la progression significative des rénovations d’ampleur (+ 25 % entre 2020 et 2024) pourrait avoir contribué à la baisse des émissions constatées.

Si les auteurs veulent rester positifs, leur constat sur le secteur du bâtiment est sans appel : Un portage politique fort et des dispositifs stables sont nécessaires. De nouveaux leviers sont à activer pour engager des évolutions structurelles à hauteur des enjeux de décarbonation. Pour autant, ils constatent des « reculs inquiétants » sur les dispositifs existants, en particulier l’arrêt temporaire des rénovations d’ampleur avec MaPrimeRenov’, mais aussi sur les Zones à faibles émissions (ZFE) pourtant favorables à la santé ou le Zéro artificialisation nette (ZAN) favorable à la biodiversité.

La RE 2020 et le décret tertiaire restent insuffisants

Aucun objectif fixé pour le secteur du bâtiment depuis le Grenelle de l’environnement il y a 15 ans n’a jamais été atteint qualitativement, indique le rapport. Même aujourd’hui, le décret tertiaire et la RE 2020 ne permettent pas de projeter une neutralité carbone du parc en 2050. Le HCC préconise donc de soutenir les rénovations d’ampleur et insiste sur « l’importance d’un financement stable et pérenne associé à une nécessaire visibilité des dispositifs, conditions de leur efficacité. »

Transport : des efforts à multiplier par quatre

Le bilan n’est guère plus brillant pour les transports (34 % des émissions en 2024) et la mobilité en général. Les émissions représentent 124,9 Mt eq CO2 en 2024 et elles n’ont baissé que de 1,2 % entre 2023 et 2024, contre une baisse de 4,4 % entre 2022 et 2023. Elles se composent principalement des véhicules particuliers (53,2 %), des poids lourds (21,7%), des véhicules utilitaires légers (15,4 %), de l’aérien domestique (3,4 %) et des bus et cars (2,5 %). Pour atteindre l’objectif 2030 de la SNBC 3, la baisse devra être en moyenne quatre fois plus forte que celle observée entre 2023 et 2024.

Pour expliquer ces mauvais résultats, le HCC note que l’électrification des véhicules neufs stagne et fait l’hypothèse d’une augmentation des km parcourus dans un contexte de baisse des prix des carburants d’environ 5 % par rapport à 2023.

Retards dans la Stratégie de développement des mobilités propres

Le HCC constate tout de même quelques avancées, comme un cadre fiscal et réglementaire qui favorise le verdissement des flottes d’entreprises, l’augmentation de la taxe sur les billets d’avion qui réduit légèrement les avantages fiscaux de l’aérien et l’électrification du transport routier. « Toutefois les remaniements ministériels, le retard d’adoption de la SNBC et de la stratégie de développement des mobilités propres (SDMP) et les coupes budgétaires annoncées pour 2025 ont retardé la décarbonation du secteur. Plusieurs instruments de politiques publiques ont été mis en place – leasing social, Services express régionaux métropolitains (SERM) – sans avoir atteint leur potentiel. »

Limiter les nouvelles infrastructures routières

Le rapport rappelle également : « Alors que jusqu’à présent la périurbanisation a participé à allonger les distances et favoriser les déplacements automobiles, limiter les nouvelles infrastructures routières et les extensions urbaines est nécessaire pour réduire les dépenses et ne plus continuer à favoriser les modes routiers aux dépens de transports peu carbonés. » De même, les enjeux de précarité liés à la mobilité doivent être traités en améliorant l’accès à la mobilité décarbonée.

Jean-François Soussana résume : « sur le cadre de l’action publique en matière de développement de la mobilité propre, la stratégie manque de cohérence et d’investissement dans le ferroviaire, les transports en commun et les mobilités actives, ce qui limite le report modal ».

L’adaptation, angle mort des politiques publiques

Ces reculs sont d'autant plus préoccupants que l'adaptation au changement climatique reste un angle mort des politiques publiques. Pire, « la société se polarise de plus en plus sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et les enjeux climatiques sont instrumentalisés dans le débat démocratique, constate Sophie Dubuisson-Quellier. Or, il s’agit d’une mauvaise grille de lecture. Les impacts concerneront toute la population, il faut donc protéger l’ensemble des personnes et des activités ». Le rapport donne d’ailleurs une première estimation chiffrée des coûts de la non-adaptation : chaque degré de réchauffement réduirait le PIB mondial de 12 % environ.

En France, une trajectoire à + 4 °C doit absolument être évitée car elle signifierait une multiplication par trois du nombre de jours de vague de chaleur en 2030 (+ 2°C en métropole), une multiplication par cinq en 2050 (+ 2,7 °C) et par dix à l’horizon 2100.

74 recommandations

Le Haut conseil pour le climat dresse donc une liste de 74 recommandations qui visent à garantir la lisibilité, la stabilité et la cohérence de l’action climatique sur le long terme. Il s’agit, en particulier, de renforcer l’accompagnement social pour éviter l’aggravation des inégalités. Mais aussi de mettre en place des trajectoires d’incitations publiques, d’investissements et de renouvellement des infrastructures.

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