En ce début d’année 2022, tout va bien en façade pour la rénovation énergétique. Ma Prime Rénov’ reste à des niveaux identiques à ceux de 2021, avec quelques hausses ponctuelles, en particulier pour le chauffage au bois. Mais cette stabilité n’est qu’apparente.
En effet, la rénovation énergétique est aussi largement portée par les CEE. Or, la nouvelle période qui s’est ouverte le 1er janvier dernier pour quatre ans démarre mal. « Je suis très inquiet du début de cette cinquième période des CEE, alerte Jean-Baptiste Devalland, DG de Teksial, un délégataire dans le giron du groupe Engie. L’avance prise durant la quatrième période est telle que le cours s’est effondré de 30 %. A cela s’ajoute une baisse des niveaux d’aide sur les principales opérations standardisées. » La quatrième période, avec ses coups de pouce nombreux et fortement médiatisés, a en effet permis aux obligés (les distributeurs et fournisseurs d'énergie) de collecter des CEE bien au-delà de leurs obligations.
En effet, alors qu’un certificat d’économie d’énergie se valorisait autour de 9 € fin décembre 2020, son cours est tombé sous la barre des 6,50 euros en ce début d’année. « A cela, il faut ajouter que dans la cinquième période des CEE, disparaît le doublement de la prime pour les ménages très modestes », précise Audrey Zermati, directrice de la stratégie du groupe Effy.
L’Etat comptait sur une hausse mécanique du cours entraînée par cette raréfaction, mais pour l’heure, l’effet est inverse : le cours du CEE précarité s’effondre lui aussi, à des niveaux comparables au CEE standard, effet de stock oblige.
Baisse des aides CEE
Or, l’effet de cette variation est immédiat sur les aides proposées aux ménages. En effet, les délégataires (ces intermédiaires générant par des financements ou par des opérations directes de rénovation énergétique des CEE ensuite revendus aux obligés) proposent des aides en corrélation directe avec la valorisation possible des CEE. Si les cours baissent, les aides baissent, hors éventuels contrats à termes conclus par certains grands délégataires. Le marché des CEE est en effet court-termiste, la demande des obligés dictant les capacités des délégataires.
Cet effet de marché fait craindre le pire à Pierre Maillard, PDG de Hellio. « Nous risquons d’ici quelques mois d’assister à une hausse brutale des cours, et donc à l’apparition d’acteurs opportunistes », redoute le dirigeant. Cette crainte paraît d’autant plus fondée qu’une partie de la baisse actuelle tient à l’indexation de l’obligation réelle annuelle de collecte de CEE par les obligés sur la consommation effective des années antérieures. La pandémie a provoqué une baisse des consommations énergétiques de 6 à 8 %. La forte reprise en 2021 et 2022 remontera donc les obligations dans les prochaines années, et donc les cours !
Ralentissement des chantiers et rénovation globale
Sans attendre cet horizon de moyen terme, la situation inquiète d’ores et déjà. « Sur les chantiers d’ITE, le reste à charge pour les ménages très modestes atteint désormais 8 000 à 9 000 € », détaille Audrey Zermati. Autant dire qu’aucun ménage dans cette situation n’envisage de tels travaux ! La demande de cette catégorie de clientèle est d’ailleurs en chute libre. A l’heure où les prix de l’énergie flambent, et où plusieurs millions de ménages vont se trouver en difficulté face à la hausse de leurs factures, ce sujet risque de rythmer la campagne électorale !
La question dépasse d’ailleurs le seul sujet des ménages très modestes. Alors que cette hausse de l’énergie, largement médiatisée, devrait pousser le marché vers des travaux d’amélioration de la performance énergétique, la hausse brutale du reste à charge, de 100 à 500 % selon la nature des travaux, remet tout à plat.
Comme si le paysage n’était pas suffisamment sombre, le sujet de la rénovation performante vient complexifier encore la donne. D’un côté, l’Etat entend appuyer ces opérations globales, plutôt que les travaux au coup par coup. Mais la valorisation a baissé de 40 % dans le cadre des CEE, à quoi s’ajoute la baisse des cours ! Une situation d’autant plus complexe que, comme le rappelle Pierre Maillard, l’étau législatif et réglementaire se resserre. « Le cumul d’obligations, notamment l’interdiction de louer les logements les moins bien notés, devient difficile pour certains propriétaires », souligne Pierre Maillard.
Bouger les cours ou MaPrimeRénov’ ?
Les Pouvoirs publics se retrouvent donc face à un dangereux échec en ce début de cinquième période. Les choix effectués pour cette nouvelle phase, en ne prenant pas suffisamment en compte les stocks de la quatrième période, menacent grandement les ambitions nationales en matière de rénovation énergétique. D’autant que la hausse des prix des matériaux, des équipements et de la main-d’œuvre vient encore renchérir le reste à charge, les montants de MaPrimeRénov’ étant libellé en euros et non plus en pourcentage.
Remonter le niveau de l'obligation précarité ? La solution intéresse certaines parties prenantes. Mais le prix des CEE joue sur la facture énergétique des ménages. Or, l’Etat venant de tordre le bras d’EDF pour modérer la hausse des prix, une deuxième pression pourrait s’avérer dangereuse. Quant à MaPrimeRénov’, une hausse des barèmes pourrait compenser en partie la hausse du reste à charge. Mais le sujet des finances publiques est tout aussi explosif que celui des prix de l’énergie. Les arbitrages s’annoncent délicats.