Si le Conseil d’État a écarté l’application de la réglementation de la commande publique aux certificats d’économie d’énergie dans des circonstances bien précises (CE, 7 juin 2018, "Société Géo France", n° 416664), il n’a pas pour autant clos le débat.
Le dispositif des CEE
Mis en place par la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique – aujourd’hui codifiée aux articles L. 221-1 et suivants du Code de l’énergie –, les CEE sont un mécanisme impliquant :
► d’une part, les opérateurs économiques qui vendent de l’énergie (carburants automobiles, électricité, gaz, fioul domestique, chaleur, froid) appelés « obligés » ;
► d’autre part, les pouvoirs publics qui fixent un objectif pluriannuel d’économies d’énergies réparti entre ces différents obligés.
Les obligés justifient de la satisfaction de leurs obligations en la matière par la détention d’un certain montant de CEE. Il existe deux façons d’obtenir ces CEE :
► soit en réalisant, directement ou indirectement, des économies d'énergie au bénéfice des utilisateurs ; dans ce cas, les CEE sont délivrés par le ministère chargé de l’énergie ;
► soit en rachetant des certificats auprès d’autres détenteurs, à l’instar de biens meubles, en vertu de l’article L. 221-8 du Code de l’énergie.
Dans cette dernière hypothèse, l’entreprise « obligée » va ainsi racheter des certificats à des tiers pour assumer ses propres obligations vis-à-vis de l’Etat dans le cadre de la réglementation mise en place pour assurer la transition énergétique et la croissance verte en France.
Ce rachat de CEE s’effectue auprès d’obligés, ou denon-obligés comme les collectivités territoriales et leurs groupements, les sociétés d’économie mixte (SEM) ou les sociétés publiques locales dont l'objet social inclut l'efficacité énergétique, l'Anah, les SEM exerçant une activité de construction ou gestion de logements sociaux. Ainsi, si une collectivité territoriale s’engage dans des travaux permettent la réalisation d’économies d’énergie, cette opération lui permettra d’acquérir des CEE. Ceux-ci, étant recherchés par les obligés, trouvent une valeur marchande dans un nouveau marché en pleine expansion.
C’est dans ce contexte que se pose la question de l’application du Code de la commande publique au CEE, c’est-à-dire lorsqu’à l’occasion d’un marché public générateur d’économie d’énergie, l’acheteur va valoriser l’économie générée – et donc l’obtention de CEE – pour tirer des recettes des cessions de droits et financer son projet.
Les différentes situations possibles pour un acheteur
Comme l’indiquait la Direction des affaires juridiques de Bercy dans une fiche de novembre 2013, quatre situations peuvent être distinguées :
Situation #1 : le maître d’ouvrage public vend des CEE obtenus par la collectivité auprès du Pôle national des certificats d'économies d'énergie (→ opération hors champ de la commande publique) ;
Situation #2 : le maître d’ouvrage public cède son droit à réclamer des CEE liés à une opération de travaux, préalablement auxdits travaux et indépendamment du marché public de travaux (→ opération hors champ de la commande publique sous réserves, voir ci-dessous) ;
Situation #3 : le maître d’ouvrage public décide de valoriser les CEE dans le cadre même de la procédure de passation du marché de travaux (→ opération dans le champ de la commande publique);
Situation #4 : le maître d’ouvrage public est sollicité directement par une entreprise pour la réalisation de travaux sans frais grâce à la valorisation de CEE (→ opération dans le champ de la commande publique).
Valorisation des CEE
C’est la situation #2 qui pose le plus de difficultés, sur le point de savoir si la prestation de services accomplie par un tiers concernant la valorisation des CEE constitue ou non une procédure de commande publique.
Le premier problème est de savoir si la valorisation des CEE – c’est-à-dire la valorisation de la cession des droits à réclamer les CEE qui seront obtenus à l’issue des travaux – répond à un besoin de l’acheteur. S’agit-il d’une prestation de services financiers dont l’objet serait de financer des travaux publics ? A cette question, le Conseil d’Etat a répondu non, sous réserves néanmoins que les sommes perçues par l’acheteur ne soient pas affectées directement à la réalisation du projet. Plus précisément, les juges ont considéré que le contrat de valorisation des CEE et le marché public de travaux constituaient deux véhicules juridiques distincts ayant un objet spécifique.
Plus encore, le Conseil d’Etat a estimé que la valorisation des CEE ne correspondait ni à l’exécution du marché de travaux, ni à une prestation de services financiers pour les raisons suivantes :
► d’une part, la valorisation des CEE est sans incidence sur l’objet du marché public de travaux et ne saurait donc être assimilée à l’exécution de travaux publics ;
► d’autre part, l’opérateur valorisant la cession des droits des CEE ne joue pas le rôle d’intermédiaire entre l’acheteur et les éventuels obligés, empêchant la qualification de marchés publics de services financiers.
Au final, et dans ce cas particulier, la valorisation des CEE ne serait qu’une modalité de financement d’un marché public indépendante de l’objet du marché public de travaux sans pour autant être un marché public de travaux ou une prestation de services financiers au bénéfice du maître d’ouvrage.
Se pose ensuite la question de l'onérosité des contrats de cession des CEE. Si la valorisation des certificats est une ressource financière pour le maître d’ouvrage public, il n’est pas incongru de s’interroger sur le caractère onéreux d’un tel contrat dès lors que la participation financière versée au maître d’ouvrage est souvent inférieure au montant réellement généré par la valorisation des CEE. Autrement dit, la convention d’incitation financière ne prévoit pas une équivalence financière entre la participation financière versée et le montant potentiel des CEE cédés (ici la valeur cédée). Or, selon une jurisprudence désormais bien connue, le caractère onéreux peut se traduire par un abandon de recettes au profit d’un opérateur (voir, s’agissant des mobiliers urbains, CE, 4 novembre 2005, "Société Jean-Claude Decaux", n° 247298, publié au Recueil).
Néanmoins, l’onérosité des contrats de cession des CEE a été écartée par le Conseil d’Etat pour un double motif. En premier lieu, pour un motif de droit. En effet, la jurisprudence administrative a une approche libérale au sujet de la notion d’abandon de recette. Elle distingue (i) d’une part, le cas de l’abandon de recettes correspondant à un renoncement par un acheteur à percevoir la rémunération de prestations qu’elle aurait pu ou dû exécuter elle-même, mais qu’elle confie à un tiers – et dans ce cas, le critère onéreux est satisfait – et (ii) d’autre part, le cas où l’abandon de recette résulte de l’activité commerciale développée par le cocontractant lui assurant sa rémunération – et dans ce cas, le critère onéreux n’est pas satisfait (voir CE, 15 mai 2013, "Ville de Paris", n° 364593, publié au Recueil).
En second lieu, pour un motif tenant à l’aléa ou l’incertitude en lien avec l’abandon de recettes. En effet, le montant de la rémunération du tiers valorisant les C2E est sujette à un aléa important puisqu’elle est soumise à sa capacité à les revendre auprès de tiers. A de courtes échéances, le « cours » des CEE n’est pas plus prévisible que le cours de la Bourse.
Conclusion
Dans un contexte de financement public renforcé pour assurer la transition énergétique des bâtiments publics en France, les transactions de CEE ont vocation à se développer en lien avec la sphère publique et l’action publique locale. Concernant le bâtiment, l’Etat prévoit 6,7 milliards d’euros destinés principalement à la rénovation énergétique des logements privés, des bâtiments publics et des logements sociaux. La position du Conseil d’Etat permet aujourd’hui d’assurer la gestion libre et efficace d’une valorisation des CEE par les acteurs publics afin de mobiliser rapidement les financements nécessaires aux importants travaux qui restent à engager pour assurer la transition énergétique du parc immobilier public en France.