CCAG TRAVAUX (2/2) Décompte général : attention à l’article 50.11 !

L’application du CCAG Travaux de 1976 soulève des difficultés pratiques, comme nous l’avons vu dans notre précédent numéro (p. 88), à propos des groupements d’entreprises. Cette semaine, nous analysons les risques de l’article 50.11 du CCAG Travaux, qui est applicable en cas de différend entre l’entrepreneur et le maître d’œuvre lors de l’exécution du chantier. Cette procédure peut se révéler être un véritable piège contentieux pour les entreprises, au moment du règlement financier du marché.

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A l’heure de la réforme du CCAG Travaux (1), ses rédacteurs ne devraient pas manquer de s’intéresser à la procédure de contestation du règlement financier du marché. Par sa complexité et les ambiguïtés qu’elle recèle, la procédure d’établissement et de contestation du décompte général prévue aux articles 13.44et 50.22 du CCAG Travaux a suscité en effet jusqu’alors toutes les attentions (2). Toutefois, une autre procédure de règlement des différends, moins connue mais tout aussi risquée, mérite également de retenir l’attention des entrepreneurs sous peine de graves désillusions.

L’ARTICLE 50-11 :UNE PROCéDURE RISQUéE

Litige en cours de travaux : deux procédures alternatives

Lorsqu’un litige survient en cours d’exécution des travaux, le CCAG Travaux prévoit deux procédures précontentieuses alternatives selon que le différend oppose l’entrepreneur directement à la personne responsable du marché ou au maître d’œuvre.

Selon la première procédure (article 50.22 du CCAG Travaux), si après avoir présenté un mémoire de réclamation, l’entrepreneur se heurte à un refus implicite de ses prétentions de la part du maître d’ouvrage, il est libre de saisir le juge administratif sans condition de délai.

La seconde procédure prévue aux articles 50.11, 50.12 et 50.21 du CCAG Travaux est en revanche plus délicate à mettre en œuvre pour l’entrepreneur, car elle contient un délai à respecter sous peine de forclusion.

Risque de forclusionen cas de différendavec le maître d’œuvre

En cas de différend entre le maître d’œuvre et l’entrepreneur, la procédure se déroule en trois temps.

1er temps : l’entrepreneur remet au maître d’œuvre, aux fins de transmission à la personne responsable du marché, un mémoire exposant les motifs et indiquant les montants de ses réclamations (article 50-11).

2e temps : la personne responsable du marché notifie à l’entrepreneur sa proposition pour le règlement du différend. En l’absence de proposition dans un délai de deux mois, naît une décision implicite de rejet (article 50-12).

3e temps : lorsque l’entrepreneur n’accepte pas la proposition qui lui est faite ou le rejet implicite de sa demande, il doit, sous peine de forclusion, dans un délai de trois mois à compter de la notification de cette décision (expresse ou tacite) adresser un mémoire complémentaire développant les raisons de son refus (article 50-21).

En résumé, lorsque l’entrepreneur déclenche la procédure prévue par l’article 50.11, une décision implicite de rejet de cette demande peut naître automatiquement. Si l’entrepreneur n’adresse pas un mémoire complémentaire, dans le délai imparti, pour refuser la décision du maître d’ouvrage, celle-ci acquiert un caractère définitif. L’entrepreneur ne pourra donc plus se prévaloir du bien-fondé de ses réclamations par la suite et ce, y compris à l’occasion de la procédure d’établissement du décompte général et définitif du marché. Cette situation peut s’avérer redoutable lorsque l’entrepreneur met en œuvre involontairement cette procédure, au moment du règlement financier du marché.

DéCOMPTE GéNéRAL :UN NOUVEAU PIèGE

La jurisprudence « EiffelConstruction Métallique »

Contexte factuel

Dans cette affaire, la Compagnie française Eiffel Construction Métallique avait été désignée pour la réalisation d’un marché passé par l’Etat pour la construction des bâtiments destinés à accueillir l’Ecole nationale des Ponts & chaussées et l’Ecole nationale des sciences géographiques à Marne-la-Vallée. A la suite de difficultés nées au cours de l’exécution du marché, l’entreprise a présenté, dans le cadre de la procédure du règlement financier du marché, un mémoire de réclamation pour un montant de 19 198 499,48 francs TTC, cette somme correspondant aux travaux supplémentaires et aux surcoûts qu’elle estimait avoir subis du fait de l’allongement des délais du chantier. Ses prétentions ayant été refusées par le maître d’ouvrage, l’entreprise a exercé une action indemnitaire devant le juge administratif qui a été rejetée en raison de son caractère irrecevable.

Solution retenue par l’arrêt

Lors de la transmission au maître d’œuvre de son projet d’état navette final (équivalent au projet de décompte final) prévu par le CCAP, l’entreprise avait présenté un « mémoire de réclamation » justifiant et explicitant les sommes y figurant en sus du prix initial.

Le juge administratif a considéré que l’on était en présence de deux actes distincts : d’une part, le projet de décompte final visé à l’article 13.3 du CCAG Travaux et, d’autre part, le mémoire correspondant à l’article 50.11 du CCAG Travaux.

La Cour administrative d’appel de Paris a alors jugé que la réclamation faisait suite « à un différend survenu au cours des travaux et qu’elle devait être regardée comme présentant le caractère d’un différend survenu entre l’entreprise et le maître d’œuvre, compte tenu, notamment de la mission confiée au maître d’œuvre dans l’établissement du décompte final » ().

Une motivation surprenante

Il paraît assez délicat de déduire l’application de la procédure de l’article 50.11 de la circonstance, d’une part, que le litige est survenu au cours des travaux et, d’autre part, que l’établissement du décompte final entrait dans la mission du maître d’œuvre.

En premier lieu, généralement, la contestation du décompte général fait elle-même suite à un différend survenu dans le cadre de l’exécution des travaux, le cas échéant avec le maître d’œuvre, sans que cela lui ôte sa qualification de litige entre la personne responsable du marché et l’entrepreneur (CE, 11 mai 1998, « Pradeau et Morin » : Rec. CE, tables, p. 1022 ; BJCP 1998, n° 1, p. 102, concl. Haute-Savoie).

En second lieu, dans le silence du texte et conformément à son esprit, on doit considérer que l’article 50.11 précité concerne les litiges intervenus au cours de l’exécution des travaux, et non pas au cours de l’établissement du décompte. Dès lors, il semble contestable, comme le fait pourtant la Cour, de se référer au rôle du maître d’œuvre lors de l’établissement du décompte, c’est-à-dire au moment où les travaux sont achevés, pour justifier l’application de l’article 50.11.

Autre solution a priorienvisageable

Dans ces circonstances, une autre interprétation plus favorable aux entrepreneurs et davantage conforme à la philosophie du règlement financier des marchés publics de travaux semblait envisageable en l’espèce. L’on pouvait effectivement considérer que le mémoire de réclamation était à la fois:

– tardif en tant que réclamation en cours d’exécution des travaux, dans la mesure où était intervenue la réception des travaux et qu’avait été déclenchée la procédure de règlement financier du marché ;

– et prématuré en tant que contestation dans le cadre du règlement définitif des comptes, le décompte général du marché n’ayant pas encore été notifié.

S’il avait suivi cette analyse, le juge aurait alors dû considérer que ce mémoire de réclamation était irrecevable et qu’il ne pouvait, de ce fait, interférer avec la procédure d’établissement et de contestation du décompte général du marché.

Cette interprétation aurait été conforme à l’esprit du CCAG Travaux qui confère une place particulière à cette procédure. Elle aurait également été en adéquation avec l’idée selon laquelle la contestation prévue à l’article 50.11 constitue une « voie facultative » dans la mesure où l’entrepreneur peut « attendre le règlement financier définitif du marché pour exiger une compensation ou encore présenter un unique mémoire de réclamation (…) plutôt que de choisir la voie de la contestation dès l’origine » (concl. Nicolas Boulouis sur CE, 26 septembre 2006, « SA Pertuy Construction », n° 269181, à paraître aux Tables).

Dans ces conditions, la transmission du projet de décompte final aurait pu constituer un critère opérant pour éviter les chevauchements de procédures : seules les procédures déclenchées avant la notification du projet de décompte final par l’entrepreneur pourraient se voir appliquer l’article 50.11 alors que, posté­rieurement à cette date, s’appliquerait la procédure de règlement financier.

Conséquences de lajurisprudence « EiffelConstruction Métallique »

Afin notamment de respecter les articles 13.17, 13.31 et 13.33 du CCAG Travaux, l’entrepreneur est tenu de joindre au projet de décompte final les pièces justi­ficatives de ses prétentions, lesquelles le lient pour la suite – à l’exception des points ayant déjà fait l’objet de réserves antérieures ainsi que du montant des intérêts moratoires.

Pour ce faire, il demeure recommandé de joindre au projet de décompte final une annexe justificative des sommes y figurant, en évitant bien entendu de l’intituler improprement « mémoire de réclamation ».

En revanche, est à bannir la pratique assez répandue consistant à adresser, parallèlement à la transmission du projet de décompte final, un document intitulé « mémoire de réclamation » qui comprend, outre les éléments du chiffrage, des précisions relatives aux travaux supplémentaires justifiant la réclamation de montants non prévus initialement.

Pour une meilleure sécurité juridique et dans l’attente d’éclaircissements jurisprudentiels ou textuels, il est en outre préconisé de doubler les procédures en respectant non seulement la procédure de contestation du décompte général mais encore la procédure de l’article 50.11.

Au-delà de cette solution, lors­que se pose une difficulté en cours de chantier, les entreprises auraient sans doute intérêt à utiliser la procédure de règlement des litiges sans nécessairement attendre le règlement financier définitif. On constate en effet que dans la pratique, la procédure d’établissement du décompte général cristallise les différends survenus au cours du chantier alors que, selon la philosophie du CCAG Travaux, les litiges devraient en principe être réglés au fur et à mesure de leur survenance, de façon à simplifier au maximum le règlement final des comptes.

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