CCAG TRAVAUX (1/2) Un vrai décalage pour les marchés en groupements d’entreprises

Depuis la publication du Code des marchés publics 2006, l’urgence d’une réforme du CCAG Travaux de 1976, actuellement à l’étude, se fait sentir dans de nombreux domaines. Cette semaine, nous examinons les contradictions qui opposent l’article 51 du Code aux stipulations du CCAG Travaux relatives aux groupements d’opérateurs. La semaine prochaine, nous reviendrons sur les pièges de l’article 50-11 du CCAG Travaux.

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Dans la hiérarchie des normes administratives, le Code des marchés publics (CMP) prévaut sur les CCAG. Toutefois, il serait illusoire de penser que les dispositions du Code des marchés publics puissent, dans tous les cas, se substituer purement et simplement, sans difficulté, aux documents généraux et particuliers des marchés, sans que le juge ait à déterminer quelle a été la commune intention des parties.

Les contradictions et les difficultés d’interprétation peuvent, à cet égard, concerner aussi bien la nature du groupement, l’existence, l’étendue de la solidarité et ses conséquences, que le rôle du mandataire, ses responsabilités, ainsi que celles des autres membres du groupement.

Critère du groupementd’entreprises

Sous ce seul aspect, il n’existe aucune difficulté puisque l’article 2.31 du CCAG précise, dans son premier alinéa, que les entrepreneurs sont considérés comme groupés s’ils ont souscrit un acte d’engagement unique. Le Code des marchés publics dispose également dans son article 51-III qu’en cas de groupement conjoint aussi bien qu’en cas de groupement solidaire, l’acte d’engagement est un document unique. Le critère du groupement d’entreprises doit effectivement être recherché dans les stipulations du marché plutôt que dans les conventions inter-entreprises qui n’en sont que la conséquence.

Différents typesde groupements

Le CCAG Travaux de 1976 fait dépendre la typologie des groupements d’entreprises de l’existence ou de l’absence de lots dans l’acte d’engagement. Si l’acte d’engagement comporte des lots, il s’agira d’un groupement conjoint. Dans le cas contraire, il s’agira d’un groupement solidaire. Ce critère, parfaitement fondé sur la logique et qui a largement conditionné les pratiques en matière de travaux, ne correspond pas cependant aux dispositions du Code civil issues de la théorie des obligations. Celui-ci dispose, dans son article 1202, que la solidarité ne se présume pas et qu’elle doit être expressément stipulée. L’ a écarté une typologie des groupements fondée sur l’existence ou l’absence de lots dans l’acte d’engagement, pour se rapprocher de la théorie des obligations du Code civil qui prévoit que c’est la solidarité ou l’absence de solidarité qui doit être exprimée dans la convention. Le Code des marchés publics distingue donc à présent, trois types de groupements selon que :

– chacun des opérateurs économiques membres du groupement s’engage simplement à réaliser les prestations lui étant attribuées dans le marché (groupement conjoint) ;

– chacun des opérateurs économiques s’engage de la même façon, mais le mandataire commun souscrit un engagement solidaire pour l’exécution du marché de chacun des membres du groupement (groupement conjoint avec solidarité du mandataire). Le caractère conjoint d’un groupement n’implique plus nécessairement la solidarité du mandataire commun. Il peut exister des groupements conjoints où le mandataire n’a qu’un rôle de représentation et coordination ;

– chacun des opérateurs économiques membres du groupement est engagé financièrement pour la totalité du marché (groupement solidaire). L’article 2.31 du CCAG Travaux devrait ainsi décliner les trois types de groupements prévus par le Code 2006 et supprimer le critère conjoint du groupement fondé sur l’existence de lots dans l’acte d’engagement.

Existence et étenduede la solidarité

Le CCAG Travaux envisageait le régime de la solidarité comme étant étroitement associé à l’un des deux types de groupements existant : soit le groupement était solidaire et tous les membres du groupement étaient tenus à la solidarité envers le maître de l’ouvrage ; soit le groupement était conjoint et le mandataire commun (au moins lui) était nécessairement solidaire des autres membres envers le maître de l’ouvrage. La jurisprudence administrative était venue préciser que la solidarité durait jusqu’à la fin du délai de garantie de parfait achèvement pour un groupement conjoint (1) et jusqu’à la fin du délai de la garantie décennale pour un groupement solidaire (2).

La solidarité ne devait, en tout cas, pas être totalement absente dans un marché passé en groupement d’entreprises. Cette préoccupation avait été assez importante, du point de vue de l’administration, pour que l’article 2-31 alinéa 7 du CCAG (en visant l’hypothèse où la nature d’un groupement s’avérerait incertaine) ait prévu que si l’acte d’engagement ne désignait pas l’un des entrepreneurs comme mandataire, les entrepreneurs étaient solidaires.

Le Code des marchés publics actuel prévoit plus de souplesse : un groupement conjoint peut ne comporter aucun engagement solidaire. Lors d’une réforme du CCAG à intervenir, le texte devrait en tenir compte en supprimant purement et simplement l’article 2.31 alinéa 7. En revanche, et même si la qualité des corpus contractuels des marchés publics s’est améliorée depuis 1976, il ne semble pas exister d’inconvénient à ce que l’article 2.31 alinéa 8 du CCAG soit maintenu. Le texte visait le cas du marché passé en groupement conjoint, dans lequel il n’avait été désigné aucun mandataire commun. Le premier entrepreneur désigné dans l’acte d’engagement était alors réputé être le mandataire. Le texte du CCAG pourrait être réécrit simplement, en visant à la fois les groupements conjoints et les groupements solidaires.

Rôle du mandataire commun

Le CCAG Travaux confie au mandataire commun d’un groupement solidaire, ou d’un groupement conjoint, un rôle de représentation des entrepreneurs groupés. Ainsi, le mandataire représente l’ensemble des entrepreneurs vis-à-vis du maître d’ouvrage (art. 2.31). Il reçoit notification des ordres de service et a seule qualité pour présenter des réserves (art. 2.54). Il est seul habilité à présenter les projets de décompte, les réclamations et à accepter le décompte général (art. 13.52).

Le même CCAG confie au mandataire d’un groupement conjoint un rôle de coordination des membres du groupement. Ainsi, le mandataire doit, dans le programme d’exécution des travaux, indiquer les dispositions qu’il a prévues pour assurer la coordination des cotraitants (art. 28.2). Il reçoit les mises en demeure si l’un des entrepreneurs groupés ne se conforme pas aux obligations du marché pour l’exécution de son lot (art. 49.7-1°) et, également, si lui-même ne se conforme pas aux obligations qui lui incombent en tant que représentant et coordonnateur des autres entreprises (art. 49.7-2°). De façon plus générale, le mandataire commun doit, sous sa responsabilité, assurer la coordination des entrepreneurs en assurant les tâches d’ordonnancement et de pilotage des travaux (art. 2.31). En revanche, le CCAG Travaux ne confie aucune tâche de coordination des travaux au mandataire d’un groupement solidaire qui, de ce fait, ne doit seulement assumer un simple rôle de représentation.

Le Code des marchés publics est venu étendre l’obligation de coordination pesant sur le mandataire, à la fois aux groupements conjoints et aux groupements solidaires. En effet, l’article 51-II du Code dispose : « Dans les deux formes de groupements, l’un des opérateurs économiques membres du groupement, désigné dans l’acte d’engagement comme mandataire, représente l’ensemble des membres vis-à-vis du pouvoir adjudicateur et coordonne les prestations des membres du groupement. »

Le nouveau texte à intervenir dans le CCAG Travaux devra donc ajouter une mission de coordination à la charge du mandataire commun. Il s’agit d’une extension considérable des obligations devant peser sur les entreprises qui, en tout cas, seront renseignées par le document régissant directement l’exécution du marché. Il est d’ailleurs à remarquer que dans les marchés privés, la norme Afnor P03-001 de décembre 2000 pour les travaux de bâtiment prévoit que le mandataire assume une mission de coordination, aussi bien dans les groupements solidaires que dans les groupements conjoints.

Responsabilités,conséquencesde la solidarité Tenus à une obligation de résultat pour l’exécution des travaux, assortis eux-mêmes de garanties, les entrepreneurs groupés peuvent être mis en demeure par le maître d’ouvrage. Celui-ci peut éventuellement, en cas d’inaccomplissement, prononcer la résiliation du marché. A cette occasion, la solidarité peut être mise en œuvre à l’initiative du maître d’ouvrage : soit celle du mandataire commun (groupement conjoint) ; soit celle des entrepreneurs groupés non défaillants (groupement solidaire).

Ces mécanismes sont soigneusement exposés à l’article 49.7 du CCAG Travaux de 1976. Mais le texte n’envisage que la défaillance de l’un des entrepreneurs groupés dans l’exécution des travaux et la défaillance du mandataire dans ses tâches de représentation et de coordination, s’agissant du seul groupement conjoint. La réforme du CCAG Travaux à intervenir devra naturellement traiter du cas du groupement solidaire.

Il est à noter que dans l’attente de cette réforme très attendue, le CCAP peut parfaitement organiser un certain nombre de dérogations au CCAG, afin d’éluder certaines stipulations devenues désuètes, ainsi que l’indique d’ailleurs l’article 13 du Code des marchés publics.

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