Décryptage

Maîtrise d'œuvre : un cadre contractuel en évolution, sans révolution

Marchés publics - Bâti sur la base du CCAG prestations intellectuelles, ce nouveau cahier comporte plusieurs avancées intéressantes pour les titulaires des contrats.

 

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La création d'un CCAG maîtrise d'œuvre (MOE) est la nouveauté la plus visible de la réforme des CCAG (1) qui vient d'aboutir. Il se substituera donc, pour ces marchés, au CCAG prestations intellectuelles (PI), auquel se référaient jusqu'à présent les marchés de maîtrise d'œuvre.

Des clauses communes à tous les CCAG

Il reprend néanmoins l'architecture du CCAG PI, et de nombreuses clauses ne sont pas, ou peu, modifiées. Les nouveautés les plus significatives apparaissent d'ailleurs comme étant celles qui ont été introduites dans tous les CCAG. Citons la clause relative à la protection des données à caractère personnel issue du RGPD (art. 5.2), les clauses de développement durable (art. 18.1 et 18.2), le régime optionnel d'avances bonifiées lorsque le titulaire est une PME (art. 11.1), la prohibition des ordres de service (OS) non valorisés (art. 14.3), le plafonnement des pénalités de retard à 10 % du montant du marché (art. 16.2.2), la possibilité pour le titulaire de suspendre les prestations en cas de retard de paiement conséquent (art. 25.1) ou encore la clause de réexamen imposant aux parties d'examiner de bonne foi les conséquences d'une « circonstance que des parties diligentes ne pouvaient prévoir dans sa nature ou dans son ampleur et modifiant de manière significative les conditions d'exécution du marché » (art. 26).

Un rapprochement avec le CCAG travaux

Quelques nouveautés sont plus propres au domaine de la construction. Ainsi, le CCAG MOE introduit, dans les mêmes termes que dans le CCAG travaux, la démarche BIM qui, si l'opération en comporte une, doit faire l'objet d'un cahier des charges BIM du maître d'ouvrage et d'une convention BIM (art. 4.1).

Le CCAG MOE précise les obligations respectives du maître d'ouvrage et du maître d'œuvre en matière d'assurance décennale, de dommage ou de responsabilité (art. 9.1 et 9.2).

Les règles relatives à l'exécution financière du marché se sont elles aussi rapprochées de celles du CCAG travaux. Outre les avances et la possibilité de refuser des OS à zéro euro, le CCAG MOE adopte un processus de paiement calqué sur celui des marchés de travaux. Cela se caractérise par une possible mensualisation des acomptes, un mécanisme de clôture financière reposant sur l'enchaînement projet de décompte final/décompte général (art. 11) et un droit à des prix en principe révisables lorsque le délai de réalisation excède trois mois (art. 10.1.1).

Des innovations spécifiques

Enfin, un certain nombre de clauses réellement propres aux contrats de maîtrise d'œuvre méritent d'être relevées.

Propriété intellectuelle. Le régime des résultats, et plus généralement des droits de propriété intellectuelle, n'est pas modifié. Les auteurs du nouveau CCAG se sont contentés de supprimer une des options du CCAG PI (l'option B - « Cession des droits d'exploitation sur les résultats »), pour ne garder que le régime de la « Concession de droits d'utilisation sur les résultats » (art. 24.1). Pour le reste, le régime décrit par cette clause de concession demeure inchangé, sous réserve naturellement des dérogations que pourraient y apporter les parties dans le cahier des clauses administratives particulières (CCAP).

   Le CCAG MOE introduit une innovation importante : une clause de revoyure

Coût des travaux. Une autre spécificité est celle des engagements du maître d'œuvre quant au budget du programme, puis au coût des travaux et des seuils de tolérance qui y sont attachés. Le nouveau CCAG fixe ici des règles par défaut, dont on notera qu'elles correspondent à des pratiques usuelles :

- Pour les opérations de construction neuve, ces seuils sont de 5 % (coût prévisionnel des travaux) et 3 % (coût définitif des marchés de travaux) ;

- Pour les opérations de réhabilitation, les seuils sont respectivement de 10 % et 5 % (art. 13.2).

Validation des prestations. Le processus d'admission des prestations du maître d'œuvre fait l'objet de dispositions détaillées (art. 21) qui, pour l'essentiel, reproduisent le processus et les alternatives du CCAG PI : admission, ajournement, réfaction et rejet. Mais le CCAG MOE ajoute une nouveauté qui peut se révéler d'une grande importance pratique : la possibilité d'une admission en l'état ou avec observations (art. 21.1). Cette alternative permet au maître d'ouvrage d'admettre l'élément de mission, mais en formulant des « observations à prendre en compte pour la réalisation des éléments de mission suivants » (art. 21). Cela apporte de la souplesse, en évitant un choix binaire plus rigide pouvant entraîner un blocage.

Prolongation des délais. Enfin, le CCAG MOE introduit une autre innovation importante. Il s'agit d'une clause de revoyure : « En cas de prolongation de la durée du chantier ayant pour conséquence une augmentation de plus de 10 % par rapport à celle prévue dans les documents particuliers du marché ou, à défaut, par rapport à celle résultant initialement des marchés de travaux, les parties se rapprochent afin, d'une part, d'examiner les causes de ce retard, et, d'autre part, de déterminer si ce retard ouvre droit à rémunération complémentaire » (art. 15.3.5).

Voilà qui répond à une difficulté hélas fréquente à laquelle sont exposés les maîtres d'œuvre lorsque le délai de l'opération dérape. Cette clause de revoyure ne se réfère certes pas à une obligation de bonne foi, contrairement à l'article 26 relatif aux circonstances imprévisibles, mais elle n'en pose pas moins un principe de discussion, et, le cas échéant, un fondement précis de droit à indemnisation.

Cette stipulation a un autre effet vertueux : elle invite le maître d'ouvrage et son maître d'œuvre à examiner objectivement les causes de retard lorsque leurs conséquences deviennent préoccupantes (plus de 10 %). L'on peut espérer qu'en pareil cas, les intéressés n'hésiteront pas à se faire assister par des tiers, notamment un expert de plannings ou spécialiste OPC, et pourquoi pas à élargir l'échange aux entrepreneurs concernés. Tous ont en effet intérêt à ce que ce type de difficulté soit traité énergiquement et le plus tôt possible pour, si nécessaire, repenser l'ordonnancement et l'organisation des travaux, indépendamment même des seules questions indemnitaires.

Des combinaisons à imaginer

On peut en somme saluer le travail accompli, subtil équilibre entre un modèle qui ne bousculera pas les praticiens en étant assez proche de ce qu'ils connaissaient, tout en intégrant tous les objectifs de la réforme des CCAG 2021 (tels que le rééquilibrage des relations contractuelles) et en apportant quelques discrètes mais importantes innovations.

Restera à voir à l'usage comment ce CCAG pourrait se combiner avec le CCAG travaux, voire le CCAG fournitures courantes et services, pour régir des marchés globaux… Le choix d'un contrat ad hoc propre à une seule opération ou de la combinaison de plusieurs CCAG, dont les éventuelles contradictions seront réglées par le CCAP, se posera et nécessitera un travail d'analyse minutieux.

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