Interview

CCAG : "L'acheteur doit prendre la main sur la rédaction de clauses particulières adaptées", Arnaud Latrèche, AAP

L'Association des acheteurs publics (AAP) fait un bon accueil aux nouveaux CCAG marchés publics, publiés le 1er avril. Arnaud Latrèche,son vice-président, par ailleurs adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière de la Côte d’Or, note cependant certains points de vigilance.

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Arnaud Latrèche, vice-président de l’Association des acheteurs publics et adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière de la Côte d’Or

Quel regard l’AAP porte-t-elle sur cette refonte des CCAG ?

Nous sommes globalement satisfaits des nouveaux textes et pensons qu'ils resteront un outil de référence de l'achat public. Il convient de rappeler qu'il s'agit là de clauses, facilitant certes nettement la rédaction des contrats, mais néanmoins supplétives. L'acheteur ne peut faire l'impasse sur la définition de ses besoins propres et de la manière dont il entend organiser sa relation avec ses partenaires contractuels. Il doit donc prendre la main sur la rédaction de clauses particulières adaptées en conséquence. On n'est jamais mieux servi que par soi-même.

L’équilibre souhaité entre les parties vous semble-t-il atteint ? 

Il y a effectivement une avancée vers un ré-équilibrage. La possibilité pour le titulaire de refuser des ordres de service modificatifs ou supplémentaires non valorisés financièrement, le plafonnement des pénalités - même si celui-ci est discutable - en témoignent. 

Mais l'équilibre ne peut pas être parfait dans un contrat public. Le maître d'ouvrage ne peut renoncer à conserver des prérogatives lui permettant de "décider" de façon unilatérale et d'imposer sa ligne de conduite aux entreprises, fût-ce de façon provisoire. Il est nécessaire de rappeler que tout marché public conclu par une personne publique concoure plus ou moins directement à la satisfaction de l'intérêt général, à l'exercice d'une mission de service public. Cela est particulièrement patent s'agissant des marchés de maîtrise d'œuvre et de travaux. Or, la satisfaction de l'intérêt général, la continuité de la réalisation d'un projet, d'un ouvrage ne sauraient-être compromis par un désaccord entre le maître d'ouvrage et son cocontractant. 

Cette considération permet d'expliquer notre réserve sur les conséquences de l'article 14.2 du CCAG MOE : "Le maître d’ouvrage ne peut émettre d’ordres de service prescrivant des prestations supplémentaires ou modificatives que dans la mesure où le montant cumulé des ordres de service qui n’ont pas donné lieu à la signature d’un avenant est inférieur à 10% du montant hors taxes du marché. Au-delà de ce seuil, le maître d’œuvre peut refuser d’exécuter le ou les ordres de service tant qu’ils n’ont pas fait l’objet d’un avenant." Quid si le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre ne parviennent pas à s'entendre (ce qui est loin d'être un cas d'école) et que l'avenant, que le CCAG rend obligatoire, ne peut être conclu ? S'agit-il là d'un pouvoir de veto entre les mains du MOE ? 

Avez-vous un point de satisfaction majeur ?

L'AAP avait notamment émis des réserves sur l'acceptation tacite par l'acheteur des observations émises par le titulaire consécutivement à la réception des bons de commande. Nous y voyions alors une source de difficultés, car le projet de CCAG soumis aux membres du groupe de travail n'établissait pas nettement les conséquences de cette acceptation implicite des observations. La clause avait finalement été supprimée du projet mis en consultation. 

Nous sommes satisfaits aussi que certains articles des CCAG renvoyant à la passation d'un avenant précisent par ailleurs qu'à défaut d'accord, l'acheteur procède à une modification unilatérale (articles 5.2.2, 6.2, 7.2), même si nous aurions souhaité que les CCAG en fassent un principe général d'exécution du marché pour l'ensemble des acheteurs faisant référence à ces cahiers.

Un gros regret ?

Un regret, ou plus exactement, une inquiétude : le partage et la concurrence de compétence entre le maître d'œuvre et le maître d'ouvrage pour notifier des ordres de service nous paraissent inappropriés. L'ingérence du maître d'ouvrage dans le cadre de la direction et de l'exécution des travaux (DET) n'est pas sans conséquence sur la responsabilité qu'il endosserait alors. Par ailleurs, la mission DET est une mission du maître d'œuvre, incluse dans la mission de base obligatoire pour les bâtiments. La question de la légitimité de l'intervention du maître d'ouvrage dans le cadre de cette mission se pose. L'AAP déconseille fortement aux acheteurs de s'emparer de cette prérogative et les invite à laisser les maîtres d'œuvre "gérer" les chantiers. Cela ne s'oppose pas à ce que le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre puissent discuter de la manière d'aborder telle ou telle situation (notamment en cas d'incidence financière). Mais le maître d'œuvre doit rester l'interlocuteur opérationnel des entreprises en front office.

Pensez-vous que beaucoup d’acheteurs pourront mettre en œuvre ces CCAG avant le 1er octobre ?

Formellement, il est assez aisé de faire référence aux CCAG 2021, une clause dans les pièces particulières suffit. Toutefois, l'AAP invite les acheteurs à profiter du temps dont ils disposent pour prendre le temps d'une lecture attentive des nouveaux textes, mesurer les conséquences pratiques et opérationnelles des clauses proposées et, le cas échéant, obtenir les arbitrages quant à l'opportunité de déroger à telle ou telle clause.

L’idée formulée par la ministre Agnès Pannier-Runacher d’y piocher dès à présent des éléments vous semble-t-elle pertinente ? 

Oui pourquoi pas. Si les acheteurs adhèrent à certaines des clauses, il leur suffit de les reprendre dans leurs pièces particulières. En prenant soin de vérifier si elles dérogent ou non aux CCAG de 2009.

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