Au jeu de l'avant/après, le cas de l'espace naturel de Bodonou près de Brest (Finistère) est saisissant. Le caractère lunaire du paysage post-industriel de la carrière a complètement disparu. Les fosses d'extraction ont été gommées et la nature semble s'être reconstruite sur elle-même.
Exploité depuis 1975, le site, installé à la croisée des villes de Brest, Guilers et Plouzané, a pourtant longtemps été la sablière du pays brestois. Pour produire chaque année 250 000 t de sable marin dit « roulé », très prisé du BTP, la carrière a subi des décapages multiples : celui de sa strate de terres végétales d'abord, puis celui des terres stériles sur 1 m d'épaisseur pour mettre à nu le gisement de sable, fouillé ensuite lui-même sur 15 m de profondeur. Abîmé par ces traitements, le site n'offrait plus aucun refuge à la faune comme à la flore.
Topographie et hydrographie remodelées. Innovante, la méthodologie de renaturation a justement misé sur ce sol pauvre en éléments nutritifs pour y combiner de subtiles opérations de remodelage de la topographie et de l'hydrologie. De fait, aucune espèce végétale ou animale n'a été réintroduite, pas plus que d'intrants pour reconstituer le sol. « Nous avons signé une convention de partenariat avec la collectivité locale fixant les grands principes du réaménagement dès 1997 », précise Anaïs Moreau, responsable foncier et environnement chez Lafarge. « Le document statuait sur la nature écologique et progressive de la réhabilitation, mettait en place un comité de suivi annuel et prévoyait l'ouverture au public et la cession du foncier à Brest Métropole à l'issue du réaménagement », détaille-t-elle.
Le gros des opérations s'est déroulé sur les dix dernières années. « Les bordures de plan d'eau ont été refaçonnées, et les hauteurs de terrain retravaillées par les mouvements de terre, relate Anaïs Moreau. Certaines fosses ont été entièrement comblées, d'autres partiellement. » A partir des matériaux en place, cette diversité d'aménagements a produit un nouveau décor, puisque « sur ce support volontairement laissé pauvre, une flore spécifique s'est lentement développée. Même des espèces en voie de disparition ont colonisé l'espace », complète Jean-Christophe Gauthier, responsable du service milieux naturels et biodiversité à la métropole. On y retrouve par exemple la grassette du Portugal, une plante carnivore, ou encore la pilulaire, une petite fougère protégée. Actuellement, 284 espèces animales, dont 150 d'oiseaux, ont été répertoriées.
Anticiper la fin de l'exploitation a permis d'établir une feuille de route sur le long terme
Un assemblage singulier. Pris il y a vingt-cinq ans, le pari a bien été tenu. Depuis mai dernier, et la rétrocession à la collectivité, Brest Métropole est gestionnaire de plein droit de ce site de 108 ha au paysage inhabituel en Bretagne. « Il doit sa singularité à l'assemblage des milieux : plans d'eau, landes et marais, boisements et fourrés. Un ovni en termes d'ambiances », décrit Jean-Christophe Gautier. Selon lui, ce projet co-construit avec l'exploitant s'est révélé être un véritable laboratoire grandeur nature : « Cette expérience a enrichi nos pratiques et notre expertise naturaliste. Anticiper la fin de l'exploitation a permis d'établir une feuille de route sur le long terme avec un phasage et un zonage précis des opérations. » In fine, c'est bien la nature qui agit, avec une part d'imprévu. Aujourd'hui, seule la périphérie du site est accessible au public, le cœur reste protégé afin de laisser le temps à la biodiversité de s'y installer.
