Faits
Une SCI, maître de l'ouvrage, confie à un architecte la maîtrise d'œuvre complète de la construction d'un bâtiment à usage professionnel, puis décide finalement d'abandonner le projet. Le contrat de maîtrise d'œuvre prévoyait qu'en cas d'abandon du projet, pour quelque raison que ce soit, les honoraires seraient dus en totalité à l'architecte. Sur le fondement de cette clause, l'architecte assigne la SCI en paiement de l'intégralité des honoraires prévus au contrat.
Question
La clause du contrat de maîtrise d'œuvre stipulant qu'en cas d'abandon du projet, pour quelque raison que ce soit, les honoraires seront dus et réglés en totalité par le maître de l'ouvrage à l'architecte est-elle abusive ?
Décision
La Cour de cassation approuve l'arrêt d'appel ayant considéré que cette clause est abusive et par conséquent nulle. Il en résulte que le montant des honoraires réclamés par l'architecte est limité aux travaux que ce dernier a effectivement réalisés. Le pourvoi formé par l'architecte est en conséquence rejeté.
Commentaire
L', dans sa rédaction applicable au litige, répute abusives les clauses qui, entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, ont pour objet ou pour effet de créer au détriment de ces derniers un « déséquilibre significatif » entre les droits et les obligations des parties au contrat.
Pour considérer la clause litigieuse abusive, les juges du fond ont dû tout d'abord déterminer si la SCI est intervenue au contrat en qualité de maître de l'ouvrage professionnel ou non professionnel. Pour la cour d'appel, s'il est incontestable que la SCI est un professionnel de l'immobilier du fait de son objet social (à savoir l'investissement et la gestion immobiliers, et notamment la mise en location d'immeubles dont elle fait l'acquisition), cette constatation ne suffit pas à lui conférer la qualité de professionnel de la construction, qui serait seule de nature à la faire considérer comme étant intervenue à titre processionnel au contrat litigieux. Pour procéder à la distinction entre professionnel de l'immobilier et professionnel de la construction, l'arrêt relève que le domaine de la construction fait appel à des connaissances ainsi qu'à des compétences techniques spécifiques distinctes de celles exigées par la seule gestion immobilière. Cette distinction, qui privilégie l'objet social de la personne morale au détriment des compétences et de l'activité propres de son gérant, est approuvée par la Cour de cassation qui conclut que « la SCI n'était intervenue au contrat litigieux qu'en qualité de maître de l'ouvrage non professionnel, (…) elle pouvait prétendre au bénéfice des dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ».
La clause abusive est, selon le texte de l' (devenu l'article L. 212-1) celle qui provoque un « déséquilibre significatif ». Lorsque ce déséquilibre est constaté, la clause est abusive et donc réputée non écrite.
Bien que l'arrêt commenté ne vise pas expressément le « déséquilibre significatif », il l'illustre en relevant qu'il ne résultait de la clause litigieuse « aucune contrepartie réelle pour le maître de l'ouvrage ». En effet, si le maître de l'ouvrage avait la faculté de mettre fin au contrat, il était néanmoins tenu de régler au maître d'œuvre des honoraires identiques à ceux dont il aurait été redevable si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme. Dès lors, par le seul effet de la signature du contrat, la clause litigieuse garantissait à l'architecte le paiement intégral de ses honoraires, peu importe le volume des travaux qu'il aurait effectivement réalisés. Ainsi, les conditions d'application de l'article L. 132-1 dudit code étant réunies dans cette affaire, la solution retenue par la Cour de cassation paraît tout à fait logique.