En immobilier de bureau aussi, le match France-Angleterre promet d'être serré. Et c'est le département des Hauts-de-Seine qui a ouvert les hostilités en octobre dernier, juste après le vote du Brexit. Au menu, une campagne de communication à destination des banquiers de la City : « Tired of fog ? Try the frogs ! » (Fatigués du brouillard ? Essayez les grenouilles !).
Valérie Pécresse, présidente (LR) de la région Ile-de-France, enfonçait le clou deux mois plus tard en adoptant un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) pour la période 2017-2021. Dans la foulée, la région a désigné l'Observatoire régional de l'immobilier d'entreprise (ORIE) comme le « lieu d'analyse et d'échanges » entre pouvoirs publics et professionnels afin « d'inspirer les orientations stratégiques des grands opérateurs ». Objectif : mettre l'immobilier francilien au service de l'attractivité du territoire. Valérie Pécresse compte bien faire de sa région le choix numéro 1 des banquiers qui devront se relocaliser en cas de Brexit dur et de perte du passeport financier européen qui permet à la City de vendre ses services.
Le prochain acte se jouera au Mipim, le salon des professionnels de l'immobilier, à Cannes, du 14 au 17 mars. La région Ile-de-France y pilotera, pour la deuxième année consécutive, le pavillon francilien. Londres n'est pas en reste : son maire, Sadiq Khan, est attendu sur la Croisette.
Ses atouts
- La première place financière d'Europe.
- Un marché immobilier tertiaire constitué de 21 millions de m².
- Une ville en pleine mutation : plus de 200 programmes de gratte-ciel en projet ou en construction selon une étude de la New London Architecture.
- Malgré le vote en faveur du Brexit, la croissance du Royaume-Uni s'est maintenue à 2 % en 2016. Pour 2017, les prévisions oscillent entre 1,2 % et 1,6 %.
- Londres est la ville européenne qui attire le plus les investisseurs. En 2016, ils y ont placé plus de 11 milliards d'euros.
Ses points faibles
- Des loyers de bureaux qui varient autour de 1 400 €/m²/an.
- Les loyers des logements sont aussi extrêmement élevés.
- Le Brexit ouvre une période d'instabilité.
Deux années d'incertitude
« Personne ne sait ce que sera le Brexit, nous entrons dans deux années d'incertitude », rappelle Marie-Laure de Sousa, directrice du département agence France du cabinet de conseil JLL. La Première ministre britannique, Theresa May, doit d'abord activer l'article 50 du traité de Lisbonne pour lancer la procédure de divorce avec l'Union européenne et entamer les négociations relatives aux conditions de sortie de l'espace communautaire. Et tant qu'elles ne seront pas fixées, les entreprises ne déménageront pas. « Mais nous enregistrons déjà des marques d'intérêt d'utilisateurs pour nos bureaux parisiens, confie Magali Marton, directrice des études de Cushman & Wakefield, consultant en immobilier, et responsable du groupe de recherche immobilière de la Royal Institution of Chartered Surveyors. Un certain nombre de clients estiment qu'en cas de Brexit dur, ils devront avoir identifié un site de repli en Europe continentale d'ici la fin de l'année 2017. Cela pourrait accélérer la livraison de l'offre neuve et restructurée en Ile-de-France. » Rappelons qu'en 2016, 2,4 millions de m² ont changé de main en Ile-de-France et près de 1,2 million de m² neufs ou restructurés devraient être livrés cette année.
Ses atouts
- La ville abrite le siège de la Banque centrale européenne (BCE) et mise sur son pouvoir d'attraction.
- La capitale financière accueille également le siège de la banque fédérale d'Allemagne et la bourse.
- Les loyers y sont plus doux qu'à Paris ou Londres, à 450 €/m²/an.
Ses points faibles
- Le marché d'immobilier de bureaux est plus contracté qu'à Paris, avec près de 12 millions de m², dont 1 million immédiatement disponible.
- L'économie allemande est atomisée dans ses différentes métropoles. Francfort est très spécialisée sur le secteur de la finance alors que les utilisateurs recherchent un environnement économique diversifié.
- Le taux de vacance culmine à 9,1 %.
Selon les scénarios, entre 1 000 et 120 000 personnes pourraient quitter Londres. L'enjeu consiste à les faire choisir Paris plutôt que Francfort, Dublin ou Luxembourg. Première victoire, HSBC a annoncé vouloir relocaliser 1 000 personnes dans la capitale française. « Et une banque chinoise qui possède 70 millions de clients a abandonné l'idée de s'installer à Londres, lui préférant Paris », lance, satisfait, Franck Margain, président de Paris Région Entreprises, l'agence de développement économique d'Ile-de-France. Si des banques devaient quitter la City, le secteur financier aurait un effet d'entraînement sur leurs clients et leurs prestataires. « Paris pourrait redevenir une place financière de premier plan », se prend à rêver Hervé Manet, président du directoire de la foncière Héraclès Investissement. D'autres événements pourraient profiter à l'immobilier, comme les éventuelles organisations des Jeux olympiques et de l'exposition universelle ou, plus sûrement, la livraison du Grand Paris Express.
Ses atouts
- La fiscalité y est jugée attractive par les entreprises européennes.
- Les niveaux de loyers demeurent assez élevés, à près de 650 €/m²/an en moyenne contre 500 €/m²/an en début d'année 2015. Selon plusieurs experts, cette hausse des tarifs serait liée aux potentiels effets du Brexit.
- Le taux de vacance a plongé à 7,8 % en fin d'année 2016, alors qu'il culminait à 23,6 % en 2010, signe d'une bonne reprise de l'économie nationale.
Ses points faibles
- Le marché des bureaux est très restreint avec seulement 3,5 millions de m².
- L'offre immédiatement disponible se réduit à 270 000 m².
- La capacité d'accueil de nouveaux arrivants reste très limitée.
- Dublin est géographiquement très excentrée.
Le 93 tire son épingle du jeu
Long de 205 kilomètres, le GPE confortera trois pôles tertiaires : Saint-Denis (Seine-Saint-Denis ), Nanterre et Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). « L'arrivée de nouvelles lignes a déjà suscité des prises de positions, à l'exemple de Gecina, qui a acheté l'immeuble Be Issy en 2016 », rappelle Vincent Bollaert, qui dirige le département investissement de Knight Frank, conseil immobilier.
Comme la plupart des professionnels, il ne croit pas à l'émergence d'autres zones de bureaux. « Les acteurs sont refroidis par les mauvaises expériences, à l'exemple du Mermoz au Bourget, resté vide durant plusieurs années. Les entreprises veulent s'implanter aux côtés de leurs clients. » Selon une étude du consultant en immobilier DTZ, le GPE fera doubler le rythme des livraisons pour atteindre 6,2 millions de m² d'ici à 2020. Et 20 % des constructions se concentreront à Saint-Denis, Aubervilliers et Saint-Ouen. Enfin, la candidature de Paris au JO a un effet accélérateur. « L'événement aligne tous les acteurs sur un même objectif », juge Olivier Estève, directeur général délégué de Foncière des Régions.
Si Paris veut faire briller son offre de bureaux, elle devra trouver des alliés de taille. « Gardons à l'esprit que, pour peser dans la course à l'attractivité qui se joue à l'échelle mondiale, la capitale tirera son épingle du jeu grâce à une alliance avec Londres », estime Franck Margain. Paris devra donc faire de son meilleur ennemi son meilleur allié.