Pour qui en douterait encore, l'architecture est bien un art de la patience… Ainsi aura-t-il fallu, pour ces 14 logements parisiens (Xe arrondissement), presque autant d'années de gestation avant qu'ils ne sortent de terre, au terme d'un concours de maîtrise d'œuvre remporté… en 2009 ! Dans cette rue du Faubourg-du-Temple, au décor passablement bigarré, le paysage faubourien dessine un univers éclectique de contours, d'échelles et de matériaux. Une diversité d'écritures et de volumes qui pourrait garantir aujourd'hui encore quelque liberté à l'architecte. Voire…
Héritant d'une étroite parcelle de 9 m de large pour 45 de long, surplombée çà et là de constructions entrecroisant des vis-à-vis resserrés, l'agence parisienne RH + (Adrien Robain et Alix Héaume) a su y implanter deux corps de bâtiments. Sur ce terrain autrefois occupé par un immeuble insalubre et démoli sans état d'âme, corsetés par des règles d'urbanisme complexes et des voisins chicaniers, les architectes ont installé les 14 logements du programme entre deux jardins : neuf côté rue, avec des terrasses dès le troisième étage, et cinq autres en cœur de parcelle, avec terrasses ou balcons à tous les étages. Une disposition d'ensemble retenue pour être la plus efficiente en termes de ventilation, d'occupation du sol et de vues.
Imperfections de chantier gardées. Jouant d'une simplicité de bon aloi et d'une écriture volontairement sobre pour ne pas en rajouter dans un contexte urbain déjà chaotique, la façade principale sur rue joue de décrochages et de découpes pour mieux se rattacher aux adresses voisines. Réalisée en béton blanc teinté dans la masse et coulé en place, elle laisse apparaître les trous de banche et laisse subsister de menues imperfections de chantier. Ici et là, un bouchardage vient texturer le béton des percements et le pan incliné qui se raccorde avec l'immeuble contigu.
Le porche et le passage couvert permettent de deviner, depuis la rue, le jardin en cœur d'îlot. Là, le changement de décor est total. Le corps de bâtiment s'habille d'un parement d'éléments massifs en bois qui participe d'une atmosphère intime et paisible en contraste avec l'activité frénétique de la rue. La façade est formée de blocs de mélèze massifs de 20 x 20 cm, en 3, 5 et 7 cm d'épaisseur. Le tout est calepiné de manière à créer un jeu de masses aléatoires et d'ombres qui font vibrer la façade. L'inspiration revendiquée par les architectes est à chercher à la fois du côté de l'empilage à la va-vite de grumes de bois et, plus sûrement, de l'église italienne du Gesù Nuovo à Naples (1584) avec son bossage de façade en pointes de diamants.
Quiétude verdoyante. Tous les appartements sont traversants et profitent de la quiétude verdoyante du cœur d'îlot. Les hauteurs des deux bâtiments ont été ajustées de manière à ne pas se porter ombre. Les façades s'inclinent pour éviter des vis-à-vis trop importants. Quant aux toitures, elles se cassent ou se reculent pour créer des terrasses. Le tout a été dimensionné pour favoriser l'ensoleillement des appartements, y compris en rez-de-jardin. Et laisser entrer la lumière dans les cours voisines : une amabilité très urbaine, somme toute.
