Quelle place la biodiversité occupe-t-elle dans la territorialisation de la planification écologique ?
Lancée par le gouvernement le 27 novembre dernier, la Stratégie nationale biodiversité 2030 définit une trajectoire qui appelle des réponses locales. La biodiversité figure naturellement parmi les piliers de la territorialisation de la planification écologique, qui commence dans les COP régionales, avec les élus et les associations. Je compte aussi sur les écoles pour révéler aux générations montantes les nouveaux métiers et compétences. Cette fonction du monde de l'éducation peut contribuer à redonner de l'attractivité aux professions de l'aménagement et de la construction compte tenu de leur rôle dans la restauration de la biodiversité.
L'aménagement et la construction ont largement contribué à l'érosion du vivant. Peuvent-ils aussi aider à l'inversion de cette tendance ?
Absolument. Le BTP et l'immobilier jouent un rôle essentiel dans l'artificialisation des sols, l'une des cinq grandes pressions responsables de la disparition de la biodiversité. Or, la loi zéro artificialisation nette (ZAN) donne les clés pour mieux construire, avec des cobénéfices pour les écosystèmes. Un autre facteur doit inciter ces secteurs à agir et à mieux prendre en compte le vivant : le risque d'effondrement de leur modèle. Si demain les entreprises ne se préoccupent pas davantage de l'état des forêts et des milieux naturels, elles mettront en péril les services gratuits rendus par ces derniers et dont elles dépendent, comme l'illustre l'exemple du bois matériau. Pour moi, elles doivent occuper une place centrale dans la Stratégie nationale biodiversité. Le 29 novembre, j'ai réuni 200 entreprises et mis en place six groupes de travail sectoriels qui ont été invités à définir une feuille de route. L'un d'eux couvre le secteur bâtiment-construction.
Le récent décret sur la nomenclature du ZAN a sorti les parcs et jardins de la catégorie des sols artificialisés. Cette mesure stimulera-t-elle la renaturation urbaine ?
Ce décret montre l'importance de la territorialisation de notre stratégie. Quand on évoque le sujet de la biodiversité, on pense d'abord spontanément à la campagne alors que la renaturation des villes, à travers les parcs ou les forêts urbaines, est d'autant plus importante qu'elle contribue également à leur adaptation par la création d'îlots de fraîcheur en période de forte chaleur.
La diversité de l'ingénierie de l'Etat qui travaille sur la biodiversité peut désorienter certaines bonnes volontés. Comment comptez-vous résoudre cette difficulté ?
A ceux qui ont besoin d'aide, je conseille de se connecter sur le site « Aides territoires » du gouvernement qui leur permettra de trouver le contact adapté. L'Agence nationale pour la cohésion des territoires répond à une partie importante des besoins d'ingénierie issus de la Stratégie nationale biodiversité. Nous espérons une forte demande pour l'élaboration des Atlas de la biodiversité communale, grâce au nouveau régime qui préside à leur élaboration. L'Office français pour la biodiversité (OFB) a en effet mis fin aux appels à projets, au profit d'un guichet ouvert en permanence.
La protection des écosystèmes nécessite-t-elle d'insister sur la recherche ?
J'attends beaucoup du Cerema dans ce domaine, grâce aux adhésions des collectivités que son nouveau statut a rendu possible. D'autre part, nous nous appuierons sur le programme Erable [qui permettra de nourrir la réflexion des élus sur l'avenir de la biodiversité dans leur territoire, NDLR].
Il aboutira au printemps prochain à l'identification de 20 projets dotés de 160 000 euros chacun, associant des chercheurs, des artistes et des collectivités.
A propos d'innovation, qu'attendez-vous des solutions d'adaptation fondées sur la nature ?
Pour que chacun s'approprie les savoir-faire émergents dans ce domaine, j'invite les entrepreneurs à rejoindre gratuitement le réseau des Entreprises engagées pour la nature, coordonné par l'OFB. Cet engagement doit permettre à chacun d'établir un diagnostic de ses dépendances et de profiter des bonnes pratiques pour gagner collectivement en résilience, grâce à des modifications parfois minimes qui réduisent les impacts sur les milieux naturels.
Depuis sa création, l'OFB dépend des redevances prélevées par les agences de l'eau. Ne faudrait-il pas imaginer une source de financement pérenne et spécifique ?
Grâce au plan eau, les agences disposent désormais de recettes annuelles augmentées de 475 M€. Cette enveloppe inédite leur permettra d'accompagner les collectivités dans la modernisation des réseaux et la préservation de la ressource. En outre, des moyens, là aussi sans précédent, sont dégagés pour la biodiversité, avec 1,2 Md € supplémentaires dès 2024. Mais vous avez raison : aujourd'hui, l'eau finance la biodiversité, ce qui justifie des réflexions, encore en instance, sur l'affectation de ressources dédiées à cette dernière.
« Les entreprises du secteur de l'aménagement et de la construction doivent occuper une place centrale dans la Stratégie nationale biodiversité. »
Le projet de loi de finances consacre 100 M€ aux aménités rurales. Quel sens donnez-vous à cette mesure ?
Cette dotation apporte une reconnaissance aux services offerts par la nature. Plus de 8 000 communes en bénéficieront, au lieu de 6 000 en 2023. Il s'agit d'une des premières aides calées sur la superficie et l'apport des espaces naturels, et non sur la démographie.
Quel premier bilan tirez-vous du plan de restauration de 50 000 ha de zones humides entre 2022 et 2026 ?
Les récentes inondations dans le Pas-de-Calais illustrent le rôle majeur des zones humides : l'effet d'éponge produit par ces milieux naturels nous protège, de même que tout ce qui concourt à ralentir l'écoulement des eaux.
Plus on retient, plus on limite les dégâts. D'où l'objectif annoncé pour les zones humides, dont le déploiement en cours repose notamment sur les agences de l'eau dont nous renforçons les moyens.
Pouvez-vous révéler la localisation du 12e parc national des zones humides annoncé par la Première ministre ?
Rendez-vous avant la fin juin ! Un rapport publié le 30 novembre par l'inspection générale du développement durable a identifié 18 espaces potentiels, dont trois semblent tenir la corde. Quelle que soit la décision finale, ce projet se réalisera avec les élus locaux concernés, dans le cadre d'un accompagnement territorialisé.
Pour les espaces littoraux menacés par le recul du trait de côte, faudra-t-il organiser un repli vers l'intérieur des terres ?
Le recul du trait de côte fera d'abord évoluer l'urbanisme. Le ministère y travaille avec l'Association nationale des élus du littoral. A côté des dangers matérialisés par les bâtiments qui risquent de s'effondrer, j'alerte les collectivités sur les risques de submersion qui affectent d'anciennes décharges. Il faut à tout prix éviter que les déchets concernés ne se déversent dans la mer. Avec la Stratégie nationale biodiversité, nous avons fixé l'objectif de traiter l'intégralité des 94 sites identifiés.