C'est sûr, Edison et sa lampe à incandescence sont définitivement enterrés, mais il ne faut pas en déduire que la révolution de l’éclairage a déjà eu lieu. Elle vient à peine de commencer : fusion source lumineuse/luminaire, lampes connectées, Oled, pilotage à distance, alimentation par le réseau éthernet (POE), transmission de données via la lumière (Li-Fi)… Tout reste à découvrir. Une chose est sûre, la led apporte de l’intelligence à l’éclairage et l’ampoule qui fait oui/non, que l’on allume et que l’on éteint en manœuvrant un interrupteur, a vécu, même si elle continue de garnir les linéaires des points de vente. La seule question qui vaille aujourd’hui est : pour combien de temps encore ?
Des sources lumineuses aux luminaires
« Dans cinq ans, prédit Frédéric Granotier, PDG de Lucibel, il n’y aura plus d’ampoule. » Car les leds seront montées en puissance et directement intégrées dans les luminaires. On ne remplacera plus son ampoule toutes les 1 000 ou 2 000 heures, mais on changera son luminaire toutes les 50 000 heures, qui est la durée de vie d’une led de bonne qualité : soit plus de cinq ans si elle fonctionne 24 heures sur 24 dans une entreprise ou un commerce, et plus de trente-quatre ans si elle fonctionne 4 heures par jour chez un particulier.
Dans cinq ans ? « On se calme ! », tempèrent les fabricants histori-ques, lesquels soulignent la différence entre la technologie et le marché qui, en ce qui concerne la led, progresse moins vite que prévu. L’halogène éco présente de l’intérêt, en termes de prix s’agissant des consommateurs, et pour certaines applications professionnelles, où des problèmes de compatibilité se posent. Quant aux sources, si elles sont forcément condamnées, pour les fabricants historiques et pour leurs clients, l’échéance se situe plutôt à quinze-vingt ans. De plus, il ne faut pas perdre de vue que, durant de longues années, deux marchés vont cohabiter (ou cohabitent déjà) : le luminaire avec sa lampe intégrée, qui concerne le neuf et les grosses rénovations - soit quelques pourcents des ventes annuelles -, et les lampes à culot, qui ne vont pas s’éteindre du jour au lendemain tant le parc est important. Les quatre fabricants historiques - GE, Osram, Philips, Sylvana - ont donc le temps de s’adapter pour prendre le virage technologique nécessaire.
Un autre monde en devenir
Les nouveaux entrants venus de l’électronique ont vite fait d’agiter l’épouvantail Kodak, lequel, refusant de croire à la photo numérique, s’est accroché à l’argentique comme l’arapède à son rocher… jusqu’à ce que le raz-de-marée l’emporte.
Le danger est réel pour les fabricants nés avec Edison. D’une part, les spécialistes de l’électronique, et notamment les industriels ja- ponais et sud-coréens, ont plus que la lumière en catalogue : le chauffage, la climatisation, le contrôle d’accès, les écrans, autant de produits interconnectables et pilotables à distance. D’autre part, la led constitue, pour les industriels de l’éclairage, un double challenge : d’un côté, il leur faut intégrer la technologie, de la recherche et développement aux forces de vente en passant par la production ; de l’autre, il leur faut se préparer à concevoir, à fabriquer et à vendre non plus des sources lumineuses, mais des luminaires. Et qui dit luminaire dit décoration, design, tendances, lesquels varient selon les pays, les cultures, les âges… Un autre nouveau monde.
Pour autant, si les nouveaux entrants ont tendance à croire que le marché à venir leur appartient déjà, ils auraient tort d’enterrer trop vite les marques historiques. Ces dernières ont évidemment anticipé (acquisition de savoir-faire, recherche et développement…), certes plus ou moins, mais elles ne sont pas les dernières dans la course à la techno-logie. « Osram a récemment montré le tube led qui affiche la meilleure efficacité du monde : 215 lm/W », explique David Meyer, responsable du marketing et de la communi- cation de la division professionnelle d’Osram.
Surtout qu’il ne suffit pas de mettre trois leds au fond d’un saladier pour faire un luminaire. « Ce qui fait la qualité d’une led, ce n’est pas seulement la puce, c’est également l’intégration de celle-ci, les contraintes de dissipation thermique, le confort d’éclairage… », énumère Axel Malaterre, directeur du marketing France et directeur commercial grand public et OEM de Sylvania. Les marques historiques savent transformer la lumière mieux que personne, connaissent les contraintes d’usage, peuvent créer des partenariats pour intégrer les compétences dont elles ne disposent pas et maîtrisent les différents canaux de distribution qui se tournent plus volontiers vers les fabricants qu’ils connaissent.
Créer de l’émotion
Les principaux acteurs d’hier ne seront peut-être pas ceux de demain. Une consolidation du secteur est à prévoir, avec une sélection naturelle pour corollaire. Déjà, il est primordial de maîtriser la fabrication du semi-conducteur à la base de la led, et qui fait sa valeur ajoutée (ship), au risque de devenir « un simple plieur de tôle » encore plus dépendant d’autres acteurs. De plus, suivre les évolutions technologiques de différents secteurs devient encore plus essentiel, pour intégrer le software afin d’assurer le pilotage et de maîtriser l’interconnection entre les équipements.
« La prochaine étape, anticipe Axel Malaterre, c’est l’intelligence, grâce à laquelle le marché pourra garder de la valeur. » L’éclairage connecté est déjà là, qui permet de gérer la température de couleur ou l’intensité lumineuse de son éclairage, de transmettre de la musique, de créer des ambiances lumineuses… et de commander le tout via un smartphone ou un ordinateur. Ces nouvelles possibilités vont changer la nature de la lumière et, au-delà de la gestion de l’énergie, apporter une nouvelle dimension : l’émotion.