Interview

« Avec l’IA, la qualité des données est essentielle », Raphaël Contamin, directeur d’Equans Digital

En charge du pilotage de l'IA pour le groupe Equans, la branche digital développe des cas d'usages variés visant aussi bien à optimiser les consommations, qu'à vérifier des processus industriels. 

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Raphaël Contamin est le directeur d'Equans Digital.

Quels sont les domaines d’activités dans lesquels l’intelligence artificielle apporte une réelle plus-value ?

Nous déployons des cas d’usage IA dans l’ensemble de nos activités : bâtiments, industrie, villes et territoires, mais aussi la défense ou les transports. Dans le domaine des services énergétiques, il s’agit de développer des solutions permettant de réduire les consommations, d’améliorer la disponibilité des infrastructures et des équipements, et d’optimiser le pilotage du mix énergétique.

Dans le bâtiment, l’IA peut rendre les systèmes de CVC plus efficients, permet d’intégrer des sources d’énergies renouvelables, comme de détecter des usages anormaux ou des anomalies de fonctionnement.

L’IA et la reconnaissance automatique d’images sont particulièrement utiles pour le contrôle qualité dans les processus industriels. Nous travaillons d’ailleurs aussi bien pour l’imprimerie nationale sur la détection de défauts dans les filigranes des billets de banque que pour des fabricants de panneaux solaires pour analyser la qualité des produits en sortie de ligne de production.

La première difficulté avec l’IA est de récupérer des données de bonne qualité, exploitables par les algorithmes. Comment faites-vous ?

Grâce à nos équipes spécialisées dans les métiers de l’automatisme, de la robotique ou de l’IT, nous sommes à même de bien comprendre les systèmes qui génèrent ces données. Nous travaillons avec les collègues qui maitrisent le génie climatique, la réfrigération, la sécurité incendie, et le fonctionnement des lignes de production. Cela facilite la collecte des données réellement utiles. Nous sommes par exemple capables d’optimiser les consignes données aux groupes froids, ou de détecter les prises en glace dans les chambres froides.

La qualité des données est essentielle mais la capacité à les transformer en informations d’intérêt pour nourrir les algorithmes est également fondamentale. Chez Equans Digital, nous associons notre capacité à collecter, transporter et stocker des données à des outils d’analyses statistiques tels que l’Exploratory Data Analysis (EDA), qui est un premier pas d’analyse des données techniques à partir duquel nous mettons en place ensuite des algorithmes de « machine learning ».

A quels cribles passez-vous les données pour pouvoir ensuite les exploiter ?

Comprendre et préparer les données sont deux phases essentielles car l’IA est beaucoup moins permissive que d’autres systèmes digitaux. Ce travail est effectué par nos ingénieurs spécialisés dans les données (data engineers), qui mettent en place les systèmes de remontée d’informations afin que nos data analysts et scientists puissent travailler efficacement. Le réseau Equans Digital compte une cinquantaine de personnes occupant l’une de ces trois fonctions, dont une partie a été centralisée au sein d’une filiale dédiée : Equans Digital Data & IA.

Le travail de préparation des données est facilité par le fait que les données sources viennent de systèmes que nous avons l’habitude d’installer et de maintenir : supervision technique (systèmes de supervision et d’acquisition de données industriels (Scada), GTC, GTB), de supervision video (VMS), ou même d’hypervision. Ces derniers ont été déployés pour des métropoles comme Angers, sur des bâtiments tertiaires et pour des clients opérant des infrastructures de recharge, ou des centrales de production d’énergies renouvelables.

Pour améliorer la qualité des données, nous pouvons les modifier à la source, en supprimant des données incohérentes, utiliser des IA pour compléter des trous dans des données temporelles ; ou encore d’autres algorithmes pour transformer des données non structurées en données structurées exploitables. Cela consiste par exemple à transformer des images ou des graphiques en valeurs ou en éléments de texte. 

Vous utilisez l’IA pour améliorer les performances du campus de Centrale SupElec à Saclay. Quels résultats avez-vous obtenus ?

Nous sommes en charge du partenariat public-privé (27 ans de contrat) pour la maintenance multi technique du site avec un engagement de performance énergétique et de multiples phases de gros entretien de renouvellement (GER). Afin de garantir une performance maximale des installations, nous avons d’abord créé un jumeau numérique du bâtiment tel que construit, puis mis à disposition des équipes des outils qui l’utilisent comme des lunettes de réalité augmentée et une alarme reliée à la GTB.

A partir de là, l’IA pilote la performance énergétique pour continuer de réduire la facture. Cette brique « apprend » le profil de fonctionnement du bâtiment pour optimiser les consommations en corrélant les prévisions climatiques, le comportement énergétique et les objectifs de confort.

Une des conditions sine qua non pour un traitement via l’IA résidait dans le fait de disposer d’une GTB qui pilote les systèmes thermiques et leurs auxiliaires. Cela a permis de réduire de 14 % les consommations de CVC, de 28 % la consommation d’électricité des centrales de traitement d’air, et de 30 % l’énergie pour la production d’eau chaude et d’eau glacée. Le retour sur investissement de l’IA est d’un an ici.

Quid de la sécurité des données ? Quelles sont les inquiétudes les plus fréquentes et comment y répondez-vous ?

Les principales demandes de nos clients concernent la manipulation des informations par les algorithmes. Si mes données sont compromises ou manipulées, les préconisations faites par l’IA peuvent être incorrectes et entrainer inefficacité ou dommages environnementaux. Pour l’éviter, nous mettons systématiquement en place un contrôle humain. Les inquiétudes concernent aussi la vulnérabilité des algorithmes avec des failles exploitables par des attaquants malveillants, et bien sûr, les attaques sur des infrastructures critiques, tels que des infrastructures gazières, de traitement d’eau, des centrales énergétiques, etc. 

Pour y répondre nous travaillons en lien direct avec la Direction des services informatiques du groupe Equans pour être à la pointe du respect de la directive européenne NIS 2 (relative à la sécurité des réseaux et des systèmes d’information) et le Cyber resilience act (CRA), en particulier. Et nous faisons en sorte de rester à jour en matière de cyber sécurité industrielle.

L’intelligence artificielle consomme énormément d’énergie. Où en êtes-vous en matière de sobriété numérique ?

La sobriété est un point sensible, c’est pourquoi nous ne surdimensionnons pas les infrastructures et nous portons une attention toute particulière à leur élasticité, c’est-à-dire la capacité à en éteindre une partie si les besoins ne requièrent pas de puissance de calcul élevée. Nous utilisons des data center de Tier 3 au minimum, et en majorité Tier 4 [le niveau de sécurité et de redondance le plus élevée, NDLR]. De plus, nous veillons à la frugalité des data centers, qui dépend de celles des codes sources et des algorithmes qui s’y trouvent. Cet axe lié à la réduction des « codes morts » et à l’application de bonnes pratiques de développement logiciel fait partie de nos standards.

Comment utilisez-vous l’IA en interne ? 

Concernant nos propres performances, nous nous sommes dotés d’une infrastructure informatique capable de faire tourner plusieurs modèles d’IA sur nos données internes de manière sécurisée. Nous avons aussi mis en place une équipe capable, à partir de l’expression d’un besoin métier, de construire une solution d’IA pour y répondre. Et nous communiquons largement sur nos succès pour inciter d’autres métiers au sein du groupe à réfléchir aux possibilités avec l’IA. Nos premiers résultats sont intéressants sur les achats, la relecture de contrats et la priorisation des dossiers d’appels d’offre.

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