Quel premier bilan dressez-vous de la concertation autour du plan national pour la montagne, dont vous prévoyez un lancement officiel en juin prochain ?
Avec Jacqueline Gourault, nous avons lancé cette concertation le 1er décembre dernier sur une base claire : que ce plan vienne des territoires, sans présupposé national ! A eux de réenchanter la montagne avec une offre diversifiée qui les aide à sortir de la mono-industrie du ski ; à l’Etat de leur fournir les moyens nécessaires en ingénierie.
Cette méthode marque une rupture par rapport aux plans neige des années 1970. Depuis cette époque, il n’y a pas eu d’autre initiative d’Etat de cette envergure. Pour le financer, nous travaillons sur l’idée d’un plan Résilience, annexé à France Relance, avec des fonds fléchés vers la montagne.
Les difficultés rencontrées auprès des copropriétés de résidences de loisirs incitent-elles à une réflexion sur des politiques plus coercitives ?
Il n’y a pas de coercitif envisagé. Notre réflexion porte sur l’adaptation du dispositif Ma Prim’rénov aux résidences touristiques de montagne. Cela offrirait l’avantage de la souplesse, pour éviter de conditionner les opérations à l’adhésion de la totalité des copropriétaires.
Cette piste s’appuie sur le bilan des opérations de rénovation de l’immobilier de loisir, qui fonctionnent mal, souvent faute de moyens en ingénierie. Ma Prim’Rénov me paraîtrait plus adapté, à condition de l’ouvrir aux copropriétés de résidences secondaires.
En montagne comme en plaine, le secrétariat d’Etat à la ruralité est né pendant une crise sanitaire qui frappe de plein fouet des territoires déjà fragilisés.Comment l’Etat aide-t-il les communes rurales à maintenir leurs capacités d’investissements ?
Elles peuvent prétendre à deux types de dotation, dédiés respectivement à l’équipement des territoires ruraux – la DETR – et au soutien à l’investissement local – la Dsil. Cette dernière bénéficie d’un bonus d’1 milliard d’euros dans la troisième loi de finances rectificative.
Mais certains préfets de région, appuyés par certains élus, ont cédé à la tentation de capter cette source pour apporter de grosses subventions à des projets d’envergure dans des grandes villes. Nous leur avons rappelé l’additionalité de la DETR et de la Dsil et nous leur avons dit non. La Dsil est aussi faite pour les ruraux ! Une circulaire en instance réaffirmera ce principe, en même temps que le caractère prioritaire de la ruralité.
La redéfinition officielle de la ruralité facilite-t-elle le redéploiement des dotations ?
Fruit d’une initiative prise dans mon ancienne mission parlementaire, la mise en conformité de la définition de nos communes rurales avec les critères du système statistique européen entraîne une réforme des modes d’attribution de la DETR. Des départements ruraux non dotés jusqu’ici vont en bénéficier.
D’autre part, la prochaine loi de finances s’appuiera sur le rapport d’experts en cours sur les aménités rurales pour abonder l’enveloppe consacrée à la biodiversité, au bénéfice des communes touchées par des aires protégées. Les exemples de pays du nord ou de l’Italie nous encouragent dans cette voie.
Le programme des Petites villes de demain vous a-t-il inspiré une réflexion sur la bonne articulation entre les bourgs centres et les villages ?
C’est bien dans cet esprit que nous n’avons pas voulu fixer de seuil plancher, dans la définition des petites villes. Le programme peut s’adresser à plusieurs communes d’un même groupement. Il inclut d’anciens chefs-lieux de canton de 600 habitants, dépourvus d’ingénierie, tout comme des villes de 15 000 habitants. L’argent que nous injectons dans l’intercommunalité des bourgs centre bénéficie aux communes environnantes.
Avec Jacqueline Gourault, nous n’avons rien verrouillé. Dans mon département, j’ai vu des intercommunalités rurales partager un emploi de manager du commerce de centre-ville. Dans le panel d’outils que nous mettons à disposition des territoires les plus éloignés des villes, je voudrais souligner le rôle des 800 volontaires territoriaux de l’administration, chiffre proche du nombre d’intercommunalités rurales. Fers de lance d’une rencontre entre la jeunesse et la ruralité, ils aideront ces dernières à définir et mettre en musique les projets qui bénéficieront des crédits d’investissements.
Comment faire en sorte que ces crédits bénéficient aux TPE rurales ?
Nous associons les chambres de l’artisanat et des métiers à toutes nos politiques, et en particulier à la reconquête commerciale et artisanale des petites villes. Je rends hommage à ces instances consulaires qui ont redoublé d’efficacité pendant la crise. Mais la vitalité des TPE rurales repose beaucoup sur l’accessibilité numérique des territoires.
Dans le cadre du programme New Deal Mobile, nous recensons les zones blanches de la 4G, pour les équiper de pylônes financés à 100 % par l’Etat. Cet inventaire m’a amené à constater l’abandon des réseaux en cuivre, dans des zones non équipées en 4G.
Avec Cédric O, secrétaire d’Etat à la Transition numérique, nous remédions à cette situation lunaire, très préjudiciable aux entreprises, pour financer le maintien du cuivre dans ces territoires. L’inventaire en cours révèle d’autres situations aberrantes comme celle de l’Isère, avec 26 zones blanches, 22 antennes financées et une seule construite !
Comment concilier l’objectif de revitalisation rurale avec la lutte contre l’artificialisation des sols ?
Avec Jacqueline Gourault, nous avons missionné notre conseiller en urbanisme sur ce sujet. L’objectif Zéro artificialisation nette ne doit pas pénaliser la ruralité. Il doit intégrer les contraintes de prévention des risques et la nécessité de combler les dents creuses dans les hameaux ou les communes caractérisées par un habitat dispersé. Cela passe par la promotion du dispositif Denormandie dans l’habitat ancien, trop peu utilisé en zone rurale.
Les parcs naturels régionaux offrent-ils des modèles reproductibles, dans la conciliation de ces objectifs ?
Oui, pour certains d’entre eux, comme le Queyras ou le Lubéron. Les chartes des parcs illustrent le fait que quand les gens se parlent et qu’ils élargissent leurs horizons, l’intelligence progresse. Une zone artisanale difficile à implanter va trouver sa place dans un périmètre plus large. Ce dialogue facilite la recherche de solutions : c’est l’esprit de la différenciation, promue par le projet de loi 4D, ou par l’article 174 du traité de Lisbonne – Göteborg, consacré aux îles montagne et aux zones faiblement densément peuplées. Un texte trop peu utilisé.
Les futurs contrats de relance et de transition écologique – les CRTE - pourront-ils refléter cet esprit de différenciation ?
J’ai beaucoup insisté, auprès du Premier ministre, pour qu’il cite les contrats de ruralité comme périmètres pertinents pour les CRTE. La réussite de la relance rurale reposera sur un suivi aussi fin que possible de ces contrats.
La lutte contre les déserts médicaux fait partie de vos priorités. Comment dynamiser le réseau des maisons de santé ?
Les maisons de santé pluridisciplinaires ont avant tout besoin de médecins. Les primes accordées aux centres hospitaliers universitaires, pour l’installation d’internes en dernière année, aideront à constituer un vivier et à susciter des vocations. Le cadre du projet 4D nous permettra d’aider les départements qui ont ouvert des dispensaires, avec des médecins salariés, comblant ainsi un vide malgré leur absence de compétence dans le domaine de la santé.
Les intercommunalités rurales se sont-elles suffisamment saisies de la capacité à prendre la compétence d’autorités organisatrices de la mobilité, offerte par la loi du 24 décembre 2019 ?
Les demandes en ce sens restent peu nombreuses. Avec le ministre des Transport Jean-Baptiste Djebbari, nous allons co-signer une circulaire pour rappeler la procédure, notamment l’accessibilité du versement transport aux intercommunalités rurales.
Nous n’avons pas voulu aller jusqu’à la péréquation, en leur faveur, des prélèvements issus des grosses agglomérations. Mais la DETR, la Dsil, France Mobilité et les crédits mobilité du plan de relance sont là pour financer ou accompagner, qu’il s’agisse du transport routier ou des voies cyclables vers les gares les plus proches.
Le versement mobilité permet aussi de financer l’accès des ruraux aux grandes agglomérations, et réciproquement, la desserte des zones industrielles en milieu rural.
Votre expérience d’élu local et régional et vos précédents mandats de parlementaire continuent-ils à inspirer votre politique ?
Comme maire d’une commune montagnarde dévastée par le départ de Péchiney qui a entraîné le départ de 1000 habitants sur 2500, j’ai appris qu’il fallait se réinventer, sans attendre que tout tombe du ciel. J’ai évité les projets pharaoniques et peu acceptables, pour stimuler ceux qui s’appuient sur les ressources de territoires en déshérence. Cela suppose la mise en place d’un accompagnement.
Face aux blocages réglementaires, j’ai toujours promu la différenciation territoriale, notamment dans la gestation de la première loi Montagne. J’ai ensuite pu voir fonctionner cette loi, comme vice-président de région délégué à l’aménagement du territoire et à la montagne, président du comité de massif des Alpes et du conseil national de la montagne. Toutes ces expériences ont nourri mon envie de servir dans ce secrétariat d’Etat dédié à la Ruralité.
Les projets des territoires ruraux transfrontaliers peuvent-ils contribuer à ranimer la ferveur européenne ?
Je prévois de m’entretenir avec Elisa Ferreira, commissaire européenne à la tête de la direction générale Régions, pour relancer le transfrontalier rural, et éviter que les villes n’absorbent la totalité de ses crédits. La mission opérationnelle transfrontalière, à laquelle j’ai longtemps participé, présente de nombreux exemples, notamment entre les territoires ruraux du Nord, du Pas-de-Calais et leurs voisins belges.
Les fonds Feder ne flèchent pas la ruralité. Les programmes Interreg, comme ceux des macro-régions, méritent également un examen dans ce sens, pour garantir la cohérence des politiques publiques européennes. Rare exemple de coopération entre Etats et régions dans un territoire qui va jusqu’à la Slovénie, la stratégie de l’Union européenne pour la région alpine offre un modèle à suivre.