Interview

« Tout le monde s’intéresse à la géoénergie et se demande comment s’en emparer », Cindy Demichel et Pierre Trémolières (France Géoénergie)

La géothermie de surface peine à se faire une place dans le mix énergétique. Elle présente pourtant un fort potentiel. Pour développer cette technologie, le collectif France Géoénergie multiplie les initiatives afin que les acteurs de la chaîne de valeur, des promoteurs aux installateurs, cessent de travailler en silo. Entretien avec ses deux co-délégués.

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Cindy Demichel et Pierre Trémolières, co-délégués de France Géoénergie

Quelle place tient aujourd’hui la géothermie de surface, ou géoénergie, dans la transition énergétique des bâtiments ?

Cindy Demichel : Dans le mix énergétique, l’approvisionnement en chaleur est souvent le grand oublié. Alors qu’il représente la moitié des usages énergétiques en France et dans le monde. A l’échelle d’un bâtiment, le confort thermique représente souvent 50 à 70 % des besoins en énergie. C’est à cela que la géothermie de surface répond, tout en permettant de passer d’un vecteur très carboné à un autre décarboné. En passant d’1 kWh d’une unité de chauffage au gaz à 1 kWh d’une unité de chauffage à la géoénergie, on divise par 4 la quantité d’énergie consommée et jusqu’à 10 voire 15 le carbone émis. Il y a 5 ans, personne ne parlait de cette technologie. Aujourd’hui, tout le monde s’y intéresse et se demande comment s’en emparer. C’est pour faciliter cette appropriation que le cluster France Géoénergie a été créé. Pour permettre aux maîtres d’ouvrages d’identifier les bâtiments qui se prêtent à l’usage de cette technologie puis de comprendre comment financer les projets et former les équipes en conséquence.

Comment travaillez-vous avec les grands acteurs des secteurs de l’énergie et de la construction pour accélérer son déploiement ?

C.D. : En fédérant depuis les bureaux d’études chargés du dimensionnement des ouvrages de sous-sol comme Burgeap, Ecome, Strategeo jusqu’aux des foreurs en passant par les grands énergéticiens comme Dalkia, Engie ou Equans. Plus récemment, il y a 4-5 ans, sont aussi apparus sur le marché des ensembliers apporteurs de solutions clés en mains comme Accenta (stockage géothermique) dont Pierre Trémolières est le président co-fondateur ou Celsius Energy (PAC géothermiques) dont je suis la présidente co-fondatrice.

Pierre Trémolieres : Concrètement, nous avons vocation à réunir toutes les parties prenantes au sein d’un même collectif. Ainsi, des promoteurs comme Nexity ou Altarea, mais aussi des groupes de BTP comme Vinci Construction ou encore des ingénieristes tels qu’Egis comptent parmi nos membres fondateurs. Des foncières sont également impliquées avec pour objectif de verdir leur parc de logements. Action Logement, premier bailleur européen avec 1,2 M de logements en gestion, a notamment annoncé lors de son dernier colloque annuel qu’il allait passer une importante partie de son parc en géoénergie et a lancé un appel d’offres à cet effet.

En quoi le développement de cette technologie suppose-t-il de repenser les interactions entre les différentes parties prenantes ?

P.T. : Toutes ont bien compris que la géoénergie était un relais de croissance de la décarbonation du bâtiment, une méthode efficace à la fois sur les plans environnemental et financier. Mais aujourd’hui, la transition énergétique impose de sortir les métiers de la construction de leur fonctionnement en silos : bâtiment, énergie, financement… C’est pourquoi, nous avons créé des workshops où nous travaillons sur ces sujets. Nous, les professionnels, pour servir au mieux les maîtrises d’ouvrages, et les maîtres d’ouvrages pour intégrer la géoénergie dans leurs projets de manière cohérente.

Malgré son potentiel, la géothermie de surface ne représente que 1 % de la consommation de la chaleur en France alors qu’elle est possible partout. Quels éléments brident encore son développement ?

C.D. : Tout d’abord, la technologie était, jusqu’à présent, très peu connue. Et surtout, elle était considérée comme chère et compliquée. Aujourd’hui, il y a plus de 200 000 installations en France. Il faut s’appuyer sur cet existant pour faire de la pédagogie. Et montrer que, non seulement, les coûts d’installation baissent, mais qu’en plus de nouveaux modes de financement permettent de supporter l’investissement.

P.T. : Il existait quelques contraintes juridiques avant les récentes prises de conscience (crise de l’énergie, accélération du réchauffement climatique). La géothermie est longtemps restée le cadet des soucis de l’Etat et diverses contraintes réglementaire freinaient son déploiement. Récemment, la donne a changé. Plusieurs pas ont été franchis, notamment grâce à Agnès Pannier-Runacher lorsqu'elle était ministre de la Transition énergétique. Les limitations de puissance, par exemple, sont en train d’être levées. L’Etat a d’ailleurs tout intérêt à cela : ramenée à la tonne de CO2 économisée par ce dernier, la géoénergie subventionnée par le Fonds chaleur est l’une des stratégies qui lui coûte le moins cher. Ce qui n’est pas négligeable dans le contexte budgétaire actuel. Enfin, il y a une dimension européenne importante : le nouveau marché du carbone, l’ETS 2 qui va entrer en vigueur en 2027 concernera les acteurs de l’immobilier. Ceux qui n’auront pas décarboné leurs bâtiments devront s’acheter un droit à polluer sur les marchés, ceux qui auront investi dans la décarbonation avec des solutions de géoénergie notamment pourront revendre leurs crédits carbones sur ces marchés. C’est là une autre motivation importante qui devrait stimuler le marché.

Est-ce que le secteur est prêt pour soutenir un développement important de la filière ?

C.D. : La géoénergie consiste en un puits et une pompe à chaleur. Les installateurs sont nombreux et compétents. C’est du côté forage que se trouvent les limites. De grands acteurs se mettent en place, recrutent et forment. Nous travaillons avec le Comité Stratégique de Filière et avec Bercy. Mais c’est l’œuf et la poule si je puis dire : quand le marché est là, les acteurs se mettent en place. Nous sommes sur une courbe ascendante avec de nouveaux acteurs et de nouvelles technologies.

P.T. : N’oublions pas que l’objectif de la PPE – si elle est publiée un jour – est de quadrupler en termes de Twh et de tripler les projets, pour croître en surface, de géoénergie. Aujourd’hui on chauffe/climatise moins de 800 000 personnes, l’objectif est de passer à plus de 3,6 M à l’horizon 2030. Il y a un vrai impact.

Comment est-ce que France Géoénergie accompagne ce mouvement ?

C.D. : Notre feuille de route comprend quatre grands chantiers afin d’acculturer les gens et de leur donner les outils. Nous avons commencé par un tour de France de la géoénergie, motivé par l’enthousiasme d’Action Cœur de Ville : 15 métropoles se sont engagées, à des niveaux de maturité différents – Chartres par exemple était très avancée, d’autres partaient de zéro. Nous avons travaillé sur la découverte du potentiel, les bâtiments à prioriser en insistant sur la rénovation. Ce sont les acteurs énergétiques et les professionnels qui vont à la rencontre des collectivités et les guident pas à pas.

Le deuxième chantier, c’est l’acculturation. Nous avons organisé une première séance de formation en avril. Une vingtaine d’organisations publiques et privées se sont inscrites alors que nous en attendions une dizaine. Cette séance, c’était un peu « la géoénergie pour les débutants » : c’est quoi ? pour qui ?

Le troisième chantier, ce sont les outils et le financement en s’appuyant sur les nouvelles possibilités ouvertes par le tiers-financement pour les marchés publics de performance énergétique.

P.T. : C’est un point très important. Au-delà de la géoénergie, les « technos vertes », souvent dédiées à l’auto-consommation, représentent un coût d’investissement supérieur à celui des infrastructures carbonées qui, elles, ont un coût de fonctionnement bien plus élevé. Dans un premier temps, les clients sont déstabilisés en voyant ces coûts supérieurs à ceux d'une chaudière à gaz par exemple. Il faut donc "lisser la marche" à l’entrée du marché du bas carbone. La géoénergie est une formidable opportunité pour cela : les baisses de consommation d’énergie finale, qui portent le signal prix, sont telles, que les acteurs du marché, au lieu de vendre simplement du matériel et de laisser le calcul du ROI au client final, fournissent de « l’energy as a service » et des solutions clés en main. Ils financent le capex lourd à la place du client et se rémunèrent avec un loyer étalé sur la durée de vie du matériel. Notez que les champs de sondes ont une durée de vie de 100 ans, plus longue que celle d'un bâtiment. Le montant de cette opération loyer + énergie est en définitive égal au budget de la technologie gaz. L’Etat qui a compris cela, a vu l’opportunité à saisir pour rénover les 400 M m² de bâtiments publics et fait adopter la loi du 29 mars 2023 créant le Marché Global de Performance Énergétique à Paiement Différé (MPGEPDD) et le tiers-financement par des acteurs privés, auxquels la géoénergie correspond parfaitement.

C.D. : Le dernier chantier, c’est faire rayonner France Géoénergie pour toucher un maximum de gens. Le 16 octobre, nous participerons ainsi avec la Banque des Territoires, le Cerema et l’Ademe à une journée de la géothermie. Il nous faut aussi trouver des relais pour amplifier notre impact : la géoénergie est l’une des clés pour décarboner durablement nos villes et nos territoires.

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