Assurance construction : « Il y a des failles dans le système européen »

Bernard Delas, vice-président de l’ACPR*, revient pour Le Moniteur sur les défaillances en série qui ont affecté  le secteur de l’assurance construction depuis 1 an. Le régulateur français estime notamment que ces affaires ont mis en lumière la nécessité de renforcer la convergence des pratiques de contrôle en Europe.

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Bernard Delas, vice-président de l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution).
Bernard Delas, vice-président de l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution).

Comment analysez-vous les récentes défaillances intervenues sur le marché de l’assurance construction ces derniers mois ?

Il s’agit de l’effondrement d’un mode de distribution mis en place par certains courtiers grossistes, qui  avaient choisi de placer leurs risques  auprès d’assureurs étrangers intervenant sur le marché français en libre prestation de Services (LPS) . Ces assureurs opportunistes, qui méconnaissaient les spécificités de l’assurance construction, ont connu un développement très rapide. Faute d’avoir constitué des provisions suffisantes, ils sont aujourd’hui défaillants.

Leurs noms sont connus : il s’agit de la société Elite à Gibraltar, de la filiale d’assurance du réassureur néozélandais CBL en Irlande, du danois Alpha Insurance ou de l’assureur Gable, sis au Liechtenstein. Ces assureurs étaient souvent de taille modeste et soumis au seul contrôle de leur superviseur, peu conscient de l’ampleur des engagements pris. Pour l’appréciation des spécificités du marché ainsi que pour la sélection et la tarification des risques, ils se sont reposés  sur les seules compétences des courtiers grossistes, qui leur apportaient les affaires.

« En matière d’assurance, le marché unique n’existe pas encore »

Le cadre réglementaire européen a donc des failles ?

Pour contrôler la règle européenne, il est important de tenir compte du contexte local car, en matière d’assurance, le marché unique n’existe pas encore. Les produits sont très différents d’un pays à l’autre, et certains ne sont vendus que dans un seul des États membres. C’est d’ailleurs  le cas de la RC décennale en construction. Cette garantie, obligatoire, est propre au marché français…. Cela complique le contrôle des assureurs pratiquant  la LPS.

Lorsque ces derniers interviennent  sur le marché français depuis l’Irlande, Gibraltar ou Malte, ils ne maîtrisent pas toujours les particularités du marché local et il peut arriver qu’ils  ne disposent ni d’une solidité financière suffisante, ni de l’expertise nécessaire pour souscrire des risques de long terme. Il serait souhaitable de refuser l’autorisation d’exercer dans un autre Etat-membre à un acteur dont le seul but est de conquérir des parts de marché en commercialisant un produit qui n’est pas vendu dans son pays d’origine. 

« L’assureur doit rester maître de ses risques même  lorsqu’il  confie à des intermédiaires une partie de ses activités »

En quoi les intermédiaires qui ont distribué ces contrats sont-ils responsables ?

A cet égard, il est important de rappeler les obligations qui incombent aux intermédiaires travaillant avec ces assureurs. Ces obligations découlent de leur devoir de conseil. Il leur appartient à ce titre de vérifier que l’opérateur auprès duquel ils placent les risques de leurs clients jouit de la meilleure réputation professionnelle et dispose d’une structure financière solide.

En revanche, lorsque ces intermédiaires réalisent des actes de souscription et de gestion des contrats (c’était par exemple le cas du courtier SFS, mandataire de CBL), ils effectuent une activité externalisée au sens de Solvabilité 2. La directive prévoit que l’assureur doit rester maître de ses risques même  lorsqu’il  confie à des intermédiaires une partie de ses activités. Il  est par conséquent  tenu d’exécuter l’ensemble  de ses engagements contractuels et peut donc être mis en cause directement.

Que faire pour éviter d’autres défaillances à l’avenir ?

Ce que nous avons fait tout d’abord pour gérer la crise actuelle. Nous avons, au cours de ces deux dernières années, multiplié les échanges avec les superviseurs prudentiels des pays d’origine des assureurs défaillants afin de les sensibiliser aux particularités de l’assurance construction française. Mais ces derniers restant les seuls responsables de la supervision prudentielle, il ne nous était pas possible d’aller plus loin et de nous substituer à eux.

Nous avons  également  saisi l’Autorité européenne des assurances (EIOPA) et obtenu  que le sujet soit traité de manière coordonnée au niveau européen. Des plateformes de coopération technique ont ainsi été mises en place. Elles réunissent les superviseurs des pays concernés pour leur permettre d’échanger et de définir les mesures à prendre.

A l’avenir, nous préconisons que les pouvoirs de l’EIOPA soient renforcés pour en faire une vraie autorité de coordination, dotée de la faculté de sanctionner les autorités nationales de supervision. C’est d’ailleurs l’orientation prise dans le plan de « convergence de la supervision » d’EIOPA pour 2018 et 2019. Ce plan  met pour la première fois l’accent sur les « activités transfrontalières » et les « business model non soutenables » dans l’assurance-construction et la RC médicale. En outre, il conviendra de vérifier que la place laissée vacante par les assureurs défaillants ne soit pas immédiatement occupée par de nouveaux acteurs qui ne présenteraient pas toutes les garanties de professionnalisme et de solidité financière.

* ACPR : Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution
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