Ariella Masboungi ou les Mille et une nuits de « la ville pas chiante »

Avec Ariella Masboungi à l’heure d’un crépuscule printanier, le cycle de visioconférences sur les « Femmes et paysage en Méditerranée » a pris des allures de conte des Mille et une nuits, ce 25 mars à l’initiative de l’association avignonnaise Volubilis. De Beyrouth à Barcelone, la lauréate du grand prix de l’urbanisme 2016 a tenu la promesse du livre à paraître en juin aux éditions du Moniteur sous sa signature associée à celle d’Antoine Petitjean : « La ville pas chiante ».

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Ariella Masboungi
Ariella Masboungi, invitée de la dernière conférence du cycle "Femmes et paysage en Méditerranée", de l 'association Volubilis

Elle se définit comme « Chercheuse d’or urbain », et dans sa quête, ne s’interdit rien pour garnir et partager sa collection de pépites. Surtout pas de démolir les cloisons ou autres idées reçues transportées dans des mots valise comme « écoquartier » ou autre « ville verte » : « Je déteste les castes », ose Ariella Masboungi à propos des paysagistes, juste après avoir exprimé son attachement viscéral à la lecture paysagère des franges urbaines.

A bas les castes !

Le désir de paysage a poussé la jeune diplômée d’architecture de Beyrouth à traverser la méditerranée au début des années 1970 : « L’école n’abordait pas le sujet. J’ai profité d’une bourse pour le découvrir en France. J’y ai rencontré Bernard Lassus qui m’a appris à regarder, à comprendre et à décoder ». Mais pas question pour autant de choisir entre Lassus et  Corajoud, les  deux frères ennemis du renouveau du paysage français, ni de s’inféoder à une corporation : « Le paysagiste n’est pas le seul à penser la ville paysage », insiste Ariella Masboungi.

Les architectes-urbanistes n’ont pas d’avantage le monopole de la pensée urbaine : créateur de l’axe majeur de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise, le plasticien Dani Karavan occupe une place de choix, au panthéon urbain de l’urbaniste méditerranéenne, n’en déplaise aux bougons du milieu, ces artisans de la ville « chiante » moqués dans son livre à paraître en juin aux éditions du Moniteur, cosigné avec Antoine Petitjean. « Peu d’opérations urbaines récentes me font rêver », confie la lauréate du grand prix de l’urbanisme 2016, lasse de la standardisation génératrice de "ville chiante".

Non à l’étalement

Le refus du dogmatisme et du corporatisme ne l’empêche pas d’afficher quelques convictions fortes qui échappent à toute possibilité de compromis. Ainsi de l’étalement urbain, dénoncé au lance-flamme : « Personne n’ose dire qu’il peut causer les incendies et les inondations dans les villes ».

Même habillés d’oripeaux végétaux et rebaptisés Retail Parks, les centres commerciaux périphériques ne trouveront jamais grâce à ses yeux. Pas plus que les lotissements périphériques qu’elle a vainement cherché à sortir de l’ornière de la médiocrité, dans un guide technique publié à l’issue d’une mission en Lorraine, région qui lui inspire au passage ce coup de cœur inattendu : « Je l’ai beaucoup aimée, avec ses habitants aussi profondément gentils que peu expansifs ».

La leçon de Marseille

Nulle part mieux qu’à Marseille ne s’exprime le mélange de passion amoureuse et de souffrance qui émaille son récit du 25 mars. De ses années d’immersion dans la « violence magnifique » à laquelle elle identifie cette ville, l’ancienne directrice adjointe de l’agence d’urbanisme garde la frustration d’un désir de projet jamais assouvi…

Et toujours vibrant, quand elle parle d’« apporter de la douceur en jouant sur la violence des contrastes », ou « de rendre la ville la plus elle-même possible… Amplifier l’identité, c’est la grande leçon de Marseille ». A cet instant, les webinaristes rassemblés par l’association Volubilis oublient leurs écrans, pour rentrer dans « la légende magnifique, qui rend une lumière saisissante, parfaite, avec ce bleu qu’on ne trouve nulle part ailleurs ». Nul besoin de powerpoint: la voix d'Ariella suffit pour transmettre le vent fou ou la brise caressante.

Les élus courageux

Mais l’amplification d’identité ne se décrète pas : elle requiert une volonté politique. Dans un rare hommage d’urbaniste aux élus locaux, Ariella Masboungi pulvérise les clivages : la maire de Nantes Johanna Rolland se retrouve aux côté du maire de Nice Christian Estrosi, comme incarnations d’un courage « presque anormal, dans un contexte pire que jamais, où les gens s’opposent à tout ».

Le franchissement des frontières fait partie de l’expertise qui concourt à son « plaisir de l’urbanisme », titre de l’ouvrage qui a accompagné son grand prix de 2016. Les paysagistes conseil de l’Etat se souviennent des joutes qu’elle a animées, lors de leur voyage d’étude de 2014 à Rome, entre la réformiste Paola Vigano, grand prix de l’urbanisme 2013, et l’ancien brigadiste Alberto Magnaghi, théoricien des biorégions urbaines. « A la fin de la rencontre, ils se comprenaient mieux », sourit Ariella Masboungi.

Le plaisir par l’altérité

De leur promenade envoûtante qui a souvent débordé des frontières de la Méditerranée, les participants à la rencontre du 25 mars retiendront ce ressort majeur du plaisir chanté par Ariella Masboungi : la confrontation avec l’autre. L’urbaniste méditerranéenne l’a illustré dans son éloge du paysagiste d'origine lorraine Alfred Peter, « la merveille du siècle, qui a réussi à transformer la promenade littorale de Cagnes-sur-Mer à Nice, grâce à son optimisme à toute épreuve ».

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