L’agence a entamé sa transition digitale en 2011 avec le projet du centre hospitalier universitaire de Guadeloupe à Pointe-à-Pitre. Quelles étaient vos motivations ?
Alain Bretagnolle : Le concours a été remporté en juin 2011 et le maître d’ouvrage, le CHU de la Guadeloupe, n’exigeait pas de Building information modeling (BIM). En tant que mandataires, nous avons initié cette démarche avec nos partenaires : Babel et l’Agence architectes associés, et Ingérop. Depuis, grâce aux bénéfices en phase études, le maître d’ouvrage envisage d’utiliser le BIM pour l’exploitation-maintenance des 85 000 m², 700 lits, plus de 4000 pièces, des systèmes techniques complexes, etc. qui constituent le CHU.
Laurent-Marc Fischer : Nous cherchions aussi un projet pilote à partir duquel élaborer notre transition digitale au sens large. Ce CHU par sa complexité (risque sismique, humidité de l’air, laboratoire de niveau P4, etc…) s’y prêtait parfaitement.
Comment s’est déroulée la consultation des entreprises ?
Laurent-Marc Fischer : Le cadre juridique des maquettes numériques n’est pas encore défini. Nous avons choisi de réaliser un contrat de concession des droits en collaboration avec la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'oeuvre. Ce qui signifie que les droits d’usage de la maquette numérique sont concédés dans le cadre d'une utilisation liée à ce projet. Dans ce cas précis, toutes les données (plans, tableaux, descriptifs des pièces…) ont été acquises par le maître d’ouvrage, au même titre que le droit de reproduction de l’œuvre, et transmises aux entreprises de manière ouverte dans le cadre de l’appel d’offres. Ce partage large des éléments numériques à l’appel d’offres a permis de réduire les risques et de gagner en précision. Résultat : trois quart des entreprises ont respecté les enveloppes budgétaires allouées et les études se déroulent de manière fluide entre les entreprises et l'équipe de maîtrise d'oeuvre.
"Nous avons mis en perspective la transition numérique de l’agence dans toutes ses composantes"
Comment êtes-vous monté en compétences sur le BIM ?
Laurent-Marc Fischer : Nos compétences méthodologiques ont facilité la transition vers le BIM. Les contraintes techniques nous ont amené à nous tourner vers Franck Bricaud (FB Architecture), est intervenu comme conseil au démarrage des études du CHU de la Guadeloupe. Au sein de l'agence, nous avons constitué une équipe support BIM spécifique pour accompagner la production, mis en place de « Cafés BIM » hebdomadaires pour échanger sur les bonnes pratiques, organisé un plan de formation pluriannuel et fait évoluer nos critères de recrutement. Cette équipe s’est étoffée en intégrant des compétences liées à l’architecture paramétrique.
Cette mutation est pilotée par Matia Pierre, notre directeur BIM. Il est titulaire du diplôme d’université « Modélisation numérique du bâtir, le BIM » créé en 2015 par le Pôle Environnement, Ville et Architecture en Ile-de-France, délivré par l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEM).
En quoi consiste cette formation ?
Alain Bretagnolle : Ce diplôme d’université s’adresse aux maîtres d’œuvre, constructeurs, maîtres d’ouvrages mais également aux gestionnaires et aux exploitants. La formation dure 28 jours répartis sur huit mois afin de pouvoir poursuivre une activité professionnelle en parallèle. Le diplôme est tourné vers l’opérationnel. Il part des besoins immédiats exprimés par les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre, les constructeurs et leur permet d’organiser leur transition numérique en formant non seulement des opérateurs, mais des managers, capables de prendre en main la transformation digitale de leur entreprise, chacun dans son métier mais avec une vision élargie qui prend la mesure des nécessaires transversalités.
La qualification délivrée par ce « D.U. BIM » est celle de Référent Process BIM et maquette numérique. La formation se déroule à Paris. Elle a déjà accueilli trois promotions et elle est en cours d’inscription au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) pour devenir un diplôme national, ce qui la différencie des certificats de formation délivrés par les mastères spécialisés. Ces derniers ne sont reconnus que par la Conférence des Grandes Ecoles.
"La quasi-totalité de l’agence est formée au BIM"
Où en êtes-vous sur le BIM aujourd’hui ?
Laurent-Marc Fischer : La quasi-totalité de l’agence est formée au BIM et 60 % des architectes travaillent couramment avec cette méthode. Pour ne citer que quelques chiffres, nous investissons 82 000 euros/an en logiciels et 64 000 euros/an en formation. L’investissement en matériel (stations de travail, tablettes…) a représenté 50 000 euros. Aujourd’hui, plus de 20 projets sont réalisés en BIM en phase études, dont la moitié en BIM niveau 2, voire parfois en niveau 3.
Nous sommes donc en mesure d’assumer la mission de Direction BIM (BIM Management en anglais) de tous nos projets pour la conception et l’accompagnement des entreprises sur le chantier. Tous les nouveaux projets intègrent cette transition numérique, y compris en phase concours. On observe par ailleurs qu’avec cette mission de Direction BIM, les maîtres d’ouvrages nous confient souvent la synthèse, le pilotage du chantier, le coût global et la préparation des contrats d’exploitation-maintenance.
Cela fait huit ans que ce projet est lancé, quels enseignements tirez-vous de cette expérience ?
Alain Bretagnolle : Le CHU de la Guadeloupe, comme d’autres projets en France et à l’international, constituent des opérations pilotes. Ils ont ouvert la voie à la structuration d’une approche BIM cohérente en études, en chantier et bientôt en exploitation-maintenance. Ces projets nous ont aussi donné une vision plus large de notre transition numérique afin de devenir une agence 3.0.
Nous venons ainsi de lancer un programme de R&D en partenariat avec le Conservatoire national des arts et métier sur le logement participatif, qui se traduira à terme par la mise à disposition d’une plateforme d’échange sur les données du projet et des outils numériques de co-design.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Alain Bretagnolle : Nous développons des recherches sur le paramétrique afin d’adapter des logiciels comme Rhinocéros ou Grasshopper à la programmation et à la conception. Si nous sommes architectes, nous sommes aussi urbanistes et le CIM (City Information Modeling) est donc aussi dans notre agenda à court terme.
Par ailleurs, nous avons participé à différents Think Tank numériques comme Smart Building for Smart Cities de la Smart Building Alliance (SBA) ou au Simulateur de la ville durable avec Veolia et Artelia à Santiago du Chili. Architecture-Studio est membre du Comité des partenaires d’Efficacity. Nous sommes donc en alerte sur tous ces sujets du point de vue professionnel mais également avec nos points de vue de citoyens car le numérique induit des transformations fondamentales du rapport à l’espace, à la société et au vivre ensemble.
Laurent-Marc Fisher : Les évolutions de l’architecture elle-même, de ses outils et de sa méthodologie induisent une évolution de la forme. Notre réflexion se tourne également vers les modes de conception de notre profession et de son rôle dans la production du bâti.