Il fut reproché il y a quelques mois au jury de l’équerre d’argent de récompenser une architecture trop raisonnable, trop effacée, trop peu marquante. Un tel reproche ne peut assurément pas être fait au jury du prix Pritzker.
En choisissant Nouvel il récompense une architecture qui s’affiche, qui détonne, qui épate, qui brille, en un mot une architecture bling-bling comme on dit aujourd’hui. Comment nos architectes vedettes (et leurs clients) ne se rendent-ils donc pas compte qu’ils ont atteint les limites du sensé. Chacune de leurs œuvres proclame son originalité, sa différence. Mais, proclamant toutes leur originalité, toutes leurs différences, elles proclament toutes la même chose, exactement, uniformément. Le profane ne s’y trompe pas, il les met toutes ensemble dans le même panier, celui de "l’architecture moderne". Et en effet cette architecture moderne est reconnaissable au premier coup d’œil.
La course effrénée à la différenciation conduit à la plus parfaite indifférenciation. Ne serait-il pas temps d’en prendre conscience ? Dans le domaine de la haute couture, atteint de la même folie de la différence, n’est-ce pas le constat qu’a fait Yves St-Laurent et qui l’a conduit à se retirer ? Nous aurons toujours besoin de fabriquer des vêtements pour nous habiller, toujours besoin de construire des bâtiments pour nous abriter et abriter nos activités en tous genres. Couture, architecture, sont des activités nobles, essentielles, vitales. La modestie ne leur sied-elle pas mieux que l’extravagance ? On peut comprendre que certains maîtres d’ouvrage souhaitent construire, qui le musée le plus extraordinaire, qui le siège social le plus sophistiqué, qui l’hôtel le plus luxueux, qui la tour la plus haute… l’histoire de la tour de Babel ne nous rappelle-t-elle pas qu’il en est ainsi depuis toujours ?
On peut comprendre aussi que des architectes répondent à ces demandes. Mais on pourrait attendre d’un jury comme celui du prix Pritzker, qu’au lieu de leur emboîter le pas, il cherche ailleurs la qualité architecturale. A l’heure d’une mondialisation qui voit se creuser dans des proportions proprement vertigineuses l’écart entre riches et pauvres, n’est-elle pas indécente cette architecture du toujours plus et de l’esbroufe ?...