Interview

"Après la crise, produire du logement abordable sera plus important que jamais", Alexandra François-Cuxac, FPI

Alexandra François-Cuxac, présidente de la Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI), dresse le bilan de ces quinze premiers jours de confinement sur l'activité immobilière. Elle insiste sur le rôle crucial de l'Etat et des collectivités dans la relance économique et dans la création d'un climat de confiance favorable à l'acquisition d'un logement. 

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AFC_0054-HD crédit Bernard Lachaud
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Quel est l’impact de ces premières semaines de confinement sur l’activité des promoteurs immobiliers ?

L’inquiétude est totale, la gravité de la situation est véritablement solennelle. Notre secteur n’avait jamais assisté à une crise aussi brutale, soudaine et imprévisible. L’appareil de production est quasiment à l’arrêt. Cela concerne, en amont, la prospection foncière et l’activité des permis de construire et, en aval, les ventes et les livraisons.

La grande majorité des chantiers a été interrompue ces dernières semaines. Quelle attitude la FPI va-t-elle adopter avec les entreprises de bâtiment. Ces dernières seront-elles pénalisées ? 

Le covid-19 réunit les trois conditions (irréversibilité, imprévisibilité et cause externe) qui définissent un cas de force majeure. Evidemment que la clémence et la bienveillance sur les sujets d’indemnités de retard seront de mise. Aujourd’hui, ce qui importe aux promoteurs immobiliers et aux acteurs de la chaîne du logement, c’est bien sûr de protéger leurs familles et leurs salariés, mais aussi de préserver l’entreprise et l’outil économique de manière à ce que nos collaborateurs retrouvent, après la crise, le travail mis entre-parenthèses à ce moment-là.

Quelles sont les inquiétudes de vos adhérents ?

Elles sont d’abord financières. Quand la trésorerie ne rentre pas dans les entreprises, c’est évidemment très préoccupant. Aujourd’hui, nous utilisons les outils mis à notre disposition pour nous permettre de passer la tempête : crédit de trésorerie, recours au chômage partiel, arrêts indemnisés pour garde d’enfants. L’inquiétude porte aussi sur la durée de la crise sanitaire et surtout du confinement. Même avec la meilleure volonté, on ne pourra pas travailler à distance de manière très productive. Si la crise devait durer plusieurs mois, il est évident que cela aurait un impact très fort sur l’économie et donc sur les chiffres d’affaires, les commandes, l’offre immobilière et l’emploi.

La promotion immobilière ne bénéficie pas des aides de la Banque Publique d’Investissement (BPI). Est-elle tout de même éligible au fond de garantie de l’Etat ?

Il est vrai que la promotion immobilière n’a jamais bénéficié en direct des prêts de la BPI. Cela n’a pas changé avec la crise. En revanche, les 300 milliards de garantie qui ont été débloqués par l’Etat, eux, vont nous permettre d’accéder à ces prêts. C’est-à-dire que les crédits de trésorerie concédés par les banques aux sociétés de promotion immobilière seront garantis par la BPI.

La FPI travaille avec le Conseil Supérieur du Notariat (CSN) pour obtenir dès que possible, par décret, un assouplissement des règles de fonctionnement des études, pour faciliter l’usage du numérique et de la visioconférence et permettre ainsi la signature des actes à distance. Où en est-on ?

Nous essayons d’être très opérationnels, de trouver des solutions qui fonctionnent pour permettre les actes à distance et débloquer les trésoreries et permettre à nos clients qui ont envie d’acquérir de le faire. Nous avons aujourd’hui des clients qui sont réservataires, qui ont envie d’acquérir leurs logements et qui sont suivis dans leurs projets par les banquiers. Cette mobilisation ne doit pas être freinée et bloquée par des problématiques matérielles. Nous travaillons donc depuis le début du confinement avec le ministre du Logement, la Garde des sceaux et le Conseil Supérieur du Notariat (CSN) pour tenter de faire assouplir les règles de fonctionnement des études et permettre aux notaires de procéder à la signature d’actes de vente dématérialisée, grâce aux outils numériques. Le statut spécifique de la Vente en l’état futur d’achèvement (Vefa), qui ne nécessite ni visite ni déplacement sur site, pourrait se débloquer plus vite. Cela permettrait aussi aux promoteurs de poursuivre les acquisitions engagées avec les bailleurs sociaux et les partenaires institutionnels, comme Caisse des dépôts ou Action Logement, qui sont acquéreurs de logements intermédiaires. La dématérialisation est une des solutions à la crise et un levier pour accélérer le changement.

Ce décret peut-il vraiment changer les choses alors que la plupart des notaires n’ont pas encore fait leur révolution digitale ?

Ce n’est pas la technologie qui est un frein à la signature des actes. C’est la loi de 1971 qui est bloquante. La plupart des personnes ont un ordinateur, un logiciel de visio-conférence. C’est très facile. Il suffit qu’il y ait un notaire et deux clients derrière un écran.

Quand est-ce que ce décret pourrait voir le jour ?

La volonté politique est là. Les cabinets des ministres travaillent sur un projet modificatif du décret de 1971. Cela pourrait donner lieu à la publication d’un décret dans les prochains jours. 

Lors de votre conférence de presse du 5 mars dernier, dix jours avant les mesures de confinement, vous anticipiez déjà une année 2020 très difficile pour les promoteurs immobiliers. Avec le coronavirus, le scénario ne risque-t-il pas d’être plus noir encore ?

Nous étions déjà confrontés en 2019 à une pénurie d’offres liée à une production de permis de construire insuffisante. Avec la crise, ces difficultés vont encore s’aggraver. Il n’est question ni de baisser les bras, ni de tout lâcher. La demande était au plus haut, très forte avant la crise. Je pense qu’elle reste toujours intacte, simplement les gens ont besoin de rester en confiance par rapport à un secteur qui est temporairement à l’arrêt mais qui a, dans son ADN, la capacité de rebond nécessaire pour s’en sortir. La confiance de nos concitoyens, qui ont toujours considéré la pierre comme une valeur refuge, sera évidemment déterminante. Mais ce sont avant tout l’Etat et les collectivités qui doivent recréer les conditions de cette confiance. S’acheter un logement neuf, c’est avoir envie de se réfugier mais c’est aussi un acte de confiance en l’avenir. Pour éviter une catastrophe, il va falloir que tous les acteurs se mobilisent autour de notre filière, qui pèse 10 % du PIB et 210 milliards d’euros.

La FPI a dénoncé, avec huit organisations professionnelles de la construction, de la promotion et de l’aménagement, les conséquences de "les conséquences catastrophiques"  de l’ordonnance du 25 mars 2020 sur la prorogation des délais d’instruction des autorisations d’urbanisme. Que craignez-vous pour l’immobilier neuf et quelles solutions proposez-vous ?

Il faut une mobilisation à toutes les étapes. Les pouvoirs publics ont pris 25 ordonnances en huit jours : qu'il y ait quelques ajustements à faire dans la foulée, c'est légitime. Le tout, c'est de corriger ! Notre enjeu est d'éviter une année blanche en 2020. Les conséquences économiques pour l'ensemble des professions du secteur, en cas d'un décalage massif des opérations, seraient incalculables. Notre métier de promoteur immobilier est d'anticiper, de programmer, de travailler avec les collectivités locales, en premier lieu sur les demandes de permis de construire. Cela deviendrait impossible dans ces circonstances et créerait un trou dans l'activité pour tous les corps de métiers. 

Après la crise, réclamerez-vous un « plan Marshall » pour la construction de logements ?

La crise montre la place prioritaire du logement. Il faudra tirer les leçons de cette crise et revenir à l’essentiel. Produire un logement abordable en termes de prix pour nos concitoyens sera donc plus important que jamais. Ensuite, avoir un logement qui soit respectueux de l’environnement et de la santé de ses occupants, sera également central. Il faudra que ces constructions vertueuses se fassent à prix et à coûts constants, grâce au soutien financier de l’Etat. Comme après chaque crise, l’ensemble des acteurs -et au plus haut niveau le gouvernement-, doivent recréer les conditions d’une reprise économique, secteur par secteur. Il faut se mobiliser pour que cette sortie de crise soit orchestrée d’une manière suffisamment réfléchie, travaillée, pour enclencher des solutions vertueuses et produire du logement abordable, respectueux de l’environnement et bon pour la santé, en phase avec les préoccupations majeures de nos concitoyens.

Anticipez-vous une crise de l’immobilier et une baisse des prix ?

Il y a deux scénarios possibles. Dans le premier, on peut imaginer que la crise va générer une pénurie de logements, ce qui aura pour conséquence une augmentation des prix. Dans un deuxième scénario, on peut imaginer que les entreprises auront tellement souffert qu’elles vont devoir brader leurs stocks. Mais, étant donné que nous n’avons pas de stock, je vois assez mal le scénario d’une baisse de prix se mettre en place.

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