Combien d’architectes rêvent-ils du matériau idéal ? Si beau qu’il reste apparent à l’extérieur comme à l’intérieur, si solide qu’il permet d’édifier la plus élégante des tours, si isolant qu’une façade de 15 cm d’épaisseur suffit pour garantir le meilleur confort, avec une consommation d’énergie minimale ou nulle. Il serait évidemment économique, respirant, facile à mettre en œuvre, recyclable et biodégradable. Minéral, végétal, organique, composite, naturel, synthétique ? Les belles matières ne manquent pas, mais aucune n’est à la fois structurelle et isolante, aucune ne peut être considérée comme idéale. Le bois propose le « moins mauvais » compromis, puisqu’il est presque isolant, assez résistant pour édifier un bâtiment de plusieurs étages (R 4 en France, mais dans les pays nordiques plusieurs projets atteignent R 8), renouvelable – du moins quand il est issu d’une forêt gérée durablement – et recyclable. Le béton, avec une masse volumique pouvant atteindre 2,4 t au m3 est un matériau très dense. Cette donnée explique les propriétés physiques principales du béton, à savoir son inertie, thermique et acoustique, et sa résistance à la compression. A contrario, la matière qui peut être considérée comme le seul véritable isolant utilisé dans le bâtiment, l’air, emprisonné dans des fibres ou des micros billes, pèse seulement 1,29 kg le m3. L’air présente une très faible conductivité thermique (0,024 W/m.°C contre de 1,6 à 2,1 pour le béton), mais ses performances mécaniques sont bien évidemment dérisoires. Des bétons dits « allégés » ont ainsi été mis au point et sont exploités depuis longtemps. L’intégration de bulles d’air – sous la forme de granulats de pierre ponce ou de billes d’argile expansée par exemple – est bien connue. De même, on peut considérer que le béton cellulaire relève presque d’une technique traditionnelle.
Le béton cellulaire , 80 % d’air pour 20 % de matière solide
La technique du bloc en béton cellulaire a été popularisée sous la marque Siporex, aujourd’hui disparue. Le marché français est désormais dominé par les Produits Ytong de Xella, inscrits dans une gamme dénommée « monomur Thermopierre ». Encore relativement marginal dans l’Hexagone, le béton cellulaire est présent dans plus de 15 % des petits bâtiments en Allemagne. La composition typique d’un béton cellulaire comprend 65 % de sable de quartz, 20 % de ciment, 15 % de chaux, 1 % de gypse et d’eau. L’ajout de 0,05 % de poudre d’aluminium produit en autoclave une « expansion » du mélange telle qu’un m3 de matière première fournit 5 m3 de béton cellulaire. Autrement dit, un bloc est constitué de 80 % d’air, pour seulement 20 % de matière solide. Sa composition se traduit par un bon pouvoir isolant, mais une résistance mécanique limitée. A noter également les qualités « hygrorégulatrices » du béton cellulaire, qui laisse migrer la vapeur d’eau dégagée à l’intérieur du bâtiment.
Xella a présenté à Batimat 2009 le « monomur bio climatisant » de 50 cm d’épaisseur, dont les performances satisfont les exigences d’une construction BBC (donc celles de la RT 2012). Cette épaisseur importante induit des proportions inédites : le bloc « bio climatisant » se présente comme un composant plat rectangulaire de 62,5 cmx 50 cm x 15 cm. Des accessoires tels que bloc poteau ou linteau permettent de minimiser les ponts thermiques. Ce monomur composé de blocs solidarisés par une colle spécifique garantit une perméabilité à l’air élevée. L’épaisseur de 50 cm permet aussi une certaine inertie et les flux de chaleur rentrant en hiver ou sortant en été sont atténués et ralentis de manière impressionnante : seulement 0,23 % de l’énergie traverse le mur et l’onde de chaleur met 23 h 12 pour effectuer ce transfert. Le poids d’un bloc est de 22 kg et la mise en œuvre est identique à celle de tout bloc de béton cellulaire, exigeant donc une pose à joint mince collée très soignée, sur la base d’une première rangée bien horizontale et protégée des remontées capillaires. La diffusion du béton cellulaire en France est sans doute limitée par un réseau d’entreprises expérimentées encore assez peu étoffé et par un domaine d’application réduit aux bâtiments d’une hauteur n’excédant pas R 1 combles.
Le béton de pierre ponce, 100 % recyclable
Surtout utilisée dans les secteurs de la pharmacie ou du cosmétique, la pierre ponce, roche d’origine volcanique, poreuse et de faible densité, peut également entrer dans la composition de blocs en béton isolant. Leur fabrication suit des étapes comparables à celles d’un bloc en béton ordinaire, avec malaxage, moulage, pressage. Le séchage s’effectue à l’air libre ou en étuve pendant au moins 48 h, avant rectification nécessaire à une pose à joints minces. L’énergie grise dépensée par ce processus est faible. Si la matière première est importée – principalement de Turquie –, plusieurs entreprises françaises fabriquent et commercialisent des blocs en béton de pierre ponce, notamment Cogetherm (produits Cogebloc), VTherm (Tarmabloc), Ecoponce (Ponce bloc) et Ilos (brique Blocisol). Chez Ponce bloc, le mélange associe 8 % de ciment et des granulats de pierre ponce légère (300 kg/m3) calibrés à 12 mm. La mise en œuvre est de type monomur, avec une hauteur limitée en zone sismique à R 1 combles. Les dimensions et la forme des composants diffèrent d’un fabricant à l’autre, avec par exemple sur les Ponce blocs un dispositif d’emboîtement des chants qui permet de s’affranchir des joints verticaux. Pour un bloc « MT 11 » de 30 cm d’épaisseur, la résistance thermique atteint 2,95 m².K (la RT 2005 exigeant une résistance comprise entre 2,5 et 2,7).La composition des mortiers de joint étant quasiment identique à celle du béton des blocs, la paroi est homogène. Le mur est respirant, évitant la prolifération des champignons, moisissures et autres problèmes liés à une condensation superficielle. Classé M0, les monomurs en béton de pierre ponce sont coupe-feu trois heures et pare-feu six heures. Seules les épaisseurs importantes (30 cm ou plus) peuvent être compatibles avec une construction BBC à isolation répartie (sans doublage isolant). Le béton de pierre ponce est recyclable à 100 %. Il présente donc un bilan environnemental globalement positif, en dépit de l’importation de la matière première par voie maritime.
Le béton de chanvre, en bloc ou projeté
Les enduits à base de chaux et de chanvre sont utilisés depuis des siècles dans l’habitat vernaculaire. Les bétons de chanvre modernes se perfectionnent depuis une quinzaine d’années sous deux formes : les blocs et le béton projeté. Ces deux variantes sont réservées à la réalisation de remplissages isolants dans une ossature, habituellement en bois mais l’acier et le béton armé ne sont pas exclus. La résistance à la compression d’un béton de chanvre est plutôt faible, mais il est en revanche capable de supporter d’importantes déformations sans rupture. Les composants de base sont la chènevotte sous forme de fibres courtes (1 à 3 cm) et minces (2 à 5 mm) et la chaux aérienne qui s’est imposée comme liant idéal par ses capacités de rétention d’eau. Selon le dosage, la densité varie entre 250 et 400 kg le m3.
Les blocs adoptent une présentation proche de celle d’un élément en béton plein conventionnel. Le plus connu sans doute est le « Chanvribloc », disponible en plusieurs épaisseurs de 10 à 30 cm, pour des longueurs et largeurs fixes de respectivement 60 et 30 cm. La résistance thermique d’un bloc de 30 cm atteint 4,28 m²K/W et le déphasage mesuré selon la norme ISO 13786 est de 18 h 45. Efficaces sur les plans thermique et phonique, les blocs en béton de chanvre sont perméables à la vapeur d’eau, recyclables et biodégradables. L’aspect d’un mur en béton de chanvre projeté évoque celui d’un béton banché traditionnel. Selon la performance recherchée, l’épaisseur sera comprise entre 6 et plus de 30 cm. La propriété thermique la plus remarquable du béton de chanvre (en dehors de son pouvoir isolant) réside dans son aptitude au changement de phase de l’eau qu’il contient à des températures courantes. Ainsi, une paroi en béton de chanvre va générer un effet de rafraîchissement par vaporisation de l’eau à la chaleur, ou au contraire une émission de calories quand la vapeur va se liquéfier dans une atmosphère fraiche. Le confort est de la sorte optimisé de jour comme de nuit, en été comme en hiver.
Les règles de l’art en cours de révision portent sur des constructions R 1. En pratique, la limite technique est celle de l’ossature qui supporte le béton projeté. Ainsi, sur un immeuble de logement social R 3 en chantier à Paris, l’architecte Ilhem Belhatem (agence D architecte) a prescrit une épaisseur de 46 cm. Le maître d’ouvrage et le bureau de contrôle ont finalement validé cette solution sans ATEX (jugée inutile pour un matériau de remplissage). La structure du bâtiment est en béton armé et seule la façade est à ossature bois. Des panneaux de type Fermacell serviront de coffrage « perdu » et de finition intérieure. A l’extérieur, un béton de chanvre fortement dosé en chaux (Tradical de chez BCB) formera une peau « respirante ». L’architecte Jean-Yves Barrier a également en projet à Tours un bâtiment à ossature bois et façade en béton projeté, qui sera protégé et « exposé » derrière un parement en polycarbonate. Il décrit cette technique associant ossature bois et béton de chanvre projeté comme le « colombage du XXIe siècle ».
Le béton à base de billes d’argile
Alors que les solutions précédemment évoquées permettent de créer principalement des bétons de remplissage ou des blocs porteurs limités à R 1 en raison de leurs faibles résistances mécaniques, les chercheurs de Lafarge et de Bouygues Construction ont visé avec Thermedia 0.6 B un compromis original, préservant une résistance à la compression de 25 Mpa, valeur suffisante pour une grande majorité de programmes. Le coefficient de déperdition lambda de ce béton formulé à base de billes d’argile est de 0,58 W.m.°K, imposant la mise en place d’un doublage isolant à l’intérieur. L’intérêt de ce béton Thermedia 0.6 B est cependant réel puisque sa conductivité thermique est divisée par trois par rapport à celle d’un béton standard. De même, l’impact des ponts thermiques entre le voile de façade et les planchers est réduit de 35 % et cela sans rupteur thermique.
Sur un immeuble en R 5 en cours de construction à Nanterre (58 logements et 4 000 m² de surface totale, maître d’ouvrage Logirep, maître d’œuvre 3M architecte), le niveau de performance est de 20 % meilleur que les exigences de la RT 2005. Pour atteindre le niveau BBC de la RT 2012, l’isolation devra être renforcée et des rupteurs thermiques mis en place devant les planchers. Cependant, ces améliorations ne devraient pas poser de problèmes insolubles en termes de complexité constructive et de coût, malgré la nécessité d’utiliser environ un tiers d’armatures supplémentaires. Avec un béton ordinaire, il aurait fallu prévoir une épaisseur d’isolant égale ou supérieure à 30 cm. Partenaire de Lafarge dans le développement du béton Thermedia 0.6 B, Bouygues Construction bénéficie d’une exclusivité de deux ans pour l’exploitation de ce « béton thermique ». Celui-ci sera ensuite intégré au catalogue Lafarge et donc accessible à toutes les entreprises.
Isoler ne suffit pas
L’arrivée de la RT 2012 risque de provoquer de profondes remises en cause dans la conception des bâtiments. Pourtant, au-delà des exigences quantitatives alignées sur le standard BBC, les notions qualitatives d’ambiance, de lumière, d’espace, comme les « valeurs traditionnelles » de l’architecture, la pertinence de l’implantation et la volumétrie, la charge émotionnelle et symbolique des formes et des matières, doivent toujours primer dans l’esprit des concepteurs. L’architecte doit résister à la tentation de la « boîte Thermos », certes isolante mais inhabitable. Paradoxalement, les progrès extraordinaires des vitrages et des menuiseries transforment d’une certaine manière le point faible historique de l’enveloppe en point fort. En effet, une baie vitrée performante orientée au sud et pourvue d’une occultation efficace aura un bilan énergétique positif sur l’année, y compris dans la moitié nord du pays.
Concilier l’esthétique du béton apparent et un haut niveau d’isolation ne va pas de soi. La conclusion qui s’impose demeure l’impossibilité, dans l’état actuel de la recherche – et peut être définitivement pour des raisons physiques – de créer un bétonqui soit à la fois structurel et isolant. Les solutions présentées ici, dont la plupart sont absentes du « catalogue de références » de la RT 2012, proposent cependant des pistes intéressantes pour différentes catégories de programmes, en particulier pour les édifices de petite et moyenne taille. Légitime dans son ambition de promouvoir une nouvelle génération de bâtiments plus économes en énergie et respectueux de l’environnement, la RT 2012 s’annonce comme un défi par les contraintes techniques, économiques et formelles qu’elle impose aux concepteurs et aux entreprises.
