L'Allier est l'une des dernières rivières sauvages d'Europe. Et jusqu'à récemment, à Moulins (Allier), elle se laissait difficilement franchir. Seul le pont Régemortes, bel ouvrage du XVIIIe siècle, permettait de faire transiter les piétons et les véhicules de rive à rive. Une traversée inconfortable pour les marcheurs, cheminant sur des trottoirs étroits et frôlés par 22 000 vé-
hicules journaliers. Mais la rivière s'est laissé apprivoiser grâce à la transformation en ouvrage piétonnier d'un pont ferroviaire désaffecté situé à 1 km en amont du franchissement historique. Livrée mi-2021, l'opération est le point de départ d'un projet plus global de reconquête des rives de l'Allier porté par la communauté d'agglomération de Moulins. L'appel d'offres, lancé en 2017, avait permis de désigner l'agence Base Paysage pour établir un plan-guide et réaliser les aménagements.
Concrétisation capitale de cette feuille de route approuvée fin 2018, une seconde vie a donc été donnée à l'un des premiers ponts métalliques réalisés en France pour une voie ferrée. Cette structure de 1859 associe deux poutres de rive (pont bipoutres) en tôle rivetée à des piles de béton cerclées de métal et liées deux à deux par des croix de Saint-André. « Le pont étant désaffecté depuis 1983, nous avons signé avec la SNCF une convention d'occupation pour trente ans, en mai 2019 », précise Nadine Bourleau, responsable du service aménagements ouvrages à la communauté d'agglomération.
Sentiment de marcher sur l'eau. Avec ce changement de destination, celui qui était surnommé jusqu'alors le « pont noir » a pris de la couleur, transfiguré par une nouvelle mise en peinture. Du noir souligne toujours les éléments structurels existants, mais aussi les pièces rapportées en sous-face, tandis qu'un orangé vitaminé illumine tous les aménagements propres à la promenade, à savoir la bordure du platelage en chêne, les balustrades ou encore les trois points d'étape de la traversée : l'observatoire gradiné installé au-dessus des jardins inondables, le balcon au plancher de verre en porte-à-faux qui donne le sentiment de marcher sur l'eau, et la « tour nuage » qui hisse le promeneur entre les cimes des arbres. « Cet orangé rappelle l'oxydation naturelle du pont, visible sur les parties qui n'ont pas été reprises faute de budget suffisant, commente Maxime Cailleau, chef de projet pour Base. Exaltée par la mise en lumière nocturne, cette couleur affirme surtout la nouvelle identité de l'équipement depuis le lointain. » Au débouché du pont, rive droite, les 380 m d'une allée piétonne aux larges bordures plantées amorcent un cheminement qui pourrait aller jusqu'à la gare, en centre-ville. Côté rive gauche, on gagne le pont par un chemin haut sur la digue fluviale. Mais pour permettre l'accès aux personnes à mobilité réduite et aux cyclistes, par les berges basses, une rampe a été créée. Elle est portée par un impressionnant ouvrage de soutènement, lui-même adossé au talus de la voie ferrée. « Posé sur des fondations en graves, il s'agit d'un caisson à structure de traverses et longrines de mélèze, et rempli de pierres de ballast », explique Maxime Cailleau. Certaines des longrines visibles en parement ont été brûlées pour la beauté de l'effet.
Un troisième pont en 2023. En aval, une « prairie équipée » de 2 ha propose des installations de loisirs, tels que terrains de volley-ball ou de pétanque, ainsi que des étendues librement appropriables, jusqu'aux flots de l'Allier. Seront bientôt installés trois pontons qui permettront les baignades, jusque-là interdites.
A plus vaste échelle, cette réappropriation de la rivière permettra de créer une boucle complète de découverte pédestre autour de la ville. Le circuit sera d'autant plus large que, fin 2023, un troisième pont devrait être mis en service à 800 m en aval du pont Régemortes.
