Loin d'être le vœu pieux d'une relocalisation des activités parties à l'étranger, la réindustrialisation des territoires est un phénomène tangible. « Depuis 2017, non seulement nous assistons à une prise de conscience de l'intérêt de développer des activités industrielles en France, mais les créations sont supérieures aux fermetures », note Gwénaël Guillemot, directeur de l'Institut de la réindustrialisation. Pour Nathalie Thieulot, référence régionale industrie à la chambre de commerce et d'industrie (CCI) Ile-de-France, « les projets émanent de start-up qui veulent maîtriser leurs process ou d'entreprises souhaitant réintégrer une activité de sous-traitance ou augmenter leurs capacités de production en déménageant ».
Avec 2,8 millions de salariés et 260 000 entreprises selon France Stratégie, l'industrie semble avoir le vent en poupe. « Après une période de recul, les entreprises du secteur souhaitent à nouveau pouvoir se développer dans des conditions favorables », confirme François Blouvac, responsable du programme Territoires d'industries à la Banque des territoires. Pour autant, de nombreux freins restent à lever.
Changer les mentalités. Parmi eux, le plus informel est aussi celui qui est le plus souvent cité : une représentation de l'industrie lourde, polluante et énergivore, qui effraie certains élus locaux et leurs populations. « Le mot “industrie” fait encore peur », constate Laurent Cappelletti, professeur titulaire de la chaire comptabilité et contrôle de gestion au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), qui a remis en 2022 au haut- commissaire au plan un rapport sur les « actions utiles » en matière de réindustrialisation durable des territoires. Et de poursuivre : « La France est engagée dans une réindustrialisation bas carbone alors qu'une partie de l'opinion publique, surtout dans les territoires où l'industrie est historiquement faible, pense immanquablement au charbonnage. C'est dommage quand l'on sait que les nouveaux projets étudiés intègrent au niveau du bâti les dernières innovations en matière d'économies d'énergie. » Sans aller jusqu'à l'industrie 4.0 (lire p. 11), « celle qui associe réalité virtuelle, outil de production robotisé et numérisation de l'outil industriel » comme le souligne Gwénaël Guillemot, les start-up ou PME innovantes qui cherchent à s'implanter ne relèvent pas, loin de là, des modèles du passé. « Non seulement, l'industrie n'est pas un vecteur de nuisances, mais elle offre la proximité d'une production sur notre sol, qui répond à une recherche d'autonomie nationale face à des difficultés d'approvisionnement ainsi qu'aux besoins de développement durable », estime Frédéric Goupil de Bouillé, président de l'Association des directeurs immobiliers (ADI), qui vient de publier un manifeste pour la réindustrialisation. « L'une de nos 12 propositions consiste à diviser la sous- destination industrie au sein du Code de l'urbanisme en deux. L'idée est d'éviter une approche monolithique, et de différencier les activités manufacturières peu polluantes et peu consommatrices de foncier de celles plus traditionnelles », ajoute-t-il. Parmi les propositions du rapport parlementaire du député (Renaissance) Guillaume Kasbarian figure la possibilité de « mobiliser le pouvoir de dérogation du préfet pour mieux tenir compte des circonstances locales de projets comme ceux ne faisant pas l'objet d'une étude d'impact environnemental ».
L'information, nerf de l'implantation. Autre écueil : en matière de recherche de foncier, trop d'information tue l'information ! Pour François Blouvac, « elle est très morcelée, et l'accès au répertoire du foncier disponible lacunaire. Il importe aux industriels de connaître les mètres carrés disponibles, les accès à l'énergie dans un écosystème adapté à leur activité, tout en ayant l'assurance de disposer de ressources humaines et de compétences.
Une actualisation de la data permettrait de construire la bonne adéquation. » Les outils existent mais ils doivent être abondés et mis à jour régulièrement par les acteurs concernés (services de l'Etat, collectivités locales, BPI, Pôle emploi, Cerema, etc.). C'est le cas de Dataviz Territoires d'industrie, service de data visualisation et de cartographie porté par la Banque des Territoires qui agrège données publiques et privées.
Dans le même ordre d'idée, Cartofriches, lancé par le Cerema, est appelé à se développer. « Cette base de données doit être alimentée par les collectivités locales et agréger les cartes d'identité, nouvellement créées, pour chaque site ICPE (installations classées protection de l'environnement) », souhaite le président de l'ADI. Ce dernier réclame que « les données de Géoportail [mis en œuvre par l'IGN, NDLR] informent systématiquement, sous forme d'alertes, et le plus en amont possible les entreprises sur les modifications des PLU ». Pour l'instant, il salue l'offre de 127 « sites industriels clés en main » immédiatement disponibles pour recevoir des activités industrielles ou logistiques, et où les procédures en matière d'urbanisme, d'archéologie préventive ou d'environnement ont été anticipées. « Prolongée jusqu'en 2026, cette initiative de l'Etat prise dans le cadre de Territoires d'Industries, veut démontrer qu'il est possible d'offrir des solutions adaptées - comme l'hydrogène - pour les industries grandes consommatrices d'énergie », précise François Blouvac.
Enfin, dans un contexte de raréfaction du foncier, notamment avec les enjeux du zéro artificialisation nette (ZAN), chacun se tourne vers les friches industrielles. Dans le cadre du plan de relance, l'Etat a débloqué un fonds de 750 M€ pour financer des opérations de recyclage des friches sur des fonciers artificialisés. Certains souhaitent que ce fonds, parfois décrit comme inadapté, devienne accessible aux collectivités locales : « Elles devraient pouvoir financer les travaux de pré-dépollution avant même que le site ne soit sélectionné pour y développer un projet », propose l'ADI.
- 2,8 millions de salariés
- 260 000 entreprises industrielles
- 322 400 sites répertoriés par Casias, la Carte des anciens sites industriels et activités de services
Source : Livre blanc de l'ADI, septembre 2022.
Fluidifier le montage des projets. Enfin, la dynamique de réindustrialisation semble pâtir d'une absence de concertation entre les acteurs concernés. « Les collectivités freinent soit volontairement, soit sous la pression de leur population tandis que les industriels avancent sans confiance, constate Laurent Cappelletti. Le manque de méthodologie dans la gestion de projet est fréquent. » C'est également un enjeu de taille pour l'ADI qui demande la mise en place d'un « guichet unique dans chaque préfecture départementale » et la création d'une « plateforme digitale faisant l'interface entre l'administration et le porteur de projet ».
Laurent Cappelletti va plus loin : « S'il y avait une innovation à apporter, ce serait de faire passer ces projets de réindustrialisation par une contractualisation entre la collectivité territoriale concernée - les régions y travaillent -, l'Etat qui parlerait d'une seule voix, et l'industriel. Elle serait nourrie d'indicateurs de pilotage et de réunions de suivi. Surtout, elle ne devrait pas disparaître au moment de la signature du projet, mais être pérennisée durant l'implantation et jusqu'à deux à trois ans après le lancement de l'activité. » Selon lui, tout concourt à cet objectif : « Le contexte international, l'évolution des activités industrielles et la valeur ajoutée des métiers concernés. »