La vision d'une poignée de technocrates qui, il y a cinquante-six ans, ont donné naissance aux parcs naturels régionaux (PNR) reste éminemment actuelle. Pour preuve, celui des Vosges du Nord a signé le 19 octobre dernier un contrat de réciprocité avec l'Eurométropole de Strasbourg (Bas-Rhin), pour une durée de trois ans. Sur ses thèmes de l'éducation à la nature, de l'énergie décarbonée ou du soutien aux filières courtes, en particulier celle du bois, se retrouve l'inspiration des pères fondateurs : « Réconcilier ville et campagne, nature et culture, passé et avenir », comme l'énumérait l'ingénieur agronome Guillaume Dhérissard, en 2017 à l'occasion du cinquantenaire des PNR. En septembre 1966, à Lurs-en-Provence (Alpes-de-Haute-Provence), un séminaire de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (Datar) avait dessiné les contours de ces territoires de respiration et d'expérimentation. Six mois plus tard, le président de la République Charles de Gaulle signait leur acte de naissance, par un décret du 1er mars 1967.
De l'exode rural à la pression urbaine. Depuis lors, 58 syndicats mixtes se coulent dans le même modèle de démocratie locale et de cohésion des échelles territoriales. « Impulsés par les régions, portés par l'Etat, les parcs n'existent que par l'adhésion des communes à leur charte », rappelle Eric Brua, directeur de la Fédération nationale des PNR (FNPNR), dont les membres représentent 17 % du territoire et 4 millions de Français. Certes, les enjeux ont évolué. « De Gaulle voulait protéger la campagne de l'exode rural, alors qu'aujourd'hui, la fragilité vient de la pression urbaine », rembobine Eric Brua. Mais plus que jamais, la recherche de l'harmonie des contraires reste d'actualité : souveraineté énergétique et industrielle d'une part, protection de la biodiversité de l'autre.
Pour mettre en œuvre ce programme, les parcs jouissent d'une légitimité juridique renforcée depuis la loi Paysage de 1993, célébrée du 18 au 20 octobre dernier par la FNPNR sous la forme d'un séminaire à Strasbourg et dans les Vosges du Nord. Dans leur périmètre, le texte impose la compatibilité entre les plans locaux d'urbanisme et les chartes qui encadrent leur aménagement, pour une durée de quinze ans. A l'échelle planétaire, un nouveau renforcement de la légitimité de ces parcs est venu en décembre 2022 de la Conférence des parties pour la biodiversité (COP 15) réunie à Montréal : les PNR contribuent à l'objectif « 30 % d'aires protégées en 2030 » fixé par les Nations Unies.
Le cadre et les méthodes en cours dans les parcs méritent d'autant plus l'attention qu'ils s'adaptent aux contextes les plus divers : de cinq habitants au km2 dans le Queyras (Hautes-Alpes) jusqu'à 380 en Scarpe-Escaut (Nord), de la plaine à la montagne, avec un pouvoir d'achat moyen allant du simple au triple, les 58 PNR reflètent la diversité de la ruralité française. A l'exception de la région Auvergne-Rhône-Alpes où l'élection de Laurent Wauquiez en 2016 a stoppé deux projets, l'attractivité du modèle reste intacte. Depuis la naissance du doyen Scarpe-Escaut en 1968, la croissance suit en effet un rythme de croisière d'une création par an. En cet automne 2023, une dizaine de territoires attendent le décret qui validera leur première charte. La force du bilan justifie ce mouvement notamment sous l'angle de la consommation foncière : les PNR artificialisent deux fois moins que les autres territoires, selon le rapport « Objectif ZAN », publié en janvier 2021 par la fédération. La statistique mérite d'autant plus l'attention qu'elle se conjugue avec une surperformance économique. « La production représente 37 % de l'activité de nos territoires, contre 32 % dans le reste du pays, métropoles comprises », attestait en 2021 Michaël Weber, président de la FNPNR.
Essaimage dans les petites villes. Mais les parcs ne sont pas des bulles étanches. L'une de leurs vocations consiste à sortir de leur périmètre pour diffuser les expériences et le savoir-faire de leurs 2 000 agents. Dans le domaine de la revitalisation des bourgs et de l'accompagnement du ZAN, l'essaimage s'est traduit, dans les « Petites villes de demain », par la multiplication d'ateliers hors les murs, une formule rodée de longue date par les écoles d'architecture dans le cadre de leur convention avec la FNPNR. « A deux reprises depuis 2017, cette démarche nous a beaucoup inspirés, d'abord dans le choix de commencer par densifier l'existant, puis dans le processus d'extension du village », témoigne Gilbert Chabaud, maire de Saint-Pierre-de-Frugie (Dordogne), commune du PNR Périgord-Limousin sélectionnée cette année à l'issue de l'appel à projets pour les plans de paysage du ministère de la Transition écologique.
Dans le registre de la planification locale, la contagion du modèle horizontal des PNR se manifeste auprès de leurs grands frères, les parcs nationaux, nés en 1961, toujours à l'initiative de Charles de Gaulle, mais dans un processus vertical : l'Etat y établit des sanctuaires inviolés. La loi Giran de 2006 a rapproché les deux familles, en imposant aux parcs nationaux d'inscrire dans des chartes leurs relations avec les communes de leurs territoires. Ces documents ne diffèrent plus beaucoup de ceux qui encadrent les PNR, à en juger par l'étude comparative menée par le sociologue Arnaud Cosson en 2016. Depuis lors, le croisement des regards s'approfondit sous l'égide de l'Office français de la biodiversité, mais avec une ligne de démarcation claire : les parcs nationaux ont intégré cette nouvelle institution, tandis que les régionaux contribuent à l'alimenter, fidèles à une position constante dans leur relation avec le pouvoir central, entre proximité et indépendance.
Eau - Des corridors aquatiques se substituent à des étangs en surchauffe
Deux étangs supprimés, une continuité écologique restaurée : les terrassiers de Vinci ont écrit en 2021 et 2022 l'épilogue d'une décennie de concertation et d'études sur la renaturation du Soultzbach (Bas-Rhin).
L'opération s'est appuyée sur l'ingénierie du parc naturel régional des Vosges du Nord, déterminé à mettre en œuvre un point clé de sa charte : « Voir la nature partout », y compris hors des sites remarquables.
« Les habitants étaient contre. Ils avaient l'habitude de se garer ici et de se détendre près des étangs. A force d'explications, ils ont fini par adhérer au projet », raconte Evelyne Ledig, maire de Langensoultzbach (Bas-Rhin). Depuis les ruines de l'ancienne digue en grès rose, l'élue montre le cours d'eau blotti dans la forêt domaniale du Nonnenhardt.
Les anciens du village se souviennent des sorties hivernales en patins à glace, sur les étangs gelés, désormais effacés. Depuis cette époque, le réchauffement climatique a poussé le fragile écosystème aux limites de la rupture.
« Dès que la température de l'eau atteint 18 °C, les truites cessent de s'alimenter. Au-delà de 25 °C, elle devient létale. Or, en sortie d'étang pendant l'été, l'échauffement atteignait jusqu'à plus de 8 °C par rapport au ruisseau en amont », relate Marie L'Hospitalier, chargée de mission nature au Syndicat de coopération pour le parc naturel régional des Vosges du Nord (Sycoparc). Outre les truites, les artisans de la trame bleue ont trouvé deux alliés de poids : les chabots et les lamproies. Ces poissons d'intérêt communautaire ont contribué à ouvrir les vannes financières européennes. Le PNR français a monté le dossier du projet Life Biocorridors avec son voisin de la forêt allemande du Palatinat, inscrit lui aussi au patrimoine mondial comme « réserve de la biosphère ». De 2016 à 2022, les deux partenaires ont dépensé 5,1 M€ pour restaurer leurs corridors aquatiques prioritaires, repérés par une étude menée par le Sycoparc en 2012.
La renaturation du Soultzbach a nécessité 541 000 euros, puisés dans cette enveloppe.
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« Consolider nos acquis à travers un statut spécifique », Michaël Weber, président de la Fédération nationale des parcs naturels régionaux.
« L'attractivité des parcs naturels régionaux découle de leur caractère extraordinaire. Des critères géomorphologiques se conjuguent avec des exigences de préservation du patrimoine naturel et culturel, sans perdre de vue la transition énergétique.
Face aux visions populistes figées et tournées vers le passé, cet équilibre oriente les parcs vers l'avenir. Dans le domaine du bâtiment, il leur faut affronter les lobbyistes qui freinent la massification des matériaux biosourcés nécessaires à la rénovation, celle-ci aidant à lutter contre la vacance. De nombreuses collectivités réfléchissent à rejoindre le réseau qui couvre déjà 17 % du territoire, mais attention : atteindre 100 % perdrait tout intérêt. Pour maintenir le niveau d'exigence, nous tenons au double regard des régions et de l'Etat. L'idée de consolider cet acquis à travers un statut spécifique a suscité de vifs débats, avant le vote de la loi 3DS [en février 2022, NDLR].
Je ne désespère pas de remettre le sujet sur le tapis. »
Bois - Appellation contrôlée pour constructions sur mesure
Depuis 2018, le massif de la Chartreuse (Savoie et Isère) rode la première appellation d'origine contrôlée (AOC) dédiée à une production non alimentaire. Celle-ci bénéficie aux bois d'œuvre issus de 7 000 ha de sapins et d'épicéas situés à plus de 600 m d'altitude, encore épargnés par le réchauffement climatique. Le massif fait partie des « forêts d'exception », vitrine de l'Office national des forêts (ONF) en matière de gestion écologique concertée avec les acteurs locaux. Sur les 76 700 ha du parc, la forêt en couvre 70 %, dont les deux tiers appartiennent à des propriétaires privés jaloux de leurs spécificités. « Les moines chartreux, qui ont toujours résisté à l'administration des Eaux et Forêts, pratiquent depuis longtemps l'exploitation en futaie irrégulière. L'AOC valorise cette caractéristique », expose Laure Belmont, chargée de mission biodiversité, aménagement et paysage au PNR. Outre la cohabitation d'arbres de diverses classes d'âge favorisée par cette pratique, les exploitants préservent la mixité des essences, dans une aire d'appellation où l'érable et le hêtre représentent respectivement 10 % et 20 % des arbres.
Chaque année, 5 700 m3 de grumes sont transformés par 60 opérateurs labellisés. « Les arbres implantés en pente poussent vite et haut. Ils présentent une bonne résistance mécanique et peu de nœuds », souligne Laure Belmont. Les constructeurs choisissent sur mesure les individus adaptés à chaque projet. En aval, l'AOC prescrit aux scieurs des méthodes de découpe. La régulation sylvo-cynégétique constitue la principale difficulté pour respecter un cahier des charges qui exige la régénération naturelle. Des répulsifs à base de graisse de mouton appliqués sur les jeunes plants font partie des armes préventives. Autre frein identifié par le parc : la forêt privée échappe largement aux plans de gestion. « Le manque de pistes restreint le potentiel d'exploitation et renforce le risque d'incendie », regrette Laure Belmont.
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Bâtiment - L'éco-rénovation progresse
«Après les paysages naturels, les constructions d'avant 1948 font partie des clés de l'attractivité des Vosges du Nord », souligne Aurélie Wisser, chargée de mission patrimoine bâti au parc naturel régional. Et de poursuivre : « Encore faut-il soigner cet héritage avec des techniques adaptées à des murs sensibles à l'humidité et perméables à la vapeur d'eau, à des assemblages de charpente complexes, à des fondations peu profondes. » Pour former des artisans, le parc a lancé en 2004 le dispositif Mut'archi, porté aujourd'hui par six intercommunalités qui débordent largement de son périmètre. Un annuaire accessible en ligne répertorie les professionnels certifiés.
Elaborée avec l'Insa de Strasbourg, l'offre couvre des matériaux aussi variés que le roseau, la terre, la paille, la chaux et le bois. La transmission d'une culture de l'éco-rénovation s'étend aussi au grand public à travers des ateliers de taille de pierre, des conférences sous forme de « cafés bavards » ou encore une malle pédagogique.
Paysage - Une gestion adaptée à la diversité d'un massif forestier
Dans le massif de la Sainte-Baume (Bouches-du-Rhône et Var), l'écologie et le paysage progressent : le parc naturel régional a publié fin 2022 un manuel de préconisations de gestion forestière par unité paysagère, à l'issue d'un marché contracté en 2018 avec l'agence de paysage Saltus (mandataire), associée aux bureaux d'études AviSilva et Alcina (expertise forestière). Un partenariat avec l'ONF et le Centre national de la propriété forestière a encadré cette démarche cofinancée par l'Union européenne et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Un diagnostic et des fiches thématiques structurent le document.
Des formations, une vidéo de sensibilisation grand public et un outil cartographique en ligne complètent le dispositif. « Une étude économique complémentaire relativise les surcoûts associés au respect de ces préconisations », précise Perrine Arfaux, chargée de mission aménagement et paysage au PNR.
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