C’est le moment de venir en Allemagne, un pays dans lequel le marché du BTP est gigantesque et les perspectives de croissance bonnes. « Le secteur est très dynamique et la croissance va se poursuivre dans les prochaines années », promet Claus Michelsen, expert du secteur de la construction à l’Institut de conjoncture et d’études économiques de Berlin (DIW). Après avoir connu une période difficile dans les années 2000, la filière a repris depuis 2010 grâce au dynamisme du secteur du résidentiel neuf, qui ne s’est pas démenti depuis. Les deux grandes fédérations du BTP allemand, la Confédération de l’industrie de la construction (HDB) et la confédération des PME du BTP (ZDB), s’attendent à une hausse de 3% du chiffre d’affaires en 2016, à 103 milliards d’euros.
Le résidentiel boosté par les migrants
En 2016, le résidentiel sera de nouveau le moteur de la croissance avec une progression de 5% (38,4 milliards d’euros), encore plus forte qu’en 2015 (+2%). « C’est une évolution qui n’était pas du tout prévue. Nous n’imaginions pas que nous aurions besoin d’autant de logements. La donne a changé avec les nouvelles structures familiales, le déplacement de populations vers les villes et les réfugiés », souligne Heiko Stiepelmann, directeur-adjoint du HDB. La construction de logements neufs représente désormais 60% des investissements dans le BTP. Et le contexte financier est favorable en raison de revenus à la hausse qui encourage les ménages à investir dans la pierre et les taux d’intérêt qui sont actuellement extrêmement favorables. Par ailleurs, l’arrivée de plus d’un million de réfugiés en 2015 et sans doute encore 500 000 en 2016 devrait engendrer la construction de 100 000 logements supplémentaires par an. « D’ici 2020, le rythme de la construction doit passer de 270 000 à 400 000 par an ». Les industriels (fenêtres, sanitaires, chauffages….) ont, eux aussi, une bonne carte à jouer. Car le secteur du logement est aussi dynamisé par la volonté politique de rénover l’ancien bâti avec l’objectif d’atteindre ses objectifs de réduction d’émission de CO2. D’ici 2020, le gouvernement veut réduire de 20% la consommation d’énergie des bâtiments existants. « Le besoin en investissement est énorme », souligne Claus Michelsen. « Toutefois, avec la baisse du prix du pétrole, l’efficience énergétique a perdu actuellement de son dynamisme et de son intérêt », ajoute-t-il. Géographiquement, le marché est concentré dans les agglomérations (Région Rhin-Main, Hambourg, Munich, Stuttgart, et Berlin). Pour Virginie Cadeddu, l'efficience énergétique a néanmoins un énorme potentiel dans les prochaines années : « Il s’agit de repenser complètement les villes », dit-elle.
Des ponts impraticables
Les investissements publics (infrastructures + bâtiments publics) constituent le deuxième pilier de la croissance du BTP allemand. Ils devraient connaître une progression de 4% en 2016 (29,1 milliards d’euros, dont 23 pour le génie civil) en raison d’une montée en puissance des investissements dans les routes, les chemins de fer et les voies fluviales. « L’État a enfin compris que de bonnes infrastructures étaient une condition sine qua non pour le bon fonctionnement de son économie. Imaginez : beaucoup de ponts sont devenus impraticables pour les transports exceptionnels et doivent serpenter à travers le pays pour rejoindre les ports de marchandises », déplore Heiko Stiepelmann. Pour ses investissements publics, l’État préconise l’usage des partenariats public-privé, mais le modèle est loin de faire l’unanimité politique en Allemagne. Depuis l’avis négatif de la Cour fédérale des comptes en 2014, le vent a tourné. « Le modèle a mauvaise réputation », confirme Claus Michelsen. Les entreprises du BTP et les banques sont devenues méfiantes. « L’État devrait se remettre à construire lui-même des autoroutes », prédit Heiko Stiepelmann. Jusqu’à présent, l’Allemagne n’a construit que 200 bâtiments publics en PPP et 20 infrastructures de transport. Le gouvernement a néanmoins lancé une série de projets autoroutiers en PPP. Alexander Dobrindt, le ministre des Travaux publics, a présenté en début d’année une liste de dix projets prioritaires, un investissement de 14 milliards d’euros pour 600 kilomètres d’autoroutes en ouvrant le financement des projets aux fonds de pension et aux assureurs, et non plus seulement aux grands groupes de BTP. « Il n’y aura presque plus de nouvelles autoroutes, mais surtout de la rénovation », remarque Claus Michelsen. « Par ailleurs, les investissements publics restent catastrophiques au niveau des communes », insiste-t-il. « Les collectivités locales représentent 60% des investissements en Allemagne. Certaines sont surendettées et n’ont plus aucune marge de manœuvre », ajoute-t-il.

Par ailleurs, plus personne ne croit plus aux "grands" projets. La construction d’autoroutes et les rénovations seront effectuées par tronçons pour éviter d’effrayer l’opinion publique qui est devenue réticente aux « grands travaux ». L’Aéroport de Berlin (neuf, mais toujours fermé à cause de l’incurie politique), le chantier de la Gare de Stuttgart (qui a donné lieu à des scènes de quasi-guerre civile) et la Philharmonie de Hambourg (dont les coûts ont été multipliés par dix) n’ont pas réconcilié les Allemands avec ce genre de projets prestigieux. « Nous ne devrions pas en revoir de sitôt. C’est difficile d’imposer politiquement ce genre de projets », estime Claus Michelsen. Dans le domaine des infrastructures énergétiques, la transition énergétique (avec l’abandon du nucléaire et à terme du charbon) n’a pas encore répondu aux attentes du BTP. « C’est très décevant », concède Heiko Stiepelmann. « De nombreuses entreprises se retirent de ce segment prometteur, car le gouvernement n’a pas joué son rôle de manager. Il n’a pas su engager les réformes nécessaires pour développer le réseau en même temps que les centres de production », ajoute-t-il. Pour réussir la transition énergétique, les pouvoirs publics tardent en effet à construire ce nouveau réseau de 5 800 kilomètres pour acheminer l’électricité du nord où l’on produit (éoliennes offshores) vers le sud où sont implantées les industries. Le major local Bögl a décidé de changer de stratégie en travaillant davantage dans le "on-shore" avec des solutions de construction de parcs éoliens plus proche des zones de consommation. Enfin, le BTP attend avec impatience une reprise dans le non-résidentiel. Les investissements des entreprises continuent de baisser. « Dans la chimie, par exemple, elles le font exclusivement à l’étranger », remarque Heiko Stiepelmann. En 2016, le privé non résidentiel devrait néanmoins se stabiliser à 35,7 milliards après avoir progressé de 3%, notamment grâce aux investissements de la compagnie Deutsche Bahn (statut privé dont l’État est à 100% actionnaire) qui a obtenu une rallonge d’un milliard en 2016 du ministère des Transports.
Et les Français ?
Qui est le mieux placé pour réaliser ces nombreux programmes aussi bien de logement, d’infrastructures que de bâtiments professionnels ? Peut-être pas les majors allemands, qui ont perdu de leur influence ces dernières années. Hochtief est devenu la filiale du major espagnol ACS. Il reste le n°1 du BTP allemand, mais s’intéresse surtout à son développement à l’étranger. Quant à Bilfinger, ancien numéro 2, il est en cours de démantèlement après avoir raté sa stratégie de reconversion dans les services. Résultat, la première entreprise vraiment allemande sur le marché (Bögl) réalise « seulement » 1, 6 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Les entreprises hexagonales ont donc leur carte à jouer. Elles sont déjà très présentes sur le marché du BTP allemand avec notamment les majors Vinci (Eurovia est numéro 2 dans les routes) et Eiffage. « Les Français sont présents dans tous les secteurs et sous toutes les formes (filiale, joint-venture, etc.). Pour autant, et c’est le paradoxe, pas question de se démarquer avec des recettes françaises. « L’important, c’est d’avoir plutôt un profil d’entreprise allemande – avec une équipe locale de préférence - et de "germaniser" sa stratégie. Il faut insister sur la qualité des produits. Les Allemands adorent les certificats », ajoute-t-elle en précisant : « Ce n’est pas du protectionnisme, c’est comme ça que cela fonctionne ». Comment alors se distinguer ? « Il faut arriver sur le marché avec un produit neuf ou une idée », insiste Virginie Cadeddu, de Business France. Reste que le marché du logement neuf, principal moteur du secteur, est très difficile pour les entreprises étrangères. « Il est encore plus régulé qu’ailleurs. Il faut savoir comment il fonctionne. Les Allemands ont un avantage, car ils connaissent mieux la législation », insiste Claus Michelsen, expert du DIW. « La législation peut même différer selon les régions. Nous sommes dans un système fédéral », rappelle Virgine Cadeddu. Mais la demande est tellement grande que les Allemands ne pourront pas tout faire. « Les étrangers peuvent tirer leur épingle du jeu. Les Néerlandais sont déjà là », constate Claus Michelsen.
Les points d’entrée • Chambre de commerce française en Allemagne (Saarbrücken) : http://www.ccfa.de/de/ • Service économique de l’ambassade http://www.ambafrance-de.org/Service-economique-regional. Stéphane Reiche (Transport, énergie, environnement). Tel. : +49 30 590 03 94 07. E-mail : stephane.reiche@dgtresor.gouv.fr. • Business France Allemagne : Virgine Cadeddu, spécialiste BTP, Tel. : +49 211 300 41 415. E-mail : virginie.cadeddu@businessfrance.fr • Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF) : http://allemagne.cnccef.org/ • Salon BAUMA (avril, Munich), www.bauma.de • Salon BAU MÜNCHEN (janvier, Munich), http://bau-muenchen.com • Majors locaux: Hochtief (groupe ACS), Strabag SE (groupe Strabag), Bögl, Bauer, Goldbeck. • Groupes français en Allemagne: Vinci, Eiffage, Demathieu Bard, Saint-Gobain, VSL (Bouygues).
QUATRE QUESTIONS A....
Alfred Balliet, DG de d&b BauGmbH (filiale de Demathieu Bard)
« Une carte à jouer dans les lots techniques »
Quels sont les avantages à s’implanter en Allemagne ?
C’est le moteur économique de l’Europe. C’est un marché actuellement en pleine expansion. Il y a donc des opportunités. N’oubliez pas que c’est le voisin direct de la France.
Le marché est-il difficile ?
Oui, les prix sont beaucoup plus tendus qu’en France. Le marché est très concurrentiel. Les entreprises allemandes sont très nombreuses, mais aussi les groupes étrangers. Je vois surtout une carte à jouer dans les lots techniques (électricité, plomberie, chauffage). Concernant les lots gros-œuvre, la concurrence des pays de l’Est est très sévère grâce à une main-d’œuvre importée et bon marché. Les entreprises de l’est ont maintenant des structures bien établies qui fonctionnent sous une forme juridique allemande.
Et la réglementation ?
Elle est complètement différente de la France. Si l’on ne connaît pas, il ne faut pas mettre les pieds en Allemagne ! Par ailleurs, le code de construction diffère selon les régions. Il y en a seize !
Quelle est la plus-value pour les Français en Allemagne ?
Je dirais que les Français sont bons dans la gestion de projets. Les ingénieurs de l’Hexagone sont très appréciés en Allemagne.