« Comme un oiseau mazouté, le phare ne pouvait plus bouger ». Lauréat du huitième grand prix national du paysage, Alain Freytet résume l’esprit de sa réponse à la commande du conservatoire du Littoral. Son intervention a mis fin à la parenthèse introduite par l’industrie touristique.
Consécration des grands sites de France
Depuis trois ans, le million de visiteurs annuel réapprend à marcher pour mieux s’imprégner du paysage d’exception, quitte à se restaurer dans les bourgs environnants. Le réseau des grands sites de France a accompagné la démarche du paysagiste en accueillant l’ensemble Cap d’Erquy-Cap Fréhel dans son réseau, en septembre 2019.
L’extension des surfaces teintées de mauve par les bruyères figure parmi les symboles marquants de la réussite : sur les broyats prélevés dans la lande environnante, les plantes ont naturellement recolonisé les emprises bétonnées ou bitumées au XXème siècle. Des discrets cordons suffisent à délimiter les nouveaux cheminements qui protègent des piétinements l’écosystème renaissant.

De nouveaux cheminements ménagent un effet d'émerveillement au moment où de l'apparition du grand phare.
Droit à la non lecture
Seules traces de l’ancien restaurant, des murs font office de barrières de protection pour l’habitat des oiseaux et de supports de bas-reliefs.
Dans un béton teinté du même rose que la pierre environnante, le scénographe Franck Wattel y réinterprète le bestiaire sculpté après-guerre dans les boiseries du phare par Mathurin Méheut. Mais aucun panneau pédagogique n’interfère avec l’émotion : Alain Freytet défend le « droit à la non lecture » et renvoie les explications textuelles aux abords du parking déplacé vers l’intérieur des terres.

Les bas-reliefs de Franck Wattel adressent un clin d'oeil aux boiseries signées après-guerre par Mathurin Maheut
La rusticité des moyens s’exprime dès la conception, affranchie du laser et d’autocad. « Loin du monde urbain, rien n’oblige à travailler au cm près. Cette liberté permet une porosité aux propositions des conducteurs d’engins », témoigne le paysagiste, capable de traduire chaque suggestion en quelques traits de plume sur son carnet de croquis.
Nouveau guide pour le conservatoire
La démonstration d’Alain Freytet prend la forme d’un guide publié cette année par le maître d’ouvrage de la valorisation du Cap Fréhel : intitulé « Schéma d’intentions paysagères », le second ouvrage rédigé par le paysagiste pour le conservatoire du littoral restitue 30 ans de travail, « au croisement de l’accueil du public et des approches naturalistes et culturelles ».
Cinq candidats en lice
Tout s’est joué à un cheveu. Officialisé le 28 juillet, le verdict rendu le 27 juin par le jury du grand prix national du paysage récompense le tourisme durable, la sobriété des moyens et les démarches participatives : le cap Fréhel l’a emporté sur la chaîne des parcs du pôle métropolitain de l’Artois.
Sur 4200 hectares, Michel Desvigne répond depuis 2013 à la commande de trois agglomérations. Grâce à sa vision d’ensemble associée à une diversité de signatures, 650 000 habitants de l’ex-bassin houiller du Nord-pas-de-Calais retrouvent des motifs de fierté attachés à leur territoire, dans la foulée de son inscription au patrimoine mondial et de la construction du Louvre Lens.
La reconquête post-industrielle inspire deux autres œuvres soumises à la délibération du jury, parmi les 15 candidatures réceptionnées par le ministère de la Transition écologique : l’éco-quartier des rives de la Haute-Deûle, conçu par l’agence Bruel Delmar dans la métropole de Lille, et la Promenade de la corniche des Forts, fruit de 20 ans de dialogue entre l’agence de paysage Ilex et la région Ile-de-France, sur l’emprise d’une ancienne carrière de gypse en Seine-Saint-Denis.
Plus inclassable, le Cercle immense de la saline royale d’Arc-et-Senans achève la composition imaginée à la fin du XVIIIème siècle par l’architecte Claude-Nicolas Ledoux. L’œuvre soumise au jury fait partie des événements paysagers de l’été 2022.