Agriculture urbaine 3/6 Des entreprises hybrides, entre agronomie et construction

Au croisement de l’agronomie et de la construction, la vocation intégratrice de l’agriculture urbaine se révèle dans les entreprises qui en vivent ou dans celles qui y trouvent une opportunité de diversification. Parmi d’autres membres de l’Association française d’agriculture urbaine professionnelle, Topager, qui fêtera ses 10 ans au début 2023, fait partie des exemples emblématiques.

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Laborde
Conçue et réalisée par Topager dans le 8ème arrondissement de Paris, cette ferme de 600 m2 alimente la cuisine du restaurant d'entreprise.

Ingénieur en écomatériaux et écoconception, chercheur spécialisé dans la biodiversité des bâtiments végétalisés : Nicolas Bel et Frédéric Madre, les deux fondateurs de Topager, illustrent l’hybridation des compétences requises par l’agriculture urbaine.

Recherche appliquée

« En 2012, ma thèse visait déjà à démontrer la possibilité de créer des sols fonctionnels avec des déchets urbains, à partir des expérimentations menées sur la toiture du site parisien d’Agroparistech », rappelle Frédéric Madre, qui cumule la cogérance de Topager avec deux autres fonctions : la poursuite de travaux de recherche au Centre d’écologie et des sciences de la conservation du Museum national d’histoire naturelle, et la vice-présidence de l’association des toitures végétales Adivet.

Ce mandat associatif l’a accoutumé au dialogue avec les étancheurs du bâtiment, avec lesquels il a écrit les règles professionnelles des toitures végétalisées et le guide de l’agriculture urbaine en toiture. Ces références le qualifient comme interlocuteur de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages du ministère de la Transition écologique, pour deux textes importants : le décret d’application de la règlementation environnementale 2020 et le cahier de charges du label qui découlera de cette même règlementation.

Souvent sous-traitant d’entreprises du BTP, Topager tire plus de 50 % de ses deux millions d’euros de chiffre d’affaires des chantiers, devant la conception et le suivi animation, avec une trentaine de salariés. En 10 ans, le spécialiste de l’agriculture urbaine a végétalisé 5 ha de toitures.

Le record de Saclay

Réalisée avec l’architecte Marc Mimram et aux côtés de Vinci, le nouvel établissement d’Agroparistech, sur le plateau de Saclay, offre un étendard architectural et métropolitain à la filière émergeante. En 2016 pour ce même projet, Topager avait également concouru dans le groupement mené par Dominique Perrault. La surface plantée y atteint un record de 6 000 m2, sur des épaisseurs de sol comprises entre 20 et 30 cm, associant des substrats acides et basiques, créés avec des terres excavées des chantiers du Grand Paris mélangés avec des déchets urbains.

Dans la foulée, Topager végétalise la toiture de la Maison des avocats de Paris, conçue par Renzo Piano en face du tribunal judiciaire, pour satisfaire les appétits du barreau en fraises, groseilles et framboises. L’entreprise d’agriculture urbaine se prépare également à livrer la toiture  du Stream Building conçu par Philippe Chambaretta à la Porte de Clichy. L’exploitation alimentera en houblon la microbrasserie de l’immeuble.

Impulsion architecturale

L’expertise acquise dans la fertilisation des technosols pousse Topager à franchir une nouvelle étape : sur un terrain mis à disposition par le département de Seine-Saint-Denis, l’entreprise s’est associée avec la Société du Grand Paris, Solideo (maître d’ouvrage du village des Jeux olympiques de 2024) et ECT (leader francilien de la collecte et du stockage de déchets du BTP) pour créer une plateforme de substrats. L’investissement de 600 000 euros, dont 50 % de subventions, doit aboutir à en finaliser les formulations à la fin de cette année.

Parmi les entreprises du paysage qui ont structuré leur activité d’agriculture urbaine, Groupe Mugo couvre également toute la chaîne entre la conception et l’exploitation. Mais l’entreprise de paysage passe de l'échelle du bâtiment à celle des quartiers : « Les architectes avaient occasionné nos premières commandes de maîtrise d’œuvre de cultures en toiture, dans le cadre d’opérations immobilières comme Grand Central, signé par Jacques Ferrier près de la gare Saint-Lazare à Paris », se souvient Erika Kérisit, directrice du pôle Transition écologique et ingénieure agronome de l’entreprise de paysage basée à Buc (Yvelines).

Rassurer les aménageurs

Mais désormais, la plupart des marchés d’agriculture urbaine remportés par Mugo émane des aménageurs. « Ils nous sollicitent comme assistants à maître d’ouvrage pour des éco-quartiers », témoigne la directrice du pôle qui génère 800 000 euros de chiffre d’affaires sur les 45 millions annoncés par Mugo, avec 10 temps pleins dont trois pour la conception et le conseil.

Parmi les exemples caractéristiques, figure l’Ecoquartier Seine Ouest à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Missionné par Eiffage Aménagement et Citallios, Mugo y a programmé les exploitations en phase de démarrage, réparties sur différentes résidences pour un total de 5000 m2, à raison d’un paysagiste par lot. « La prise en compte de l’accessibilité des toitures et l’optimisation des espaces évitent les surcoûts qui résulteraient d’une intervention trop tardive », commente Erika Kérisit.

Les lignes bougent

L’entreprise de paysage intervient également en aval : « Nous maintenons ce que nous prescrivons. Cela rassure le maître d’ouvrage, soucieux de la durabilité des exploitations », poursuit Erika Kérisit.

Chez Mugo comme chez Topager, la diversité des prestations fonde le modèle économique, tandis que la crédibilité technique repose sur la capacité à dialoguer avec les constructeurs et aménageurs.

Installée en septembre 2020 sur une toiture de Paris Habitat dans le XXème arrondissement de Paris, la ferme de l’école de cuisine du chef étoilé Thierry Marx offre un bel exemple de ce dialogue : « Le bailleur a installé un escalier pour desservir cette toiture réputée inaccessible », témoigne Lucille Delorme, ingénieure agronome et cheffe de projet chez Cueillette urbaine. Décidément, l’agriculture fait bouger les lignes.

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