Interview

"Afin de décarboner la construction, n’attendons pas l’autorisation de faire autrement : faisons !", Philippe Madec, architecte et urbaniste

Co-auteur du Manifeste pour une frugalité heureuse et créative, Philippe Madec réagit pour lemoniteur.fr à la publication du premier volet du 6e rapport du Giec lundi 9 août 2021.

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Philippe Madec est architecte et urbaniste.

Quels sont les principaux leviers techniques pour décarboner la filière construction ?

Les solutions techniques sont connues (HQE 1997, Iceb 1997) et reconnues (Global Award depuis 2008, Off du développement durable depuis 2012), mais ne suffisent pas ! Il est temps que les bâtisseurs se bougent : ils sont responsables de 40 % des émissions de gaz à effet de serre (ONU 2018). Quant aux 13 000 signataires du Manifeste de la frugalité heureuse et créative (2018) dont 4 710 architectes et 1 250 ingénieurs, ils n’ont pas attendu le sixième rapport du Giec pour partager leurs expériences et faire des propositions ; mes réponses en sont nourries.

Avant tout projet, la question à se poser est : « Faut-il construire ? ». Et ne déconstruire que si cela est nécessaire. Dans ce cas, procéder à une déconstruction sélective, pour généraliser le réemploi des matériaux. D’abord réhabiliter les bâtiments. Chaque année, on ne construit en neuf que 1 % de l’équivalent du bâti existant. La part écoresponsable accomplie y est invisible. Ce n’est donc pas elle qui résorbera l’impact de la construction dans le dérèglement climatique. Les 99 % déjà là n’ont pas été pensés du point de vue de l’écoresponsabilité. Leur réhabilitation /rénovation est le travail de ce 21e siècle, comme le rappelait Philippe Pelletier en 2020. Elle use de moins d’énergie et de ressources que la démolition/reconstruction, selon l'Ademe.

Quels grands principes préconisez-vous lors de la conception et de la réhabilitation des bâtiments ?

Au moment de concevoir, réhabiliter/construire et entretenir les bâtiments, il s'agit de recourir aux matières bio et géosourcées (le bois, la terre, la pierre et toutes les fibres naturelles). D'utiliser des matériaux à faible énergie grise issus des filières et mis en œuvre par des compétences locales. De réduire a minima l’emploi des matériaux énergivores et producteurs de gaz à effet de serre donc de CO2 (le béton armé de ciment Portland, l’acier, l’aluminium, etc.). De se servir des apports naturels, matière et énergie (l’air, la lumière, la chaleur) et de concevoir de façon bioclimatique chaque projet de bâtiment. Enfin, de préférer les techniques simples, dites low tech.

Quels sont les leviers réglementaires, économiques voire culturels pour accélérer le changement des pratiques ?

Du point de vue culturel, l’engagement de la société civile dans le projet de son « monde de demain » s’impose. Qui peut imaginer la réhabilitation du monde déjà là sans ceux et celles qui l’habitent ? Réhabilitation et rénovation possèdent entre autres qualités d’éviter la gentrification due à chaque démolition/reconstruction, d’être plus rapide et moins chère que le neuf et de permettre des actions immédiates.

Du point de vue réglementaire, les lois Grenelle I (2007) et II (2010) prévoyaient une kyrielle de mesures liées à la protection de l’environnement dans le domaine du bâtiment et de l’aménagement des territoires. On est bien loin des objectifs chiffrés alors : « À compter de fin 2020, toutes les constructions neuves devront être conformes à la norme de bâtiment à énergie positive (Bepos). En ce qui concerne les constructions existantes, le but est de réduire la consommation moyenne de 38 % d’ici à 2020 » !

En 2016, la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) met en place le « permis de faire » : elle autorise les maîtres d’ouvrage à « demander à déroger aux règles opposables à leur projet à condition de démontrer que sont atteints des résultats satisfaisant aux objectifs poursuivis par les règles auxquelles il est dérogé ». Propos confirmés en 2018 par la loi pour un État au service d’une société de confiance (Essoc) et le permis d’expérimenter. Mais rares sont les tandems maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre à tenter l’aventure, à s’engager dans le permis de faire.

Tant d’autres textes et règlements ! Mais ça ne marche pas ! Annonces de façade, lois sans décret d’application, insuffisance des moyens alloués, greenwashing, peurs du changement, marges accumulées des acteurs économiques, poids des banques dans le financement du logement, interventions dévastatrices des lobbies, position des sociétés de réassurance par rapport aux catastrophes post-naturelles… : la liste est longue.

N’attendons pas l’autorisation de faire autrement. Faisons. Et si nécessaire mettons-nous « hors la loi pour dépasser la loi » et la faire évoluer. Assumons nos responsabilités. Agissons là où nous avons la possibilité d’intervenir sur l’environnement, engagés par notre seule présence, notre vie quotidienne et nos métiers.

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