Cela devait être une opération emblématique de transformation d’un immeuble de bureaux vacants en logements depuis une dizaine d’années.
Près de quatre ans après la pose de la première pierre, organisée le 15 septembre 2017 à Marseille, force est de constater que le projet de résidence de standing Le Bao, accompagné de la création d’une résidence pour seniors et la revitalisation du centre commercial attenant dans ce quartier de Bonneveine, a tourné au cauchemar : pour les acquéreurs des logements qui ont payé 90 % du coût de leur appartement, mais aussi pour les entreprises du bâtiment, dont certaines cumulent les impayés. Et, au final, la résidence, qui devait être livrée fin 2019, ne l’est toujours pas.
Situation inextricable
Porté par la société foncière FCT Marseille SNC, société ad hoc créée par Michel Ohayon, président de la Financière immobilière bordelaise (FIB) connue pour avoir racheté les magasins Camaïeu, le chantier est quasiment à l’arrêt depuis fin 2019.
Il reprend, par intermittences, avec de nouvelles entreprises qui finissent par jeter l’éponge. « Certaines ont fait 70 à 80 % de leurs prestations sans être payées. A plusieurs reprises, des démarches ont abouti à des protocoles d’accord transactionnel. Mais à chaque fois, le promoteur n’a pas respecté ses engagements », a expliqué Isabelle Lonchampt, présidente de la Fédération départementale du Bâtiment et des Travaux publics des Bouches-du-Rhône (FBTP13), lors d’un point presse, organisé le 23 juin à La Maison du Bâtiment à Marseille, pour dénoncer « les pratiques déloyales du maître d’ouvrage » et rendre compte de cette situation inextricable qui « met en péril des entreprises et des emplois ».
Et de citer deux des adhérentes de la FBTP13 qui affichent « des impayés à hauteur de 3,5 millions d’euros » et ont fini par saisir la justice.
Pour l’une des deux, le tribunal de commerce de Marseille a reconnu dans un jugement du 2 mars 2022 la FIB comme caution du marché et exigé ensuite le paiement des situations impayées majorées des intérêts de retard. Titulaire du lot gros œuvre, Cardinal Edifice serait, elle aussi, en litige avec la société foncière FCT Marseille SNC et sa maison mère. D’après nos informations, la FIB a été condamnée à verser à la filiale du groupe NGE près de 5 millions d’euros au titre notamment de l’exécution du marché de travaux et de la réparation de la perte de marge.
Jugement en appel des acquéreurs
Lors de ce point presse du 22 juin, la présidente de la FBTP13 était accompagnée de Me Théophile Carpentier, l’avocat d’un tiers environ de la centaine d’acquéreurs des logements de la résidence. L’objectif était de montrer qu’ils parlaient tous d’une même voix pour dénoncer la situation.
Celle des acquéreurs, dont certains cumulent paiement du loyer et remboursement du prêt, n’est pas moins dramatique que celles des entreprises. Ne trouvant pas d’issue acceptable, une trentaine de futurs occupants a fini par chercher un avocat qui a intenté en mars 2021 auprès du tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence, une procédure en référé pour fixer une date de livraison et l’assortir d’indemnisations en compensation du préjudice subi.
Après avoir été déboutés en octobre 2021 par le juge qui, dans son ordonnance, a notamment considéré « que la date prévisionnelle de livraison (dans le cadre d’une Vefa) n’est pas une obligation de résultat », ils ont fait appel. Ils espèrent obtenir gain de cause le 20 septembre prochain, lors de l’audience de plaidoirie. « Si nous obtenons gain de cause, une date de livraison sera fixée. Et si le promoteur ne la respecte toujours pas, il devra verser de l’argent aux acquéreurs pour compenser les retards », affirme Me Carpentier.
Assurant avoir « payé à 100 % les entreprises intervenues sur le chantier », Philippe Pinho, directeur des travaux de la FIB, invoque « des causes légitimes de retard liées à des abandons de chantier des entreprises et à un sinistre, fin 2020, abîmant 30 % du programme. L’expertise a duré plus de huit mois ajoutant au retard ».
Au Moniteur, il a ensuite assuré « tout mettre en œuvre pour respecter la date de livraison d’octobre 2022 ». Pour cela, il s’appuie sur l’entreprise générale Les Bâtisseurs du Dôme, aux manettes depuis fin 2021, et les architectes de l’agence Poissonier, Ferran & Associés, maître d’œuvre de l’opération.
Les procédures en justice en cours sur le fond devront permettre de dénouer les fils d’une affaire complexe.
Fiche technique
Maître d’ouvrage : Foncière FT Marseille (Groupe FIB)
AMO : 13Mars Développement
Commercialisateur des logements : Iso Invest
Architecte : Poissonnier, Ferran & Associés
Constructeur : Cardinal Edifice Sud
Superficie : 35 000 m2 de plancher, dont 25 000 m2 neufs
Montant des travaux : 34 millions d’euros HT
Prix de vente des appartements : 5 000 euros/m2
Calendrier : livraison, juillet 2019
Dans un courrier adressé au Moniteur le 13 juillet, la société foncière FT Marseille a tenu à apporter des précisions, suite à notre article publié le 24 juin.
Concernant les entrepreneurs lésées, le maître d’ouvrage précise, par la voix de son avocat « que la société Foncière FT Marseille a subi une augmentation de plus de 100 % du coût des travaux imputables aux entreprises et à la maîtrise d’œuvre alors que ces derniers restent à ce jour toujours inachevés ».
Il ajoute avoir « réglé plus 71 millions d’euros aux entreprises dont 11 millions d’euros d’honoraires techniques, pour un budget initial estimé par la maîtrise d’œuvre de 34 millions d’euros » et devoir faire « face à des demandes non justifiées de travaux complémentaires à la suite de nombreux avenants imposés, sous peine d’abandon de chantier, alors que nous sommes dans le cadre de marchés à forfait, ainsi qu’à une surfacturation de la part de ces mêmes entreprises ».
A la suite d’un « audit externe et impartial », elle a, par ailleurs, « constaté un taux d’avancement réel des travaux de seulement 68 %, bien que les entreprises en question sollicitent le règlement de 80 % du chantier ».
Concernant les procédures engagées « par une infime partie des acquéreurs », dans son courrier, le maître d’ouvrage rappelle que ces derniers « ont été déboutés de leurs demandes de condamnation sous astreinte à livrer les biens et de leurs demandes de provision à valoir sur leurs préjudices ». Il poursuit en précisant que « la cour d’appel d’Aix-en-Provence a d’ailleurs confirmé par un arrêt rendu ce 22 juin 2022 une de ces décisions validant les attestations du maître d’œuvre justifiant plus de 1 400 jours d’événements constituant des causes légitimes de prorogation de délai livraison et ce conformément aux dispositions contractuelles contenues dans les actes notariés de vente en Vefa ».
« Néanmoins, la société Foncière FT Marseille soutient les acquéreurs de bonne foi et a choisi d’établir un rapport Intuitu personæ avec chaque acquéreur, ce qui a permis commercialement de trouver des accords avec ceux qui ont accepté de rencontrer mon client, les autres ont été déboutés par les juridictions de leurs demandes », conclut-il.