Voilà un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître. La France des années 1980, celle du Minitel, de la naissance de la carte à puce, du « Père Noël est une ordure », des débuts du groupe Indochine, mais aussi, bientôt, celle de l'austérité économique et de l'escalade du chômage. Cette France a été le terrain d'une grande épopée architecturale. Paris, en particulier, a vécu la décennie au rythme de chantiers aussi nombreux que spectaculaires, que l'on a eu tôt fait de baptiser « les grands travaux mitterrandiens ».
Car ces institutions culturelles et les édifices qui les abriteront sont indissociables de l'homme qui en a lancé la réalisation, en un temps record, après avoir conquis l'Elysée le 10 mai 1981. Endossant l'habit d'un Président constructeur, le casque d'un « Tonton » bâtisseur, François Mitterrand veut les voir en grande partie achevés pour l'année du bicentenaire de la Révolution française, en 1989. Ainsi, le 13 juillet 1989, l'opéra Bastille était inauguré. Le lendemain, la Grande Arche de la Défense (lire pages suivantes) accueillait les chefs d'Etat des sept pays les plus industrialisés.
S'il n'y a pas erreur sur l'ordonnateur, le ministre de la Culture d'alors, Jack Lang, conteste le choix des mots : « L'expression “ grands travaux ” est trompeuse. Il ne s'agissait pas de construire pour construire mais de mener une politique des arts profondément transformée… et de combler un manque. La situation, un peu partout, était à la grande pauvreté. »
« Beaubourg de la musique ». En mars 1981, dans un discours à l'Unesco, le candidat François Mitterrand avait donc estimé : « Il importe que l'Etat soit lui-même inventeur de quelques réalisations de portée nationale et internationale. » Et évoquait la création d'un « Beaubourg de la musique », mais sans indiquer ni lieu ni échéance. Après l'élection, les ambitions sont vite posées. Jack Lang se souvient de la demande du Président : « Réfléchissez à comment nous pourrions donner corps à tout ce que nous avons imaginé. » Pour mener ce dessein culturel, un Groupe des quatre, puis des cinq, s'active. Il est composé de Jack Lang, du directeur de cabinet du Premier ministre, Robert Lion, de l'écrivain Paul Guimard et des ministres de l'Urbanisme successifs, Roger Quilliot et Paul Quilès. Une équipe de techniciens dirigée par Yves Dauge est leur bras armé (lire ci-contre).
Légaliste, le Président respecte les choix du jury des concours d'architecture.
Dès sa première grande conférence de presse, en septembre 1981, François Mitterrand annonce que le ministère des Finances quittera le Louvre et que l'ancien palais royal sera tout entier consacré à l'art. Puis, en mars 1982, un communiqué détaille huit autres projets, dont ce nouvel opéra qui sera construit à la Bastille ou la solution qui, après vingt ans d'atermoiements, doit permettre d'occuper enfin le site de la Tête Défense, dans le quartier d'affaires de l'ouest parisien. Il faut évidemment un nouveau ministère aux Finances délogées. Et il est encore des projets hérités de l'époque Giscard, comme l'Institut du monde arabe et la Cité des sciences de la Villette qu'il n'est aucunement question d'abandonner… sans pour autant appliquer à la lettre les plans de l'ancien Président.
Des concours d'architecture sont organisés et François Mitterrand, très légaliste, respecte le choix de leur jury. Il n'ensuit pas moins certaines constructions de près : on le voit sur les chantiers du Louvre ou de la Défense, et, à l'Elysée, il se fait présenter les marbres de l'Arche ou le tissu des sièges de l'Opéra.
Quant au budget total d'investissement, il s'élève à 15 milliards de francs et pas un sou de plus. « Cette enveloppe vient de la politique de rigueur décrétée à partir de 1983. Les chantiers devaient se poursuivre sans accroître les difficultés économiques », rappelle l'urbaniste Jean-Louis Subileau, qui a travaillé au sein de l'équipe de coordination des grands travaux. Il faut aussi s'assurer qu'une alternance politique ne ruine pas ces projets. D'ailleurs, s'il y a des remous à l'arrivée du gouvernement de cohabitation, en 1986, il est trop tard pour arrêter les pelleteuses et les grues. Pour ceux qui l'ont vécue et la racontent aujourd'hui, l'époque fut passionnante. « Le Moniteur » en retracera les épisodes les plus marquants jusqu'au 23 août. Et jusqu'au dernier chantier de François Mitterrand, le seul de son second septennat, la Bibliothèque nationale qui porte son nom.