0 of 9
Redéfinir la frontière entre le public et le privé, repenser la notion de liberté pour privilégier la relation à l’autre, choisir la générosité pour bâtir des villes non plus faites de voisinages mais de communautés : l’architecte japonais Riken Yamamoto envisage sa discipline comme le moyen de fonder des sociétés harmonieuses. Cette vision humaniste a été saluée par le jury du prix Pritzker qui a choisi de lui décerner son médaillon de bronze.
Le 5 mars, la fondation Hyatt a en effet annoncé que Riken Yamamoto était le 53e architecte, et le neuvième Japonais, à recevoir cette récompense. Créé par la famille Pritzker, propriétaire de la chaîne hôtelière qui a donné son nom à la fondation, ce prix annuel a depuis 1979 pour ambition de récompenser, de son vivant, un concepteur alliant «le talent, la vision et l’engagement». L'objectif est de consacrer une œuvre bâtie dont l’apport à la discipline et, au-delà à l’humanité, est incontestable.
Lieux et liens
En la personne de Riken Yamamoto, le jury de cette édition 2024 a donc trouvé un bâtisseur de lieux autant que de liens. «Ses constructions sont toujours en connexion avec la société», a estimé Tom Pritzker, le président la fondation Hyatt. De son côté, l’architecte chilien Alejandro Aravena, président du jury et lui-même lauréat en 2016, a rappelé combien il est essentiel de penser l’architecture «des villes du futur de façon à multiplier les occasions de rencontres et d’interactions entre les gens. En brouillant, mais avec soin, les limites entre les sphères privées et publiques, Riken Yamamato contribue à faire communauté.»
Cette porosité, le Japonais l’a expérimenté dès l’enfance. Né en 1945 à Pékin, en Chine, Riken Yamamoto a vécu dans la ville portuaire de Yokohama, au sud de Tokyo, dès après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. La maison familiale était une de ces demeures traditionnelles des commerçants, les machiya, et la séparation était mince entre le lieu de vie et la pharmacie maternelle. Son père, ingénieur, est décédé alors que le garçon n’avait que cinq ans. Riken Yamamoto attribue cependant sa première «expérience de l’architecture» à sa visite du temple Kôfuku-ji de Nara, à l’âge de 17 ans. Titulaire d’un diplôme d’architecture de l’université Nihon de Tokyo, en 1968, puis d’un Master de l’université d’arts de Tokyo en 1971, il fonde son agence en 1973.
Dedans-dehors
En cinquante années de carrière, Riken Yamamoto n’a donc cessé de considérer que les espaces qu’il imagine peuvent profiter à bien d’autres que leurs occupants désignés. Et il s’emploie à trouver les dispositifs architecturaux permettant d’ouvrir ses bâtiments à de plus vastes publics. Ainsi en 1978, dans une maison pour un couple d’artistes, à Kawasaki, une pièce qui prolonge l’espace à l’extérieur sert de scène pour des représentations. Ce principe du dedans-dehors, l’architecte se l’applique à lui-même lorsqu’il réalise sa maison en 1986. La multiplication des terrasses, et ce jusqu’en toiture, y offrent autant d’occasions d’entretenir des rapports de très proche voisinage.
Dans ses projets d’habitations plus importants aussi, l’architecte use de terrasses communes, de jardins ou de passerelles pour s’assurer que les résidents se croiseront et qu’aucun ne vivra dans l’isolement. Cette préoccupation apparaît encore dans ses édifices publics. Les neufs bâtiments qui constituent, en 1999, l’université de la préfecture de Saitama à Koshigaya sont, eux aussi, connectés par des terrasses tandis que les salles de classes sont logées dans des bâtiments amplement vitrés. Les étudiants peuvent ainsi s’observer les uns les autres pendant qu’ils travaillent. En jouant sur cette transparence, l'architecte entend susciter l’intérêt mutuel et les échanges interdisciplinaires.
Murs effacés
Effacer les murs, les rendre invisibles est une marque de l’architecture de Riken Yamamoto. En élargissant les vues, l’architecte veut accroître le sentiment d’appartenance de tous à un programme donné. Ainsi le centre de secours des pompiers Hiroshima Nishi, en 2000, est une construction toute de verre qui permet aux passants de regarder les pompiers s'entraîner quotidiennement. De cette manière, la population est censée mieux connaître ceux qui veillent sur sa vie. A l’inverse, en 2006, au Musée d’art de Yokosuka, l’essentiel des espaces construits sont souterrains. Des ouvertures autorisent toutefois le visiteur à admirer le paysage. En effet, dans cette institution, c’est le lien avec l’environnement naturel - la mer en face, les montagnes alentour - qui est prioritaire.
L’architecte touche enfin à l’urbanisme, notamment avec le projet de développement de Ryokuen-Toshi, à Yokohama en 1994. Il propose alors de laisser la ville se construire et suivre son évolution sans véritable plan préétabli, mais à la condition que tous les programmes construits, quels qu’ils soient, laissent un passage ouvert sur leur emprise. Là encore, l’idée est de voir se constituer un ensemble unificateur.
Alors qu’il peut s’enorgueillir d’une œuvre prolifique, essentiellement construite au Japon, en Chine ou en Corée-du-Sud mais aussi en Suisse, Riken Yamamoto poursuit aujourd’hui sa tâche, toujours à Yokohama. Le 16 mai prochain, il sera aux Etats-Unis, à Chicago, ville de la famille Pritzker. C’est alors que se tiendra la cérémonie de remise de son prix.