Interview

«Bâtir est un art poétique qui a tendance à se perdre», Renzo Piano, architecte

Le fondateur de l’agence Renzo Piano Building Workshop (RPBW) revient sur un demi-siècle de carrière à l’occasion d’une exposition actuellement présentée à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé à Paris (XIIIe), qui fête ses dix ans cette année.

La Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, à l’occasion des dix ans de sa construction sur l’avenue des Gobelins à Paris (XIIIe), expose jusqu’au 23 novembre prochain le projet que vous avez conçu, ainsi que tous les autres réalisés dans la capitale par votre agence, Renzo Piano Building Workshop (RPBW), depuis près d’un demi-siècle (Centre Pompidou, Ircam, tribunal, logements de la rue de Meaux, etc.). Quelle était votre idée pour ce lieu ?

Quand Jérôme et Sophie Seydoux sont venus me chercher en 2006 pour concevoir cette fondation dédiée au cinéma, le projet m’a plu tout de suite. Il fallait bâtir un coffre où mettre les précieux trésors de l’entreprise Pathé, aussi ancienne que l’art lui-même : appareils de projection, affiches, etc. L’édifice est caché au fond d’une cour. Seule la toiture s’aperçoit depuis la rue. L’idée était de construire une créature silencieuse qui vient prendre la lumière sans la voler aux autres habitants de l’îlot. C’est ce qui explique sa forme étrange.

Il y a eu beaucoup de passion autour de ce minuscule projet, de seulement 2200 m². Quand les clients m’ont appelé pour m’annoncer qu’il avait dix ans - « mama mia ! » - et qu’ils voulaient organiser une exposition, ça m’a fait très plaisir. J’aime revoir des bâtiments, autant que des films. J’y repasse de temps à autre. Aujourd’hui, je vois que les bouleaux plantés dans le jardin ont grandi et qu’un café, qui n’existait pas à l’origine, a été ajouté. Ça fait de ce lieu une véritable destination.

Dans l’exposition « Renzo Piano – Paris », un documentaire retrace la conception, la construction et la réception de vos œuvres parisiennes. Quels sentiments avez-vous en revoyant le film de votre vie d’architecte ?

Je suis d’abord étonné de voir que près de 50 ans se sont déjà écoulés, parce que j’ai le sentiment qu’ils sont passés en un éclair. Architecte est un métier compliqué, qui génère parfois de l’anxiété. Il faut avoir beaucoup de résistance pour faire aboutir les projets. De la conception à la livraison, il s’écoule de nombreuses années : six pour le Centre Pompidou, sept pour le tribunal, huit pour la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé. Réaliser des chantiers à Paris n’est pas simple, notamment à cause des diverses réglementations. Mais ce qui me rend heureux en regardant le chemin parcouru, c’est qu’il s’agit à chaque fois d’un bâtiment ouvert au public. Les édifices publics sont des espaces de rencontre et d’échange où les gens partagent des valeurs communes. En les construisant, les architectes apportent leur contribution à la société, ce qui anoblit le métier selon moi.

Votre histoire avec le cinéma se poursuit encore puisque l’agence rénove actuellement le Paramount, ouvert en 1927 dans le quartier de l’Opéra, dont les travaux doivent s’achever en 2024. A quoi ressemblera ce nouveau Pathé Palace ?

Je ne peux rien dire, c’est une surprise ! Il faudra attendre encore quelques mois. Sachez juste qu’on y trouvera un complexe de sept salles, avec un grand puits de lumière transparent et une toiture-terrasse accessible. Les toits parisiens sont de très beaux espaces qui ne doivent pas être réservés qu’aux chats… En architecture, certains pensent que pour être créatif, il faut être libéré de toute contrainte. C’est faux ! Quoi de plus formidable que de pouvoir se raccrocher physiquement à l’histoire d’un lieu, d’une ville ? Bâtir est un art poétique qui a malheureusement tendance à se perdre.

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