« Désormais tout le monde réalise la révolution que représente l’hydrogène. Son développement s’accélère et nous sentons bien que les choses sont en train de se cristalliser », estimait le PDG de Vinci, Xavier Huillard, le 27 septembre, dans les locaux parisiens de Léonard, la plateforme de prospective et d’innovation de son groupe.
Une analyse sans équivoque du dirigeant, dont la prise de conscience sur ce sujet est relativement récente. « Il y a encore quelques années, je n’aurai pas cru que cet enjeu énergétique traverserait tout notre groupe aujourd’hui », convient-il sans mal.
Une production qui reste à verdir
Voilà néanmoins 5 ans que le géant du BTP et concessionnaire d’infrastructures a décidé de faire de l’hydrogène le fil rouge d’une stratégie de long terme qui doit embarquer l’ensemble de ses activités et de ses expertises. « L’équation de décarbonation de nos sociétés ne passe pas sans l’hydrogène », résume son directeur du développement, Christophe Pélissié du Rausas.
Abondante, puisque fruit de l’électrolyse d’une molécule d’eau, cette énergie présente également, à la différence de l’électricité dont la place dans le mix énergétique est appelée à croître, le mérite de ne pas dépendre du réseau et d’offrir des capacités de stockage à même de sécuriser les capacités énergétiques.
Mais pour satisfaire aux exigences de réduction des émissions de dioxyde de carbone, l’hydrogène doit encore verdir. A ce jour, 96% de la production mondiale est toujours d’origine fossile. « Dans ce cas, la production d’1 tonne d’hydrogène génère alors approximativement 10 tonnes de CO2 », poursuit Christophe Pélissié du Rausas.
A minima, il s’agit donc de limiter cette empreinte carbone via la captation du CO2, la biomasse... Mais le véritable enjeu se situe évidemment dans une production décarbonée d’origine nucléaire ou renouvelable (solaire photovoltaïque, éolienne), susceptibles d’entraîner des levées de bouclier, comme par exemple sur l’usage du foncier.
« En Allemagne, l’électrification est perçue comme une urgence qui justifie la consommation du foncier, dès l’instant qu’il n’y a pas de compétition avec un projet agricole. Ce choix la France ne l’a pas encore exprimé », constate Xavier Huillard avant de regretter les nombreux freins qui ralentissent encore le développement des EnR dans l’Hexagone.
« Vinci a participé au premier appel d’offres d’éolien offshore en 2011. Or, le premier parc en France vient à peine d’être inauguré. Evidemment, accélérer peut bousculer certaines parties prenantes, mais nous devons en passer par là », assure celui qui voit dans la décarbonation et la sécurisation de nos capacités de production énergétique « un enjeu existentiel ».
Stockage et distribution : ces infrastructures à concevoir
Parmi les projets menés actuellement, celui baptisé HyDeal España auquel participe Vinci, illustre l’émulation autour de l’hydrogène. Toujours en phase d’études, il porte sur l’installation au nord de Madrid de 9,5 GW de panneaux photovoltaïques sur plus de 10 000 hectares et 7,4 GW d'électrolyse, soit des puissances comparable à celle de six EPR.
Mais au-delà de ces chiffres inédits, le projet permet également d’appréhender les différentes solutions indispensables à la distribution de l’énergie et à son stockage, sur lesquelles se positionne aussi Vinci. Au programme : un millier de kilomètres de pipelines et l’utilisation du milieu souterrain pour conserver le précieux hydrogène.
Moyennant une emprise au sol réduite (seulement quelques m²), ce sont ainsi plusieurs milliers de tonnes qui peuvent être conservées en toute sécurité grâce à un puits menant à des cavités. Des quantités à mettre en regard des 4 tonnes de capacités de la citerne d’un camion ou les 200 tonnes d’une sphère aérienne, comme on en retrouve sur les sites industriels.
Hub hydrogène pour les aéroports
Cette recette qui va de la production à la distribution, en passant par le stockage, Vinci compte bien l’appliquer sur ses infrastructures de mobilité, notamment les aéroports confrontés aux mutations à venir de l’aviation. Dans cette optique, sa plateforme de Lyon-Saint-Exupéry entend tenir le rôle de hub hydrogène capable d’alimenter véhicules électriques et, demain, les avions à hydrogène. « Peu importe que cette dernière technologie soit effectivement au rendez-vous de 2035, comme l’annonce aujourd’hui Airbus, son arrivée est une certitude et nous devons nous y préparer, explique Xavier Huillard. Pour l’essentiel nous disposons déjà de toutes les expertises requises », rappelle-t-il.
Soutien et investissements
Pour le groupe comme pour de nombreux acteurs économiques et institutionnels, l’heure n’est plus à l’interrogation, mais à l’action. Vinci investit dans des électrolyseurs à haute performance dans le cadre de la société conjointe de technologie née d’un partenariat public-privé et baptisée Genvia, mais aussi via le fonds hydrogène bas carbone lancé en septembre 2021 par le groupe, Air Liquide et Total Energies et devenu le plus grand en son genre au gré des entrées de nouveaux investisseurs. L’objectif de cette dernière initiative ? Fédérer les acteurs pour financer des projets par des participations minoritaires et tendre vers la massification du marché, indispensable à la réduction du coût de l’hydrogène.
Toutes ces démarches font échos à des aides publiques en croissance. Xavier Huillard se félicite d’ailleurs de la création d’un guichet unique au niveau européen dédié à l’hydrogène. « C’est nécessaire pour connecter nos ambitions énergétiques et environnementales de long terme avec la réalité économique. Les subventions apportées pendant une dizaine d’années au photovoltaïque témoignent que c’est la bonne méthode, même si ce n’est pas forcément la France qui en a profité. Aujourd’hui, la production d’énergie solaire est à des prix compétitifs ». Et demain peut-être ceux de l’hydrogène.