Suspendus à la charpente métallique et désignés sous le nom de « nourrices », six anciens silos à charbon et à eau s’imposent au regard du visiteur à la mi-juillet, sur le chantier municipal de l’école des arts baptisée la « Vill’A » à Illkirch-Graffenstaden (sud de Strasbourg). La structure déshabillée de l’ancienne chaufferie industrielle, construite en 1922, révèle l’intention de l’agence d’architecture Chochon & Pierre : après avoir transformé la matière première en énergie pendant 60 ans, ces poches centrales orientent l’agencement des 3800 m2 utiles. « Mieux qu’une répartition horizontale, les boîtes verticales obligeront les danseurs à croiser les plasticiens et les musiciens », se réjouit Pascale Gendrault, adjointe chargée de la culture. En respectant les niveaux intermédiaires de l’ancien bâtiment industriel, les concepteurs multiplient les occasions de rencontre entre les disciplines et les générations. Pour faciliter les repérages, des codes couleurs corrigeront l’effet de labyrinthe.
Boîtes dans la boîte
Les vertus conceptuelles de l’ancienne chaufferie s’harmonisent avec l’approche technique du projet : « Autour des silos qui en constitue le noyau, la structure renforcée n’entrera presque pas en contact physique avec les aménagements neufs, conçus comme des boîtes dans la boîte », résume Pascal Meyer, directeur du patrimoine bâti et de la logistique à la ville.

La réduction des interférences entre le neuf et l’ancien facilite la conformité avec la réglementation parasismique. Le respect des agencements initiaux, dictés autrefois par le process, facilite aujourd’hui l’isolation acoustique, grâce au faible nombre d’angles droits. « La complexité géométrique de l’ouvrage a imposé une grande rigueur à l’entreprise de gros oeuvre », précise Pascal Meyer. Le maître d’ouvrage a accordé une place majeure au critère méthodologique, pour choisir le titulaire de ce marché confié à l’entreprise allemande Bilfinger & Berger.
Soudure urbaine
Dans les façades où s’organisent le stockage et la circulation de l’air en fonction des besoins de fraîcheur et de chaleur, la fidélité à la mémoire du lieu s’exprimera à l’ouest et au nord. Des recherches en cours sur les crépis initiaux visent une restitution aussi fidèle que possible. Excroissance neuve au sud, l’espace dédié aux artistes en résidence jouxtera une salle d’exposition. A l’ouest et vers le centre-ville, les danseurs domineront le canal usinier. A travers une passerelle à deux branches, dont l’une pénètrera au premier étage de la Vill’A, et la seconde dans le jardin public attenant, l’agence Chochon & Pierre a désenclavé la presqu’île qui isolait l’ancienne chaufferie de la ville. « Nous avions d’abord programmé la passerelle comme un projet séparé. La proposition de l’architecte nous a convaincus de l’intégrer à la Vill’A », témoigne Pascale Gendrault.
Réservée aux piétons et aux vélos, cette soudure urbaine s’harmonise avec l’extension du tram de Strasbourg vers le centre d’Illkich, en chantier à partir de cet été. La ligne desservira la médiathèque et salle de spectacles L’Illiade, complémentaire de la Vill’A, dans une station équipée d’un parking. De là, les élèves artistes, leurs formateurs et les adeptes d’un pique-nique au bord de l’eau n’auront qu’à emprunter la passerelle de 80 m de long pour atteindre la presqu’île.
Nouvelles reconversions en vue
A posteriori, l’intégration de l’ouvrage de génie civil dans le projet architectural donne au site de la Vill’A l’allure trompeuse d’une évidence. Pourtant, en 2009, une année de concertation avait précédé le choix entre quatre options, parallèlement aux études de programmation conduites par Aubry et Guiguet. En confortant un centre-ville salué en 2008 par les Trophées de l’aménagement du Moniteur, et aménagé dans l’ancienne usine de machines-outils et de locomotives située à la jonction entre les quartiers d’Illkirch et de Graffenstaden, la Vill’A marque une étape qui en appelle d’autres : au nord, l’équipement culturel jouxte les bâtiments partiellement inoccupés d’une ancienne centrale hydroélectrique ; à l’ouest, Huron, ultime avatar de l’ancien complexe industriel, envisage une délocalisation. « Ca ne s’arrête jamais », philosophe Jacques Bigot, maire d’Illkirch-Graffenstaden depuis 1995, et président de la communauté urbaine de Strasbourg.