La consultation publique organisée par la Commission européenne sur son document d’orientation (1) relatif à l’évaluation du préjudice causé par les ententes et abus de position dominante est close depuis le 30 septembre. S’adressant principalement aux juges nationaux et aux non-économistes, ce texte, avant tout politique, se veut pédagogique. Les juges nationaux chargés du contentieux de la réparation en apprécieront l’utilité. Les victimes également.
Un texte politique et pédagogique
Cette consultation fait immédiatement suite à l’achèvement de celle portant sur les recours collectifs. La Commission européenne poursuit ainsi les travaux initiés dans le cadre du Livre vert de 2005 et du Livre blanc de 2008 relatifs aux actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de l’Union européenne sur les ententes et les abus de position dominante. En dehors de ses prises de position sur l’importance de la réparation (« private enforcement ») et des études qu’elle a commandées au fil des années sur le sujet, la Commission n’a aucune expérience en matière d’évaluation des préjudices découlant de pratiques anticoncurrentielles. Celle-ci est en effet du seul ressort des juridictions nationales. Or, l’Europe se caractérise aujourd’hui par des amendes très élevées et des réparations civiles faibles. Soit tout le contraire des Etats-Unis. Dans ce contexte, cette consultation publique revêt une forte dimension politique.
Le texte d’orientation, traduit en 22 langues, vise à faciliter la compréhension des enjeux de l’évaluation des préjudices résultant de pratiques anticoncurrentielles ; mais il ne lie pas les juridictions nationales. En 74 pages, il décrit certaines des méthodes et techniques utiles pour évaluer ce préjudice, qu’il s’agisse de méthodes comparatives ou autres.
S’appuyant sur de nombreux exemples et jugements nationaux, la Commission européenne établit les critères de pertinence de ces méthodes. Autant de recommandations à destination des juges nationaux, et d’indications utiles aux victimes. Pédagogue, la Commission explique également comment il peut exister un préjudice alors même que les bénéfices de la victime ont augmenté ou que sa part de marché a pu se maintenir en raison d’autres facteurs (§168).
Le document d’orientation est toutefois incomplet. La situation de toutes les victimes n’est pas abordée. Il en est ainsi des fournisseurs de l’auteur de l’infraction ou encore des clients des concurrents respectueux du droit (§19). En outre, certains préjudices ont été peu abordés (perte de chance), voire pas traités du tout (préjudice moral).
Des évolutions significatives
En France, la victime de pratiques anticoncurrentielles peut obtenir réparation des préjudices causés par ces pratiques, selon les cas, devant les juridictions civiles, commerciales, répressives ou administratives (2). Or, la discussion sur le préjudice et son évaluation dans les jugements français rendus en la matière est souvent réduite, sauf lorsque le juge décide de recourir à une expertise. Le document d’orientation de la Commission européenne soulève toute la complexité de l’évaluation du préjudice, ce qui devrait encourager les juges nationaux appelés à statuer sur des recours en indemnisation à solliciter l’avis d’un expert.
Destiné à diffuser le plus largement les informations utiles à l’évaluation du préjudice, le document d’orientation, qui s’appuie notamment sur un grand nombre de jugements allemands et italiens, favorisera le dialogue des juges nationaux entre eux et avec la Commission européenne. A l’inverse, il pourrait également accentuer le « forum shopping » - c’est-à-dire la recherche du tribunal le plus accommodant - entre les 27 Etats membres : si le choix exercé par les juges nationaux entre les différentes méthodes d’évaluation du préjudice peut en effet être harmonisé, il en va différemment s’agissant des règles de procédure et des délais de jugement.