La reprise des investissements communaux et intercommunaux sera-t-elle au rendez-vous de cette année 2022 ?
Je crains que non, hélas, car l'inflation contrarie l'effet de cycle électoral. La guerre en Ukraine amplifie un phénomène qui a commencé bien avant : le goulet d'étranglement occasionné par la reprise mondiale provoque l'envol des prix des matériaux de construction, de l'énergie et de l'alimentation.
Mais un second facteur, dont presque personne ne parle, relève de la politique monétaire : depuis la crise des subprimes en 2007-2008, la surinjection d'argent public entretient une inflation structurelle. Compréhensible pendant la pandémie, le « quoi qu'il en coûte » s'est dénaturé dans le clientélisme électoral pour amplifier une création monétaire déconnectée de la production. Cette bombe à retardement impactera autant les investissements des collectivités que le pouvoir d'achat des ménages et le creusement des inégalités.
Le bloc local pourra-t-il supporter les nouveaux efforts que lui a demandé Emmanuel Macron pendant sa campagne présidentielle ?
Je souscris à la nécessité de réviser les impôts de production, mais seul un autre impôt économique pourra recréer le lien fiscal entre les territoires et les entreprises pour faciliter l'accueil de ces dernières. En revanche, je ne peux accepter l'effort de 10 à 20 milliards d'euros demandé par Emmanuel Macron aux collectivités [le candidat Emmanuel Macron l'a chiffré, lui, à 10 milliards d'euros, NDLR]. Pourquoi devraient-elles compenser le laxisme de l'Etat, qui a augmenté ses dépenses de 50 milliards d'euros, hors Covid ? Rappelons que le bloc local réalise 70 % de l'investissement public, alors qu'il ne génère que 9 % de la dette publique, et que cette dette des collectivités génère des actifs puisqu'elle finance des investissements, contrairement à celle de l'Etat, qui emprunte pour son fonctionnement.
Qu'attendez-vous du courrier adressé le 9 mai à Bercy par cinq associations d'élus - dont l'AMF - sur les conséquences de la hausse du prix de l'énergie dans les marchés publics ?
Il est nécessaire d'assurer la sécurité juridique des marchés publics en cours d'exécution en adaptant la législation afin de préserver la continuité d'un service public de qualité.
La démarche vise aussi à ce que les collectivités soient traitées comme les entreprises en matière d'achat d'énergie [selon les associations d'élus, le régime légal de l'imprévision se révèle inadapté à la volatilité des prix dans les marchés d'approvisionnement courant ou de travaux, NDLR]. Depuis le début du mandat, les élus communaux ne gèrent que des situations de crise : il est à craindre que cette fois-ci, les hausses affectent durablement les finances de toutes les collectivités territoriales.
Le 15 mars dernier, lors de la Rencontre des libertés locales initiée par l'AMF, vous avez appelé à refonder les relations entre l'Etat et les territoires sur l'idée de subsidiarité ascendante. Qu'entendez-vous par là ?
La subsidiarité ascendante [quand l'Etat redonne du pouvoir au local, NDLR] concilie liberté, efficacité et dignité. Elle règle les problèmes au plus près des réalités, pour concilier des légitimités contradictoires et associer la performance de l'action publique avec le sens du collectif. Ce modèle permet à l'Etat-nation de se concentrer sur ses fonctions nobles : veiller aux libertés publiques et à l'égalité des chances entre les individus et les territoires, entretenir une instruction publique rigoureuse, ainsi que des infrastructures de soins, de transport, d'énergie, de diffusion de données, etc.
« Le bloc local réalise 70 % de l'investissement public, alors qu'il ne génère que 9 % de la dette publique. »
Comment bien répartir les responsabilités de l'Etat et des collectivités dans la transition énergétique ?
L'accès aux sources d'énergie et la lutte contre la part anthropique du dérèglement climatique (1) passent par des politiques internationales et nationales. Le nucléaire, qui apporte la décarbonation la plus efficace, se pilote à grande échelle. Et l'hiver douloureux auquel nous devons nous attendre rappelle l'importance de la diplomatie. La part locale concerne la mise en œuvre des énergies renouvelables.
Pour responsabiliser les collectivités comme les entreprises et les individus, le rôle de l'Etat pourrait consister à valoriser les externalités positives de nos choix, à travers un système de bonus-malus. Rendu possible par les progrès scientifiques, cet accélérateur de la décarbonation ne remettrait pas en cause les libertés locales, contrairement aux contrôles a priori et à l'empilement des procédures dont les maires souffrent au quotidien, entre la Dreal, la DDTM, l'architecte des bâtiments de France, la commission des sites, l'opacité des conditions de rachat… Un grand potentiel local ne demande qu'à s'épanouir à travers des formules coopératives, des montages public-privé…
La loi 3DS a-t-elle fixé un cadre institutionnel adapté pour améliorer la relation entre l'Etat et les collectivités ?
L'AMF l'a sauvée en commission mixte paritaire grâce au travail des sénateurs, dont Françoise Gatel, Bruno Retailleau et le président Gérard Larcher. Ce texte patchwork a nécessité, pour être utile, une collaboration de qualité entre les élus locaux et l'ancienne ministre Jacqueline Gourault qui n'a pas menti sur la marchandise, en reconnaissant qu'il ne s'agit pas d'une grande loi de décentralisation. Sans doute ne pouvait-on guère mieux faire en fin de quinquennat.
Mais rappelons-nous les Gilets jaunes ! Tout d'un coup, le chef de l'Etat s'était souvenu de l'existence des maires et avait affirmé : « Nous avons besoin d'un nouvel acte de décentralisation. » Puis, au fil du temps, les élus ont obtenu de replacer l'objectif zéro artificialisation nette dans des délais moins déraisonnables et des assouplissements sur la loi SRU. Mais où est la grande loi sur les libertés locales et la subsidiarité dont notre pays a besoin ? L'Etat n'a même pas su se saisir de l'occasion pour mettre fin à ses propres contradictions en matière de déconcentration.

En tant que maire de la Ville de Cannes, la prévention des risques climatiques fait partie de votre quotidien. La loi Climat et résilience répond-elle aux besoins des collectivités concernées ?
Nous ne sommes qu'au début du problème. L'Etat n'a pas mis un sou sur le littoral depuis des décennies ! J'ai récemment refusé d'intégrer Cannes dans la liste des 126 communes les plus exposées, en raison de l'incroyable brutalité du décret du 30 avril dernier : dans un délai d'une semaine, le pouvoir central exige une délibération qui engage un transfert de responsabilité majeure, avec des impacts financiers et juridiques énormes.
En revanche, dans notre territoire couvert à 70 % par les plans de prévention des risques d'inondation, le travail local très intense avec l'Etat a abouti à trois programmes d'action et de prévention qui engagent 160 millions d'euros d'investissements sur dix-huit ans. Nous avons inventé le véhicule juridique qui permet de suppléer aux carences du privé dans les vallons obstrués par les embâcles, une première en France.
Revendiquez-vous l'étiquette de maire bâtisseur ?
Il faut sortir de l'assimilation entre bâtisseur et bétonneur.
Je m'applique à sanctuariser certains secteurs, agrandir des espaces naturels et reconstruire la ville sur elle-même, pour protéger le territoire sans le fétichiser, et en finir avec ces zones commerciales périphériques atrocement laides. Le système de bonus-malus que je propose renforcera le sens des responsabilités locales sur ce sujet. Oui aux maires bâtisseurs sans gaspillage foncier et avec une esthétique renouvelée, grâce à l'appui des architectes.