Les silhouettes désaxées des tours Duo, dessinées par Jean Nouvel ont bouleversé le panorama du XIIIe arrondissement de Paris et bien au-delà. Mais l’attention se focalise ces jours-ci sur un projet voisin, le programme Nouvel R qui prévoit notamment la construction de deux autres immeubles de grande hauteur, un tour de logements de 100 m et une seconde, de 180 m, destinée à mixer habitat et bureaux.
Ligne de mire
Alors que le dossier a subi un revers à l’occasion du vote d’un amendement par les écologistes et la droite lors du dernier conseil de Paris, le 14 octobre (voir ci-dessous), il était déjà dans la ligne de mire d’une tribune intitulée «Stop aux tours à Paris !» et signée quelques jours plus tôt par diverses associations comme France nature environnement-Paris, La Seine n’est pas à vendre et quelques personnalités dont les Grand Prix de l’urbanisme Patrick Bouchain et Nathan Starkman. Ces deux derniers ont expliqué au «Moniteur» pourquoi ils se sont associés à cette pétition.
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Ainsi Nathan Starkman, lauréat du Grand Prix en 1999 et qui a dirigé l’Atelier Parisien d’urbanisme (Apur) pendant dix ans, s’associe à la plupart des critiques formulées dans le texte. Il déplore «le bourrage prévu d’un espace qui n’est même pas tout à fait libre, puisqu’il comprend un échangeur et la construction, y compris de logements, dans un lieu soumis à tant de nuisances.»
La parcelle du projet, si elle a l’avantage d’être en front de Seine, est en effet traversée par le boulevard périphérique. «J’ai du mal à comprendre comment on peut imaginer un projet en telle contradiction avec le PLU bioclimatique, annoncé par la Ville de Paris, dans lequel seront prônés la protection de la biodiversité, le maintien de zones de pleine terre ou encore la lutte contre les îlots de chaleur urbains», poursuit l’urbaniste.
Patrick Bouchain, Grand Prix de l’urbanisme 2019, partage cette vue : «comment peut-on dire qu’on va bâtir autour des immeubles de Jean Nouvel, alors que ce site est déjà invivable ? Il faut arrêter de tout concentrer en de mêmes lieux et mieux répartir les programmes sur le territoire, ne serait-ce que pour éviter la congestion des transports en commun. J’irai même jusqu’à dire : rendons des mètres carrés à la nature !»
«Manque de débat»
Pour autant Nathan Starkman se démarque de la tribune sur un point : son titre. «Je ne suis pas dans la critique systématique des tours, insiste-t-il. On peut en construire avec parcimonie, quand elles représentent la meilleure solution pour un site. Elles peuvent s’avérer agréables et utiles comme l’est le Tribunal de Paris conçu par Renzo Piano dans le XVIIe arrondissement. »
Il s’interroge néanmoins : «quand on pense aux polémiques déclenchées, à l’époque, par l’édification du Centre Pompidou ou de la pyramide du Louvre, qui étaient certes situés dans des secteurs à haute valeur patrimoniale, on ne peut que s’étonner du manque de débat au sujet des tours. Alors même que de tels immeubles modifient radicalement le paysage.»
«Construire intelligent»
Patrick Bouchain, de son côté, entend que l’on tire les conclusions de la crise du Covid qui a vidé les bureaux, et notamment les immeubles du quartier la Défense, dans les Hauts-de-Seine. «On savait déjà qu’il y avait un certain absentéisme dans ces immeubles car il est difficile de travailler empilés dans une tour. Avec les suites de cette crise et le développement du télétravail, nous avons découvert une opportunité de ne plus le faire.»
L’architecte appelle donc à penser autrement les bâtiments «pour construire intelligent, et donc réversible». Et d’expliquer : «nos usages sont mobiles. Il faut apprendre à bâtir des immeubles capables, des volumes qui pourront accueillir des activités diverses qui, pour certaines, n’ont peut-être même pas encore été inventées.» Patrick Bouchain conclut : «l’Etat devrait décider qu’il ne soit plus possible d’accorder de permis des construire à des immeubles à utilisation unique.»
Un projet Nouvel R au rabais ?
Lors du conseil de Paris, le 14 octobre, les groupes écologiste et Républicains, centristes et indépendants ont remis en cause le projet d’une tour de 100 m de haut, dans le secteur Bruneseau nord, sur la ZAC Paris rive gauche, dans le XIIIe arrondissement.
L’amendement déposé par les élus EELV et adopté par cette coalition visait une délibération relative au déclassement et à la cession à la Semapa, aménageur de la ZAC, d’une parcelle située à l’angle de la rue Bruneseau et du quai d’Ivry. Actuellement occupée par la Cité technique et administrative de la Ville de Paris (la cité Kagan) où sont logés des services municipaux, la parcelle devait recevoir l’immeuble de grande hauteur. Le texte présenté par l’exécutif portait sur la prolongation pendant trois ans (jusqu’en février 2025) du délai de trois ans accordé par une délibération de février 2019 à l’aménageur pour reloger les agents de la Ville.
L’amendement a empêché la prolongation de cette échéance en actionnant la clause résolutoire prévue dans cette première délibération. Le non-relogement des agents municipaux d’ici à février 2022 –le nouveau bâtiment devant les accueillir dans la ZAC Bédier Oudiné ne sera pas livré avant la fin 2024–, entraîne de facto la non-désaffection du site et donc la résolution de la vente du foncier à la Semapa.
Cette tour de 100 m de haut est incluse dans le projet Nouvel R, lauréat de l’appel à projets urbains innovants remporté en 2019 par un groupement emmené par Les Nouveaux Constructeurs (mandataire), avec AG Real Estate, Icade, Nexity, accompagnés de Adjaye Associates, Buzzo Spinelli Architecture, Hardel Le Bihan Architectes, Youssef Tohme Architects & Associates.
Cet ensemble immobilier, d’une surface initiale de 95 000 m² SP, prévoit une autre tour de 180 m de haut.