Strasbourg : la ceinture verte se veut garante de l'équilibre entre ville et nature

Produit de l'histoire locale, la large trame de verdure autour du centre-ville gagne en superficie et profite de mesures de préservation contre l'artificialisation. Mais attention à ne pas aller trop loin, mettent en garde les constructeurs.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
La ceinture verte englobait déjà des espaces urbanisés au cours des dernières décennies, comme la presqu'île Malraux, bordée par le bassin d'Austerlitz (ci-dessus) et située dans le prolongement sud-est du centre-ville historique.

Le poumon de Strasbourg (Bas-Rhin) prend ses aises. La ceinture verte, réseau continu d'espaces naturels autour du centre-ville, vient de s'adjoindre une grosse moitié de superficie : elle est passée de 900 à 1 400 ha avec l'entrée en vigueur, en fin d'année dernière, de la modification n° 4 du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) de la métropole alsacienne. Elle rejoint ainsi des zones d'urbanisation majeures ou s'y renforce : le quartier d'affaires Archipel, qui se tourne vers la mixité d'usages ; la ZAC des Deux-Rives, vectrice d'un nouveau morceau de ville entre le centre et le Rhin ; ou encore le secteur du stade de la Meinau. Sa croissance s'accompagne d'une évolution de son profil, consacrée dans le PLUi par une orientation d'aménagement et de programmation (OAP) qui lui est dédiée.

Cet outil fixe dans ses préconisations générales la préservation, le renforcement et la création de corridors écologiques, la constitution « d'une promenade métropolitaine autour de l'eau et d'un réseau de parcs », l'affirmation de son rôle pour les « déplacements vélo structurants » et la valorisation ou création d'« articulations visuelles » (des « percées ») pour pouvoir admirer le patrimoine remarquable du centre-ville. En effet, le périmètre du classement de celui-ci par l'Unesco, élargi en 2017, amène son territoire à la frontière de la ceinture. Sont aussi listés plus précisément l'aménagement ou l'extension d'une dizaine de parcs et la constitution de cinq « connexions vertes », zones non ou faiblement bâties.

« L'orientation d'aménagement et de programmation aide à repérer les espaces à déminéraliser afin qu'ils puissent lutter contre les îlots de chaleur urbains », précise Stéphane Hamm, chargé d'études principal à l'Adeus, l'agence d'urbanisme locale qui a assuré la rédaction technique du document. Hors le cadre de l'OAP, le périmètre historique des 900 ha est par ailleurs désigné comme un laboratoire à grande échelle du zéro imperméabilisation nette (ZIN), soit un principe de compensation intégrale des projets de construction et d'aménagement.

La capacité à bâtir contenue. L'introduction de cet ensemble de dispositions déclenche ce questionnement parmi les acteurs de l'acte de construire : l'équilibre entre artificialisation et végétalisation, tel qu'il a été façonné depuis plus d'un siècle, pourrait-il être remis en cause au détriment de la capacité à bâtir ? La règle de base, sur ce point, est fixée par une loi de décembre 1990, qui l'incarne dans un pourcentage : « l'implantation des constructions, c'est-à-dire la surface hors œuvre brute du niveau édifié sur le sol, ne peut couvrir une surface totale supérieure à 20 % de la superficie globale » des terrains constitutifs de la ceinture verte historique.

Les origines de cette dernière remontent bien plus loin dans le temps, au XVIIe siècle, avec la création d'un cordon de parcs et jardins sur tout le pourtour du centre ancien dans une optique de salubrité publique. Mais son histoire moderne se poursuit dans un contexte militaire, celui du régime allemand en vigueur après la guerre de 1870 : créer un réseau moderne de fortifications, dans une zone dite « non ædificandi » (« non à construire ») soumise à interdictions ou à fortes restrictions de construction. Le principe subsiste après la Première Guerre mondiale avec la loi de 1922, qui acte néanmoins le retour à une fonction civile de la ceinture. Or la pression de la modernité va ensuite amener, non à faire perdre toute visibilité à une telle trame verte, du moins à la traverser en plusieurs endroits pour installer des bâtiments et surtout des rocades d'autoroutes.

Mettant fin au concept ambigu de zone non ædificandi, la loi de 1990 n'a cependant pas apporté toutes les clarifications attendues, notamment quant aux règles de référence pour le calcul des fameux 20 %. La justice administrative a été trop peu interrogée par des recours pour dégager une jurisprudence d'interprétation suffisamment solide.

Préciser les règles du jeu. Dans ce contexte, l'actuelle municipalité, écologiste, a saisi l'occasion du centenaire de la loi de 1922 pour tenter de préciser les règles du jeu. Elle l'a fait par cette OAP, dont le contenu est ainsi rendu opposable aux demandeurs de permis qui doivent s'assurer de la compatibilité de leur projet. « Face à l'ampleur que prend le changement climatique, il y avait le besoin de mieux réaffirmer le principe de la préservation de la nature en ville et de la biodiversité, et de la consacrer par le droit », justifie Suzanne Brolly, adjointe à la maire chargée de la ville résiliente.

De cette évolution, les professionnels de l'immobilier craignent toutefois qu'elle ne soit synonyme de restrictions supplémentaires à la construction à l'intérieur de ce périmètre d'une taille non négligeable. « L'objectif d'un urbanisme mesuré et rafraîchisseur de la ville est légitime, mais est-ce à la seule commune de Strasbourg de l'assumer au sein de l'agglomération ? Et il faudra attendre des projets concrets pour savoir si les règles du jeu sont bien claires », prévient Frank Maire, vice-président du pôle habitat de la FFB Bas-Rhin. « Si la conséquence était la construction toujours plus loin de Strasbourg, l'objectif de la ceinture verte de diminuer les émissions carbone serait annihilé par l'augmentation des trajets domicile-travail », craint Olivier Kinder, président de la FPI Grand Est. De quoi nourrir un débat de haute tenue à l'approche des municipales.

Chronologie

1922 : création par la loi de déclassement de l'enceinte militaire, et fixation d'un premier périmètre (complété par une loi de 1927).

1959 : décision de création de sections d'autoroute.

1990 : loi sur les règles de construction.

2024 : orientation d'aménagement et de programmation (OAP) et extension du périmètre.

La ceinture verte s'étend sur 1 400 ha, contre 900 ha jusqu'en 2024.

 

8523_475938_k4_k3_1138070.jpg

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !