Serge Mouille s'est distingué dans les années 1950 par sa modernité.
Ses éclairages aluminium, conçus pour une liberté d'usage, sont expressément orientables et présentent plusieurs sources de lumière pour augmenter leur adaptabilité. Créé en 1952, le tout premier luminaire de la série « Les formes noires » (le lampadaire à trois bras pivotants) faisait, l'année suivante, la couverture des magazines. Sitôt consacrés, les membres de cette famille élaborée sur dix années connaissent un succès continu, international - aux Etats-Unis, après une commande de l'acteur Henry Fonda. Aujourd'hui, si la méconnaissance du designer a de quoi étonner, un atelier français poursuit l'édition discrète de son œuvre.
Le passionné Serge Mouille échappe aux standards. Déjà quand, à 13 ans à peine, il obtient le concours pour intégrer les Arts appliqués et se consacrer à l'orfèvrerie ; ou quand, âgé de 24 ans, il est appelé à y enseigner et crée le diplôme des métiers d'art qui assure la transmission de savoir-faire spécialisés. Ce jeune prodige curieux de tout est un façonneur, un inventeur singulier. Il compose les vitrines de grands magasins, avant que Jacques Adnet l'invite à imaginer des « objets de lumière » pour la Compagnie des arts français. Il trouve l'inspiration dans la nature, et sa maîtrise hors pair de l'aluminium autorise des concrétisations originales. Ses silhouettes, qui existent avant même d'être allumées, investissent l'espace dans un noir extérieur mat systématique, et se caractérisent par un réflecteur organique et une ligne graphique. Associé à leur malléabilité, leur aspect fragile, dont l'équilibre est très étudié, renvoie à la légèreté des mobiles.
Réalisé dans une pièce unique d'aluminium, le premier - et plus célèbre - abat-jour que signe le designer doit son nom à ses courbes, Tétine. Si le nu féminin en est la source et qu'il s'approche d'un dessin de Carlo Mollino, sa forme répond à un souci de fonctionnalité : le mamelon contient la douille de la lampe qui masque l'ampoule placée au centre du réflecteur, afin d'offrir une luminosité maximale avec un réflecteur blanc. Serge Mouille développera près de 50 modèles, selon qu'il pince, découpe ou étire le matériau. Ses plafonniers, appliques, ou lampes à poser sobrement sculpturales se nomment Escargot, Flammes, Cocotte, Œil, Saturne . Les piétements se déclinent : en pointe, finis par des pastilles, des gouttes, ou dans un savant mélange.
Grincement caractéristique
En 1962, Serge Mouille cesse son activité, refusant une production qui deviendrait industrielle. La maladie l'emporte en 1988. Gin, sa veuve, confie en 1999 le soin de préserver son travail à Claude Delpiroux, dont l'atelier de Château-Thierry (Aisne) devient l'unique dépositaire des modèles estampillés « ESM », Editions Serge Mouille. Les contrefaçons sont nombreuses. « L'un des signes d'authenticité des produits tient au grincement caractéristique de l'articulation, dû au système de blocage par cardan qui interdit de pouvoir tourner les réflecteurs à l'infini », note Didier Delpiroux, qui poursuit l'affaire familiale. La rareté relative de la production est un choix : « Nous réalisons entre 1 800 et 2 000 pièces par an qui sont distribuées dans le monde entier. » Dans ce lieu habité par le respect du savoir-faire, Karl Sauvade, dernier élève du maître, poursuit son ouvrage, recalculant parfois les dimensions des pièces pour les besoins d'un nouveau commanditaire.
Depuis 2012, confortant l'esprit des lieux dans le haut artisanat d'art, la maison s'est ouverte à d'autres objets, sous l'appellation « Lignes de démarcation », un catalogue parallèle d'éclairages à la précision d'orfèvre. A la monochromie noire des travaux de Serge Mouille viennent ainsi s'ajouter les modèles immaculés de Michel Buffet (dessinés dans les années 1950 et réédités), les formes colorées de Jean-Louis Avril et l'hommage de François Azambourg au designer, la Chapelière martelée . Une sélection de pièces est présentée à la galerie MR14, du 8 au 16 septembre, lors de la Paris Design Week.










