Les incertitudes restent nombreuses, ce qui empêche les professionnels de la filière bois d'être pleinement rassurés. Pour autant, ils ont accueilli favorablement les annonces du délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages, Jean-Michel Servant, le 28 février dernier, lors du Forum Bois Construction à Paris. L'ingénieur a fixé un terme aux doctrines locales en matière de sécurité incendie. En l'occurrence, c'est la doctrine bois de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris qui crispe la filière depuis juillet 2021. Le texte exige en effet d'encapsuler systématiquement le matériau biosourcé pour éviter tous risques de combustion. S'il a été édicté dans la capitale, plusieurs services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) l'ont ensuite repris à leur compte, empêchant la concrétisation de nombreux projets.
« Une nouvelle réglementation nationale entrera en vigueur à l'été 2026 », a annoncé Jean-Michel Servant. Concrètement, les dispositions générales contenues dans l'arrêté sur les établissements recevant du public (ERP) et le décret sur les solutions d'effet équivalent (SEE) seront soumis à la consultation à partir de fin mars pour les publier en juin 2025. Les arrêtés sur le résidentiel, sur les procédures de mise en place des SEE ainsi que sur les accréditations des organismes tiers indépendants (OTI) sont prévus pour la fin de l'année.
Les contenus sur lesquels les professionnels de la construction bois pourront réagir sont inspirés des travaux pilotés depuis un an par le délégué interministériel et devraient reprendre plusieurs propositions de la filière bois construction. Il en résulte en particulier 13 dispositions techniques, dont certaines ont été établies par le CSTB à partir de l'analyse de l'incendie du Clos-du-Pré-Rouge à Grésy-sur-Aix (Savoie), en août dernier. Dans cette résidence de logements sociaux, les flammes se sont propagées très rapidement aussi bien en façade que vers l'intérieur des appartements et même dans la charpente. Extrêmement important, le flux thermique à l'intérieur du bâtiment a suffi à embraser le mobilier. « Or, cet ensemble qui datait de 2012 avait été construit suivant les règles de l'art. L'ouvrage bénéficiait même d'un surplus d'éléments en plâtre pour des raisons acoustiques car il se trouve à proximité d'une voie ferrée et d'une route », a détaillé, lors du Forum, Philippe Leblond, responsable de la division Risques ingénierie pour la sécurité des constructions (Risc) au CSTB.
Protéger les occupants et les pompiers. Les 13 mesures présentées témoignent d'une nouvelle logique pour Jean-Michel Servant. Il ne s'agit plus de raisonner par matériau mais de considérer les systèmes constructifs dans leur globalité, avec deux priorités : protéger les occupants d'une part et réduire les risques pour les pompiers en évitant ou ralentissant la propagation des flammes et le rayonnement thermique. Résultat, les propositions visent par exemple les sous-faces de coursives et de balcons. « Pour ces derniers, nous pouvons les habiller de métal ou changer de méthodes constructives et recourir à des dalles en béton. Dans tous les cas, cela n'empêchera pas de bâtir des immeubles en bois », estime Yves-Marie Ligot, dirigeant du BET du même nom.
Il ne s'agit plus de raisonner par matériau mais de considérer les systèmes constructifs dans leur globalité.
Pour protéger les façades, les dispositions à venir prévoient des bandes de recoupement en matériau incombustible larges de 1 m, voire de 2 m dans les dièdres (angles rentrants). « Cette solution technique présente l'inconvénient de trop marquer l'enveloppe et d'interdire toute ouverture dans ces zones. Les architectes ne l'accepteront jamais », s'agace l'ingénieur. Pour éviter la propagation des flammes en toiture, les mesures préconisent aussi des recoupements réguliers tous les 100 m² en charpente. Sans passer en revue la totalité des textes, notons que les circulations verticales devront être sanctuarisées avec une durée de résistance au feu garantie, des coupe-feu de 30 minutes devant être mis en place sur les balcons filants. Par ailleurs, un nouveau concept, celui de « Bâtiment à structure primaire combustible autorisée » (BSPCA), en lien avec les dispositifs de défense extérieure contre l'incendie (Deci), concernera les ouvrages à partir d'une certaine taille.
Les professionnels semblent en outre rassurés par la disparition de la notion de « masse combustible », qui pénalisait la construction bois. Exprimée en mégajoules par m2 (MJ/m²), elle correspond à la quantité de chaleur susceptible d'être dégagée par la totalité des matériaux combustibles d'une surface de référence. Sur le bâtiment de Grésy-sur-Aix, la masse combustible atteignait 900 MJ/m². Elle est traditionnellement de 2 000 à 2 500 MJ/m² pour le CLT et d'environ 200 MJ/ m² pour le béton.
Clauses de revoyure. Tous ces éléments sont encore soumis à caution. Les professionnels de la filière attendent donc la consultation officielle. C'est le cas, en particulier, du directeur technique et innovation de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), Frank Hovorka. Il note que « la doctrine a constitué un frein majeur au développement de la construction bois avec beaucoup d'informations contradictoires depuis dix-huit mois [et la tenue de commissions ad hoc, NDLR]. » Et d'ajouter : « Nous avons toujours été en faveur d'un texte national. » Quoi qu'il en soit, l'histoire n'est pas terminée et des clauses de revoyure sont prévues. La question des colonnes sèches, ces canalisations vides qui doivent permettre aux pompiers de se raccorder à une source d'eau pressurisée par l'intérieur des bâtiments, est déjà à l'ordre du jour des prochaines discussions.
Petit précis contre les flammes
Solutions d'effet équivalent (SEE) : ce dispositif permet de justifier de l'atteinte des mêmes objectifs que ceux prescrits par la réglementation pour des composants ou une partie d'ouvrage (un bardage, un plancher, un isolant particulier…). Les solutions d'effet équivalent devront être attestées par un organisme tiers indépendant (OTI). Les OTI accrédités ne seront connus que fin 2025 lors de la publication des arrêtés relatifs aux SEE.
Ingénierie de la sécurité incendie (ISI) : cette démarche évalue les performances d'une solution constructive dans le but d'atteindre un objectif de sécurité défini : évacuation des personnes en sécurité, intervention des services de secours, stabilité au feu des structures, protection des tiers et de l'environnement… Elle concerne l'ensemble de l'ouvrage, contrairement aux SEE.
L'ISI utilise des appréciations de laboratoire (APL) délivrées par Efectis, le CSTB, le Cerib pour la résistance au feu ainsi que par le FCBA et le LNE également pour la réaction au feu. Ces organismes pourraient certifier les SEE à l'avenir.
Bâtiment à structure primaire combustible autorisée (BSPCA) : ce nouveau concept fait émerger une classification des bâtiments en fonction de la quantité de matériaux combustibles en structure. Au-delà d'une certaine quantité et d'une certaine taille d'ouvrage à définir, la présence d'une borne à incendie devra être assurée dès le chantier.
Défense extérieure contre l'incendie (Deci) : il s'agit de l'ensemble des aménagements fixes, publics ou privés, susceptibles d'être employés pour alimenter en eau les moyens de lutte contre l'incendie. Ces points d'eau doivent être entretenus régulièrement.