La mission sur la sécurité des ponts en France a rendu ses conclusions le 27 juin 2019, après huit mois de travail. Pendant cette période, les sénateurs ont auditionné une cinquantaine de personnes et recueilli près de 1200 contributions de collectivités. « Le constat que nous formulons à l’issue de ces travaux est révélateur d’une situation pour le moins préoccupante », a déploré Hervé Maurey, son président et sénateur de l’Eure.
Les témoignages montrent en effet que sur 200 000 à 250 000 ponts présents en France, 25 000 seraient dans un « mauvais état structurel » et présenteraient « des problèmes de sécurité et de disponibilité pour leurs usagers ». Ce parc serait vieillissant, un quart des ouvrages ayant été construits avant les années 60 et entrant « en fin de vie ».
Béton précontraint et buses métalliques
Parmi les ouvrages les plus à risques, le rapport pointe en particulier les ponts en béton précontraint construits avant 1975, ainsi que les buses métalliques. Le cas du pont de Gennevilliers, un mur en terre armée de première génération construit en 1976, a également été cité. « Ce cas est l’un des plus parlants, d’autant plus que l’inspection réalisée n’a pas permis de voir le vieillissement de cet ouvrage », a commenté Michel Dagbert, rapporteur du texte, et sénateur du Pas-de-Calais.
Les ponts gérés par l’Etat ne sont toutefois pas les seuls à connaître des problèmes structurels. C’est aussi le cas des ouvrages d’art gérés par les collectivités, « leur nombre exact en France n’étant pas connu », s’alarme le rapport. A l’heure actuelle, constatent les sénateurs, « il n’existe en effet pas de recensement exhaustif des ponts gérés par les collectivités territoriales ». Les données sont actuellement trop éparses et partielles.
Solutions techniques
Une faille que veulent combler les élus, en proposant de créer un système d’information géographique (SIG) national. Ce système devrait permettre aux gestionnaires de conserver leurs documents relatifs à la gestion des ponts dans une base de données commune, ce qui pourrait être une véritable révolution. Un référentiel technique destiné aux collectivités, calqué sur celui qu’utilisent déjà les experts de l’Etat, est en outre proposé. Mais celui-ci serait fortement simplifié, « le référentiel actuel étant trop compliqué à utiliser pour une collectivité ».
Les sénateurs ont également retenu la proposition du Strres, qui prônait la mise en place d’un carnet d’entretien des ouvrages d’art dans les collectivités. « C’est une très bonne chose, dont je me réjouis. Un premier diagnostic est indispensable. Tant que nous n’aurons pas fait ce travail, nous ne pourrons pas évaluer le coût de ce qui doit être réparé en France » a commenté Christian Tridon, son président.
Renforcer l’offre d’ingénierie
Toujours pour venir en appui des collectivités, la mission propose de renforcer l’offre d’ingénierie destinée à ces dernières. Depuis la disparition des Direction départementales de l’équipement (DDE) il y a une vingtaine d’années, cette offre s’est en effet de plus en plus réduite. Chiffre révélateur, seulement 6% de l’activité du Centre d'études et d'expertise sur les risques, le Cerema serait orientée vers les collectivités.
Cette nouvelle offre pourrait ainsi se concrétiser au travers de la nouvelle Agence de cohésion des territoires (ANCT). Les moyens du Cerema seraient en outre davantage mobilisés, et ce malgré le fait que les dotations de l’organisme public étaient en baisse ces dernières années. Les sénateurs proposent également de « gérer les ponts au niveau départemental ou intercommunal », via un conventionnement, ce qui permettrait de créer une expertise technique locale disponible sur place. Et de faciliter le cofinancement d'un certain nombre de travaux.
Un plan Marshall en deux volets
Comme souvent, toute intention ne saurait se concrétiser sans argent. Pour renverser véritablement la vapeur dans les dix ans, mes sénateurs estiment ainsi qu’il faudra considérablement augmenter les moyens consacrés aux ouvrages d’art. C’est même une « priorité » indique Patrick Chaize, rapporteur de la mission, qui évoque la mise en place d’un « plan Marshall ».
Les membres de la mission sénatoriale jugent nécessaire de multiplier par deux l’enveloppe que l’Etat mobilise pour l’entretien de ses propres ouvrages d’art, pour qu’elle atteigne 120M€ dès 2020. Bien plus que ce qui est prévu dans le volet programmation de la LOM telle que votée en première lecture il y a quelques semaines, puisqu’il prévoit de la monter à hauteur de 74M€. Mais sans cela, impossible d’améliorer significativement l’état des ouvrages, commente Michel Dagbert.
1,3 Md€ sur dix ans pour soutenir les collectivités locales
Deuxième volet de ce plan : la création d’un fonds d’aide aux collectivités locales. « Un grand nombre de territoires sont dans l’incapacité d’assurer l’entretien de leurs ponts. Sans aides financières, ils continueront à se dégrader », décrit Patrick Chaize, rapporteur de la mission. Les sénateurs proposent de mettre à disposition une enveloppe de 130 millions par an, sur dix ans, dans ce fonds.
Pour cela, « nous pouvons saisir une opportunité budgétaire, estime Hervé Maurey, président de la mission et de la commission développement durable. Il existe un fonds destiné à la mise en sécurité des tunnels, qui arrive à échéance en 2021. Nous souhaitons que ce robinet ne soit pas fermé, mais qu’il soit fléché ensuite vers les ouvrages d’art. Nous devons sortir de la logique qui nous fait trop souvent agir après une catastrophe ». Cette enveloppe aurait deux objectifs selon Patrick Chaize : « permettre de procéder au diagnostic de l’ensemble des ponts des petites communes et intercommunalités sous cinq ans. Mais aussi les aider financièrement dans les travaux de réparation ou de reconstruction ».
Des mesures incitatives
Malgré le caractère d’urgence, les sénateurs ne souhaitent cependant pas « contraindre » les collectivités locales. « Oui, il faut compter au moins 5000 euros par pont pour faire le diagnostic. Oui, il faut le faire. Mais nous préférons être dans l’incitation que dans l’obligation », argumente Hervé Maurey. Comment ? En proposant notamment d’intégrer les dépenses d’entretien courant dans la section investissement de leur budget, et non plus de fonctionnement, pendant dix ans. « Ce qui permettrait de récupérer la TVA sur les travaux de maintenance (via le FCTVA, NDLR) », souligne Patrick Chaize.
« Ce serait une proposition vertueuse pour donner un coup d’accélérateur tout en étant plus digeste pour les gestionnaires », complète Michel Dagbert. Sans compter que les sommes allouées échapperaient, dans le même temps, « au plafonnement d’augmentation des dépenses de fonctionnement de 1,2% pour les départements et collectivités soumis à la contractualisation avec l’Etat », ajoute Hervé Maurey. Le but étant de « sortir d’une culture de l’urgence au profit d’une gestion patrimoniale ».