Des gisements invisibles peuvent contribuer à relever le défi quantitatif de l’eau. Associé à la plupart des groupes de travail qui ont préparé le plan Eau en voie d’arbitrage au gouvernement, FranceNature Environnement attire l’attention des pouvoirs publics sur les 800 000 plans d’eau répartis dans l’Hexagone, et souvent sous-utilisés.
Des plans d’eau mal connus
L’inventaire national en cours permettra d’optimiser l’utilisation de cette ressource, en particulier les plans d’eau de moins de 10 000 m2. Soumis au régime de la déclaration préalable, moins contraignante que l’autorisation préalable, ces petits étangs cumulent un volume important et échappent souvent aux radars administratifs.
« La publication des données permettra d’objectiver de multiples conflits générés par le partage de la ressource », pronostique Alexis Guilpart, animateur du réseau Eau et milieu aquatique à France Nature Environnement (FNE).
Levier réglementaire
Autre levier peu onéreux et prometteur : un « règlement type » à intégrer aux plans locaux d’urbanisme pour protéger les zones humides. « Déjà évoqué lors des assises de l’eau, cet outil règlementaire peut facilement se mettre en place », estime Alexis Guilpart. France Nature Environnement espère que le plan Eau supprimera les seuils, afin d’aboutir à une protection des zones humides « dès le premier m2 ».
Sur les ouvrages de génie civil désignés comme des « techno-solutions », la fédération porte une analyse circonspecte, mais sans dogmatisme : le « cas par cas » préside à son approche. Certes, en 2021, FNE a refusé de participer au Varenne de l’eau, considérant que le lobby de l’agriculture profiterait de cette procédure pour renforcer les capacités de stockage, au détriment de pratiques plus économes et au mépris de la feuille de route tracée deux ans plus tôt par les assises de l’eau.
Priorité à la sobriété
« Les surfaces agricoles irriguées ont déjà progressé de 14 % entre 2010 et 2020. Chaque sécheresse provoque de nouvelles demandes de forage, alors que la sobriété s’impose pour tous », argumente le porte-parole de la fédération.
Pour autant, cette dernière ne ferme pas absolument la porte à « des prélèvements réduits au maximum, soit par la construction de nouveaux ouvrages, soit par la meilleure utilisation des plans d’eau existants ». Encore faut-il que le maintien d'une agriculture sobre en dépende.
Au rang des technosolutions qui appellent des appréciations au cas par cas, FNE range également les relèvements de nappe. « Certains contextes peuvent y pousser. Mais là encore, la sobriété doit primer sur les autres considérations, au regard des coûts de pompage, d’alimentation, de maintenance et d’investissement notamment dans des voies d’accès », plaide Alexis Guilpart.
Eaux usées : privilégier les littoraux
FNE regarde avec la même prudence le potentiel de réemploi des eaux usées (Re-use), surestimé à ses yeux à partir de comparaisons fallacieuses : « Les systèmes d’assainissement espagnols et italiens diffèrent du nôtre. Nos stations d’épuration ne sont pas forcément candidates au Re-use », estime l’organisation.
Qui payerait le Re-use à la française ? « L’agriculture préférera économiser l’eau, plutôt que de payer le prix réel des eaux usées traitées. Il faudrait donc trouver de nouveaux clients », avertit Alexis Guilpart. Cette objection s’ajoute aux conflits d’usage : l’eau rejetée par les stations d’épuration apporte une contribution vitale au soutien des débits fluviaux, comme l’illustre la Seine en aval du site d’Achères qui traite les effluents franciliens.
Selon FNE, le marché français du Re-use se concentrerait aux abords des littoraux, où l’exploitation de la ressource ne souffrirait pas de concurrence.
Attention aux silos !
Au chapitre financier, le financement de la biodiversité par les agences de l’eau ne choque pas la fédération, au contraire : la désimperméabilisation profite à la biodiversité autant qu’à la préservation de la ressource. « Attention aux silos ! », prévient Alexis Guilpart.
Ce qui ne l’empêche pas de contribuer au débat sur une redevance biodiversité : « On est passé d’un modèle où l’eau paye l’eau à un système où l’eau paye l’eau et la biodiversité. Demain, l’eau et la biodiversité payeront l’eau et la biodiversité », espère-t-il, conformément aux objectifs qui président à la réforme en instance du système de redevances prélevées par les agences de l’eau (voir encadré ci-dessous).
Halte aux plafonds mordants !
A l’unisson du président du comité national de l’eau, FNE concentre son argumentaire financier sur la fin des « plafonds mordants ». Depuis 2018, l’Etat utilise cette technique pour raboter les recettes des agences de l’eau au profit du budget général.
Dans sa hiérarchie des priorités de la planification de l’eau, FNE se distingue par la place centrale accordée aux Solutions fondées sur la nature (SNF). « Trop souvent, elles apparaissent comme une des solutions parmi d’autres, par exemple à côté du Re-use. Cette présentation méconnait la multiplicité des bénéfices induits », déplore Alexis Guilpart.
Le syndrome du casque de chantier
Les restaurations ou protections de zones humides contribuent à stocker l’eau, à prévenir les inondations, à atténuer les pics de chaleur, à préserver la biodiversité et le cadre de vie des humains. Mais face aux technosolutions, les SFN souffrent d’un handicap : elles se voient moins bien.
Pour désigner le mal auquel les maîtres d’ouvrage de l’eau doivent faire face, FNE évoque « le syndrome du casque de chantier ». Autrement dit, la propension de l’élu local à se montrer, en fin de mandat, sur un ouvrage en dur dont sa collectivité a financé la construction. L’expression révèle les ressorts culturels de la planification écologique, qui questionne les rapports de domination entre les humains et la nature, symbolisés par le casque de chantier!