Faits
Le bénéficiaire d'une servitude de passage a engagé à l'encontre de son voisin, propriétaire du fonds servant, une action visant à la démolition de la maison qu'il avait fait construire, au motif que celle-ci empiétait sur l'assiette de la servitude. La cour d'appel de Dijon accueille favorablement la demande de démolition de la construction considérant que, du fait de l'empiétement, le passage est réduit de moitié à hauteur du garage et qu'un déplacement de l'assiette de la servitude ne peut être imposé au propriétaire du fonds dominant que dans les conditions prévues à l'article 701, dernier alinéa, du Code civil. Le propriétaire du fonds servant se pourvoit en cassation considérant que la cour d'appel aurait dû s'assurer de la proportionnalité de la mesure au regard du droit au respect du domicile.
Question
Le juge saisi d'une demande de démolition résultant d'un empiétement doit-il l'ordonner systématiquement ou doit-il veiller à la proportionnalité de la mesure prononcée notamment au regard de l'ingérence possible dans le droit au respect du domicile protégé par l'article 8 de la Convention des droits de l'homme ?
Décision
La Cour de cassation, le 19 décembre 2019 censure l'arrêt de la cour d'appel estimant que cette dernière n'a pas donné de base légale à sa décision en ne recherchant pas si la mesure de démolition ordonnée n'était pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile des propriétaires des parcelles cadastrées grevées de la servitude de passage.
Commentaire
D'ordinaire, la Cour de cassation veille strictement au respect du droit de propriété et sanctionne, par la démolition, tout empiétement qui y contreviendrait, comme par exemple dans la décision rendue le 21 décembre 2017 (n° 16-25.406). Cette solution a particulièrement été critiquée. Il n'était d'ailleurs pas certain que cette rigueur subsiste notamment au regard de l'article 1241 du projet de réforme de la responsabilité civile mais également de l'article 539 de l'avant-projet de réforme du droit des biens qui disposait « le propriétaire victime d'un empiétement non intentionnel sur son fonds, ne peut, si celui-ci est inférieur à 0,30 mètre, en exiger la suppression que dans le délai de deux ans de la connaissance de celui-ci sans pouvoir agir plus de 10 ans après l'achèvement des travaux ».
Dans cet arrêt, la Cour de cassation s'inscrit pour la première fois dans la voie de la proportionnalité, qui a été apprécié spécifiquement au regard du droit au respect de la vie privée. Néanmoins, une volonté d'infléchissement est marquée, qui reste toutefois à confirmer.