Comment RTE va investir 100 Mds€ dans son réseau d’ici 2040

Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité va déployer durant quinze ans un plan visant à rénover, renforcer et adapter 40 000 kilomètres de lignes à haute tension.

Ligne à haute tension
Le plan à 2040 de RTE porte sur le renouvellement de ses infrastructures, le raccordement de nouvelles unités de production et de consommation et le renforcement du réseau.

RTE a présenté jeudi 13 février son plan d’investissement dans le réseau de transport d’électricité à 2040, un effort considérable de près de 100 milliards d’euros sur quinze ans comparable à ceux qui ont été consentis lors de la phase de développement du réseau après la Seconde Guerre mondiale et au moment de la construction du parc nucléaire entre 1970 et 1990. « Nous planifions aujourd’hui une troisième phase qui doit nous préparer à ce que l’électricité devienne la source d’énergie majoritaire dans le mix français à l’horizon 2050 », explique le président du directoire de RTE, Xavier Piechaczyk.

23 500 km de lignes renouvelées en 2040

Principal programme industriel de ce schéma décennal de développement du réseau (SDDR) : le renouvellement. « Aujourd’hui, 65 000 pylônes ont entre 70 et 105 ans et en 2030, les lignes construites après la seconde guerre mondiale auront plus de 80 ans », souligne Chloé Latour, directrice stratégie et régulation de RTE. D’ici 2040, un quart du réseau aérien, soit 23 500 km de lignes et 85 000 pylônes, sera renouvelé avec l’objectif d’adapter 80 % des infrastructures au changement climatique et d’atteindre 100 % en 2060. « Aujourd’hui, un tiers des lignes aériennes est exposé aux fortes chaleurs, constate Chloé Latour. Il faut éviter que les câbles ne se rapprochent du sol et causent des incendies, comme en Californie ».

Crues centennales

La solution est simple : remplacer les câbles existants par des technologies plus résistantes à la chaleur et les relever. La mise à l’abri des 24 % de postes électriques susceptibles d’être inondés en cas de crues centennales futures procède plus du cas par cas avec des surélévations ou l’installation de portes étanches. « Mais surtout, il faut penser système, estime Chloé Latour. Pour ce qui relève de RTE, c’est le réseau 400 000 volts qui doit être adapté en priorité car c’est celui qui conditionne l’alimentation des autres niveaux de tension ». Un chantier évalué à 24 mds€ sur quinze ans pour lequel le gestionnaire de réseau donnera la priorité aux infrastructures les plus anciennes et les plus exposées au changement climatique. « La moitié des lignes qui seront renouvelées d’ici 2030 sont situées en Centre-Val-de-Loire, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie », indique la directrice stratégie et régulation.

Un volume de raccordement sans précédent

Autre axe majeur du programme de développement de RTE avec 53 mds€ : le raccordement au réseau des consommateurs d’électricité (industrie, hydrogène, numérique et data centers) et des producteurs (éolien offshore, nouveau nucléaire). « C’est un enjeu de planification temporelle, spatiale et industrielle qui va porter sur un volume sans précédent dans l’histoire de RTE », souligne Thomas Veyrenc, directeur général en charge de l’économie, de la stratégie et des finances. En tête des priorités : les sites industrialo-portuaires de Dunkerque, Le Havre et Fos-sur-Mer. « Nous y avons lancé des projets de renforcement qui combinent la très haute tension avec des lignes et des postes et nous voulons achever ces travaux en 2028-2029 », indique Thomas Veyrenc. Viennent ensuite sept zones de développement économique (Saint-Avold, Sud Alsace, Vallée de la chimie, Plan-de-campagne, Loire-Estuaire, Sud Ile-de-France, Valenciennes) dans lesquelles des études sont en cours et où les travaux seront lancés si le niveau d’engagement des industriels est confirmé. Et sept autres zones ont été suggérées lors de la consultation publique sur le projet en 2024.

21 GW demandés, 1 GW en travaux

A ce jour, 140 projets ont demandé et obtenu des droits d’accès au réseau pour 21 GW, soit le double de la consommation de l’industrie actuellement raccordée. « Il y a beaucoup de projets mais nombre d’entre eux ne concrétisent pas ou pas encore leur connexion au réseau : à date, la traduction de ces 21 GW en travaux de raccordement est un peu supérieure à 1 GW. De plus, une fois raccordés, ces projets n’utilisent pas toute leur puissance », relève Thomas Veyrenc qui souligne l’asymétrie du système : « RTE attribue des droits et les utilisateurs choisissent de les activer ou pas, mais pour nous, selon que ces 21 GW vont devenir 15, 10 ou 5, le programme industriel de raccordement n’est pas le même ». Le gestionnaire a même repéré des situations de spéculation dans lesquelles les détenteurs d’un droit de raccordement tentent de monnayer celui-ci et veut donc modifier le cadre réglementaire qui obéit aujourd’hui à une logique de « premier arrivé, premier servi ».

L'éolien, un défi de très grande envergure

Du côté de la production, la construction prévue de six nouveaux réacteurs EPR sur les centrales existantes de Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord) et Bugey (Ain) nécessitera un renforcement des lignes. Quant au raccordement des futurs parcs éoliens en mer (45 GW en 2050), c’est « un défi industriel de très grande envergure », selon RTE. « Nous sommes face à un enjeu de passage à l’échelle avec des parcs plus grands, plus éloignés des côtes et donc des raccordements plus coûteux », estime Thomas Veyrenc. Le gestionnaire de réseau veut raccorder au minimum deux parcs par an et veillera surtout à leur cadencement. « Pour ne pas avoir à raccorder un parc une année, aucun l’année suivante et trois parcs celle d’après, notre programme comprend une exigence de lissage, ce qui implique que la mise en service des parcs intègre ce principe », explique le responsable. 

RTE veut inciter à l’implantation en France d’une usine de production de câbles sous-marins. « La France n’en produit pas, or il y a une tension sur ces matériels partout en Europe en un besoin de nouvelles capacités », alerte Thomas Veyrenc, directeur général en charge de l’économie, de la stratégie et des finances au sein du gestionnaire de réseau. « Nous souhaitons donc que nos marchés incitent à localiser une nouvelle installation de production et à le faire en France. Nous avons engagé des discussions concrètes avec des câbliers et il y a un intérêt sur lequel nous allons travailler au cours des prochains mois ». Identifier les conditions et leviers associés à la création d’une telle usine est une priorité du gestionnaire de réseau pour 2025.

Renforcement

Dernier enjeu : le renforcement du réseau pour limiter les congestions, ces embouteillages d’électrons très coûteux qui, autrement, pourraient s’accroître avec l’augmentation des flux d’électricité. La gestion de la congestion a coûté 100 M€ en 2024, un montant qui se répercute directement sur les consommateurs. Sans renforcement du réseau, il pourrait atteindre 3 mds€/an en 2035. Dans ce volet du SDDR à 16,5 mds€, RTE mise sur la transformation ou le doublement des lignes existantes, une stratégie qui permet d’éviter la construction de 30 % de lignes aériennes supplémentaires. « Les nouvelles lignes très haute tension en dehors des tracés existants seront donc l’exception », insiste RTE. Premiers axes concernés par des créations : le Massif central, avec une mise en service en 2030, et la liaison Normandie-Picardie.

3 questions à : Yannick Saint Roch, directeur général du Serce

Pouvez-vous déjà mesurer l’impact que ce SDDR aura sur l’activité de vos entreprises ?

Nous n'avons pas encore une vision précise de ce que ces annonces d’investissements vont représenter en termes d’activité pour nos entreprises. Ce qui est certain c’est que l’on change de dimension par rapport aux dernières années. Avec ce plan de RTE de 100 Mds€ mais aussi celui d’Enedis, 96 Mds€, les réseaux sont enfin totalement pris en considération par les pouvoirs publics dans le rôle qu’ils ont à jouer pour la décarbonation. C’est très important pour nous. Et nous pensons que les montants d’investissements qui sont annoncés tant par RTE que par Enedis sont cohérents avec les besoins de décarbonation et d'électrification qui sont prévus.
Maintenant, si on veut faire une estimation « au doigt mouillé » : sur les 100 Mds €, et pour la part externalisée, près de la moitié sera dédiée aux travaux en eux-mêmes, le reste concernant le matériel. Après, les montants varient selon la nature des travaux : selon que vous faîtes du raccordement ou de l’installation de ligne, le poids du matériel sera plus ou moins important.

Sur les chantiers réseaux, est-ce que les entreprises du Serce sont armées en termes de main d'œuvre, de compétences et de matériel ?

Si effectivement tous les investissements que l’on nous annonce - les projets d’EDF sur le nucléaire (parcs existants, parcs nouveaux), les projets d'Enedis, les projets de RTE, de la SNCF sur le ferroviaire etc… - se font en même temps, il y aura un goulot d’étranglement et ce sera difficile. Maintenant, on peut raisonnablement estimer que tout ne se fera pas en même temps et surtout pas forcément sur la durée initialement prévue (je pense au nucléaire ou au ferroviaire), même si RTE a plutôt tendance à tenir ses délais. Si on pondère avec ces deux données-là, la difficulté sera un peu moindre. Du côté des compétences maintenant, il y a des métiers pour lesquels il risque d’y avoir une pénurie. Le métier de « lignard » et le métier de monteur réseau de ligne aérienne, sont en l’état sous dimensionnés : les professionnels vieillissent, ont été peu remplacés et on ne possède pas forcément les outils de formation adéquats qui vont permettre de les remplacer facilement. Pour la simple raison qu’il s’est construit très peu de lignes ces dernières décennies. Le réseau, certes bien entretenu, a 70 ans maintenant. Des besoins en recrutements supplémentaires ont par ailleurs été identifiés. Nous avons des discussions poussées avec RTE et Enedis et nous travaillons avec eux dans un projet d’Ecole des réseaux pour et de la transition énergétique. Nous avons collectivement obtenu un financement pour faire l'étude des besoins de recrutement. Cette étude est finalisée et elle sera rendue publique prochainement. Mais les besoins sont estimés à près de 10 000 recrutements par an dont une grande partie pourrait concerner les entreprises du Serce. Nous travaillons déjà sur le sujet et nos adhérents en ont déjà la préoccupation quotidienne.

A quels types d’appels d’offres peut-on s’attendre ?

Depuis quelques années, les appels d’offres de RTE sont mutualisés. Cela donne de la visibilité. C’est une politique d'offre plutôt que de demande avec des zones pré-identifiées. La deuxième chose positive c'est la pluriannualisation de ces appels d'offres. Dans cette évolution sur la durée des marchés il y a un énorme sujet sur le raccordement, qui est une vraie problématique particulièrement chez RTE, notamment pour la question de la disponibilité du matériel. RTE est passé à des appels d’offres en 5+3, c’est à dire 8 ans, là où il travaillait plutôt sur du 3+2. Donc cette visibilité-là est importante, encore plus pour les industriels que pour nos entreprises. Mais Il est essentiel pour faire face à l’afflux de travaux de savoir où et quand ils vont se dérouler.

Propos recueillis par Adrien Pouthier

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