RT 2012 : "ce n'est pas une question de technologie, mais de culture de l'art de bâtir"

Pour Guy Archambault, journaliste indépendant spécialisé en éco-construction et environnement, la prochaine réglementation thermique annoncée pour 2012 (en fait le 1er janvier 2013) constitue en soi une petite révolution à plus d'un titre.

Image d'illustration de l'article
Maison "Eclipse", candidate au Solar Decathlon européen

Cette prochaine réglementation sera fondée sur le référentiel du label BBC actuel, porté par l'association Effinergie, laquelle regroupe un certain nombre d'institutionnels, et surtout la quasi-totalité des régions de France et quelques collectivités territoriales. À souligner que le nombre d'opérations labellisées commence à être significatif (voir encadré), en l'absence de toute obligation réglementaire. C'est déjà en soi une petite "révolution". Cela signifie que les collectivités territoriales, et un certain nombre d'acteurs du bâtiment, ont compris les enjeux auxquels nous devons faire face, et se sont mis "en ordre de marche", malgré les atermoiements de certains lobbies, et du microcosme politique parisien. Cela dénote une réelle évolution, peut-être le signe du déplacement du siège du pouvoir pour un certain nombre de questions. Une raison au moins pour que les régions s'investissent sur ce sujet. Un autre sujet d'études intéressant au demeurant.

Que dit le référentiel ? Il fixe des règles de performances, mais la grande nouveauté, par rapport à toutes les autres réglementations que nous avons connues, c'est que ces performances doivent être attestées. La question de savoir quel acteur portera la responsabilité de cette performance n'est pas encore tranchée. Sera-ce l'architecte ou le maître d'ouvrage ? Il faudra attendre la loi (Grenelle II) et ses décrets d'application pour avoir la réponse. Pour l'instant, les intérêts étant liés, chacun assume une part de cette responsabilité à travers les contrats d'engagements sur le projet, pour obtenir la certification. Mais en tout état de cause, il serait logique que ce soit la maîtrise d'ouvrage qui assume ses choix, à travers la responsabilité de la performance, le lien contractuel permettant d'engager les autres acteurs. Le débat est ouvert.

Autres nouveautés, il fixe une performance globale pour le bâtiment considéré, et une performance de perméabilité à l'air de l'enveloppe, elle aussi mesurée et attestée.

Ce sont ces dispositions qui bouleversent véritablement tout le processus de construction. En effet, pour atteindre une performance globale, chaque acteur porte une part de responsabilité en termes de "faire". Il n'est plus question que chaque corps d'état continue, comme aujourd'hui, à travailler seul, l'un après l'autre, sans se préoccuper de ce que font les autres. On pense évidemment aux entreprises. Mais, en fait, celles-ci ne constituent qu'un maillon de la chaîne.

Une chaîne solidaire

Pour réussir un projet labellisable, il est absolument nécessaire que l'ensemble des acteurs, depuis les décisionnaires en matière d'aménagement du territoire, jusqu'à l'occupant, soit mobilisé, responsabilisé, mais avant tout informé, voire formé.

Si les décisions en matière d'urbanisme ne tiennent pas compte des objectifs, on peut se retrouver dans l'impossibilité de les atteindre. En l'absence d'espaces verts, cela peut compliquer singulièrement la tâche du thermicien pour se passer d'un système de climatisation, par exemple (sur-ventilation nocturne). On a vu des projets où l'ombre portée d'autres bâtiments privait de la possibilité de mettre en œuvre des capteurs solaires.

Pour la maîtrise d'œuvre, il faudra réaliser des plans d'exécution très détaillés, afin par exemple de rationaliser le passage des réseaux au travers de certaines parois, par ailleurs étanches à l'air.

Les entreprises, pour leur part, devront se concerter avant d'engager les travaux, afin d'harmoniser leurs interventions. Il sera sans doute nécessaire de désigner un "pilote", là où ce n'est pas nécessaire aujourd'hui, afin de coordonner les actions.

Enfin, et ce n'est pas la moindre des choses, les occupants devront être sensibilisés, et des séances de formation à l'utilisation des équipements spécifiques et du logement devront être organisées.

Dans ce concert, il ne faut pas oublier les fabricants d'équipements et de composants, qui devront s'adapter à cette nouvelle forme de marché. Plus question de mettre sur le marché une chaudière par exemple, sans assurer un suivi auprès des entreprises (formation, assistance chantier pour les réglages et équilibrage des installations), et peut-être même participer aux séances de sensibilisation des occupants. La conformité des équipements aux normes ne sera plus suffisante.

Inutile de préciser que la formation s'impose à tous. Il faudra se répartir les tâches, entre institutionnels.

Un nouveau modèle économique

Les plus perspicaces appellent de leurs vœux une évolution des modèles économiques de longue date. C'est désormais incontournable. Ces bouleversements entraînent des transferts de charges, qu'il va falloir prendre en compte. Mais c'est également l'organisation même des marchés qui se trouve bouleversée. Ceux-ci, en grande partie, sont organisés par rapport à l'offre, il faut désormais s'organiser en fonction de la demande. Il ne s'agit plus de se fonder sur une obligation de moyens, mais de résultats. La mutation a été amorcée depuis quelques années (notamment avec la directive "produits de construction"), elle doit désormais être la règle.

C'est au niveau économique que cela devra évoluer. Récompenser la vertu, c'est améliorer la structure des prix de telle façon que le "bon" ne soit pas pénalisé par rapport au "tout venant", que les ressources locales soient privilégiées.

On voit bien que le modèle économique fondé sur le seul investissement, dans un tel contexte, devient caduc. Et si on imagine un calcul en coût global in fine, à l'aval du projet, solution très souvent avancée, comment le fabricant de composant en amont va-t-il pouvoir préserver ses capacités d'innovation et ses marges, lui dont les modes de calcul n'incluent pas la vie du produit ?

Enfin, il faut impérativement intégrer des mesures sociales. En effet, un haut niveau de performances suppose une utilisation raisonnée du bâtiment, une parfaite appropriation par l'occupant. Cela aussi a un coût.

Une approche de solution passe donc par la mise en place d'un nouveau modèle économique, composé à partir des principes de l'économie circulaire (recyclage et remploi), prônée dans le préambule du Grenelle, et ceux de l'économie quaternaire, où le produit devient service.

"Il faudra donc qu'ils [les consommateurs] réalisent progressivement que la propriété des biens n'est plus nécessaire lorsqu'on a dépassé un certain niveau de développement et qu'il faut savoir entourer la satisfaction de ces biens par des services diversifiés que l'on aura à payer de plus en plus cher" (Michèle Debonneuil, "L'espoir économique", Bourin éditeur 2008).

De nouveaux modes constructifs

Ces dispositions contribuent immanquablement à une sérieuse amélioration de la qualité (réduisant les charges liées à la non-qualité, et donc l'écart de prix entre la construction aujourd'hui et les bâtiments BBC). Mais la barre est haute en matière de performances. Il faudra sans doute repenser le chantier, et réduire les activités foraines au profit d'une forme de préfabrication adaptée. Cela permettra d'améliorer la performance des composants, de réduire les nuisances de chantier, et maîtriser le cycle de l'eau et des déchets en phase de construction. Les acteurs devront se resituer dans ce contexte.

On voit bien, à travers ce rapide tour d'horizon, que ce n'est pas une question de technologie, mais bien de culture de l'art de bâtir qui est en cause. Les relations entre acteurs devront être reconsidérées, certaines réglementations refondues. Quid de certaines dispositions du Code des marchés publics par exemple ? On entre bien dans une ère nouvelle, plus solidaire, où le bâtiment devient, au sens le plus profond, une œuvre collective, sans exclusion. Et chacun y retrouvera son compte, mais autrement. Il faut désormais se faire à l'idée que les temps changent, la société évolue, et avec elle, les attentes et les besoins de la population, la conscience s'éveille aux enjeux globaux. Le monde de la construction ne peut plus l'ignorer. Il ne s'agit pas de faire mieux, il va falloir dorénavant faire autrement.

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