Retour d'expérience des opérateurs du bâtiment : les facteurs clés de succès d'un CPE

Après 10 ans de pratique, les opérateurs du bâtiment peuvent identifier les facteurs clés de succès dans la passation et l'exécution d'un CPE, ainsi que ses écueils, du point de vue des constructeurs. Un dossier de consultation des entreprises précisant des objectifs clairs et précis, un mandataire tournant ou encore un plan de mesure et vérification précis sont des atouts pour la réussite du projet. Retour d'expérience du syndicat national des entreprises générales françaises de bâtiment et de travaux publics (EGF BTP).

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La transition énergétique dans le secteur de la construction et de la rénovation représente un défi majeur pour les maîtres d'ouvrage, tant publics que privés, mais aussi pour les entreprises de construction. Lancé il y a plus de 10 ans, le contrat de performance énergétique (CPE) s'est présenté comme une solution prometteuse pour relever ce défi, en garantissant une amélioration de la performance énergétique des bâtiments. Sur la base d'expériences concrètes, il est désormais possible d'identifier les facteurs clés de succès dans la passation et l'exécution d'un CPE, ainsi que ses écueils, du point de vue des constructeurs.

Un dossier de consultation des entreprises (DCE) aux objectifs clairs et précis

En matière de passation, il est clair que la qualité des diagnostics et des plans communiqués, accompagnés de références de consommation connues et fixées, est impérative. L'ensemble des données nécessaires pour établir un état des lieux de départ précis sur une durée de 2 ou 3 ans doit être fourni dès le démarrage du projet. Les informations précises sur les modes d'utilisation du bâtiment, associés aux consommations (nombre d'usagers, règles d'utilisation suivies, etc.) ainsi que les caractéristiques du bâti sont également nécessaires.

Dans le cas de rénovations en marché global de performance (MGP), cela signifie disposer de toutes les factures de consommation rentrant dans le cadre de l'engagement de performance énergétique (idéalement des trois dernières années, au minimum deux ans), ce qui peut nécessiter la mise en œuvre de compteurs en amont.

Dans les faits, il n'est pourtant pas rare d'observer, en phase consultation, des programmes qui évoluent beaucoup (trop) au fil de leur élaboration, s'accompagnant de demandes complémentaires sans lien réel avec l'objectif de performance énergétique recherché, ce qui peut aboutir à des dérapages budgétaires. Voire pire : l'absence de données sur les engagements fixés par la personne publique qui attend de l'entreprise qu'elle se charge d'établir le diagnostic.

Ces analyses doivent être réalisées par les équipes de l'entité publique. Un constructeur ne sera pas en mesure de répondre avec pertinence à un CPE dans lequel un critère minimal d'engagement est absent. Attention également à s'assurer que les données initiales ne sont pas incohérentes ou incomplètes, ce qui peut fausser l'intérêt du marché global en rendant difficile la comparaison des offres et en faussant la concurrence.

Un assistant à maîtrise d'ouvrage expérimenté apte à travailler en mode projet

Pour un maître d'ouvrage, s'engager dans un CPE signifie s'engager pleinement dans un mode projet avec les compétences internes ou externes que cela requiert. Cette remarque conduit naturellement à souligner l'importance, pour la personne publique, de faire appel à un assistant à maîtrise d'ouvrage (AMO) expérimenté, capable de s'adapter aux propositions techniques du constructeur, et qui ne cherche pas à imposer de nouvelles responsabilités trop lourdes aux entreprises contractantes sans référence au cahier des clauses administratives générales () ou aux normes habituelles.

Même si les entreprises s'adaptent aux organisations de chaque maître d'ouvrage, celui-ci a tout intérêt à laisser au groupement candidat de la latitude dans ses propositions quand le CPE est un marché global de performance : la programmation peut se fonder sur la base d'objectifs de résultats et pas forcément de moyens ; minimiser les prescriptions techniques préalables permet plus d'innovation dans les propositions. Le maître d'ouvrage est quoi qu'il en soit protégé par l'objectif de performance contractuel, à l'inverse d'une simple conception-réalisation.

En contact avec les concurrents, le maître d'ouvrage doit parfaitement connaître le bâtiment à rénover afin d'avoir la possibilité de donner les informations nécessaires pour connaître l'état des lieux précis de départ. Cela implique qu'il ait dès le début missionné le contrôleur technique et le coordinateur de santé et sécurité (SPS) pour analyser avec lui les offres et faire part de leurs observations aux concurrents.

Un mandataire tournant

Un autre facteur clé de réussite mérite d'être souligné : la possibilité de mettre en place un mandataire tournant entre la phase de conception-réalisation et celle de l'exploitation-maintenance dans le groupement.

Il est important de convaincre le maître d'ouvrage du bien-fondé de cette solution. Dans cet objectif, la qualité et la solidité financière du mainteneur sont des éléments essentiels.

Dans le cas où le principe du mandataire tournant est accepté, il est nécessaire de préciser très clairement à quel moment ce changement s'opère. Cela facilitera notamment la purge des responsabilités au sein du groupement au fil de l'exécution, qui se fait généralement à l'issue du constat de parfait achèvement, en général un an après la réception des travaux.

Le transfert de responsabilités s'exerce généralement une fois que le plan de mesure et vérification a démontré que la conception et la construction sont conformes et permettent d'atteindre les performances prédéfinies.

L'expérience montre qu'il est préférable d'ouvrir davantage les compétences exigées dans les candidatures à la sous-traitance pour éviter de constituer des groupements avec de trop nombreux cotraitants. C'est-à-dire : un constructeur, un MOE architecte, un MOE d'ingénierie technique, un exploitant-mainteneur pour les marchés incluant cette prestation et laisser ainsi à cette équipe la sous-traitance des compétences d'économiste, de paysagiste, d'un bureau d'études en charge du « commissionning », d'un bureau d'études développement durable, etc.

Ajoutons, au sujet du bon fonctionnement du groupement, qu'en CPE, la maîtrise d'œuvre doit pouvoir prioriser sa conception dans un objectif de performance énergétique, tout en maintenant une architecture valorisante. Et il est bien plus efficace, pour tous, que le groupement soit en contact avec un seul interlocuteur côté maître d'ouvrage ou mandataire et un seul AMO pour éviter la perte d'informations.

Dialogue compétitif limité à 2 ou 3 tours

Le dialogue compétitif et la négociation sont les plus adaptés des modes de passation possibles car ils autorisent le groupement à proposer des solutions différenciantes pour améliorer les ambitions du projet et offrent un temps d'échange utile sur les ajustements nécessaires du CPE, au regard des éventuelles incohérences programmatiques performancielles demandées initialement. Il convient toutefois de veiller à ne pas multiplier les tours de discussion.

Les entreprises d'EGF plaident clairement pour limiter à deux ou trois tours de dialogue et une procédure qui ne dure pas plus d'une dizaine de mois afin d'éviter l'épuisement des équipes et une focalisation excessive sur la stratégie de prix. D'autant plus que les primes versées apparaissent souvent insuffisantes au regard du temps et de l'investissement qui y est consacré.

Sans être un facteur clé de la réussite du CPE, la prime peut être déterminante au stade de la candidature, lors d'arbitrages ou de la constitution du groupement. Enfin, le maître d'ouvrage doit être en mesure de garantir le secret des affaires pour permettre plus de liberté de proposition de la part du groupement et ouvrir à des variantes ciblées (moyens de production de chaud, systèmes de ventilation, typologie de façade…).

Durée minimale d'exploitation de 6 ans

Pour donner du sens au contrat (cas du MGP) et valoriser l'investissement du mainteneur en phase de préexploitation (coût fixe lié à l'intégration des besoins de maintenance dès la phase de conception), il apparaît nécessaire qu'une durée minimale d'exploitation de 6 ans, voire 8 à 10 ans, soit mise en place dans le contrat pour garantir la qualité de l'investissement et permettre des choix techniques plus durables. Avec cette durée, le maître d'ouvrage a la confirmation, dans le temps, que son projet répond bien aux objectifs de performances.

Dans le cas d'un contrat sans exploitation-maintenance, la durée doit être adaptée au cumul de la durée du développement du projet, c'est-à-dire la phase de conception en tenant compte des délais des autorisations administratives et des délais de la validation des phases de développement APS, APD, PRO par le MOA (qui ne doivent pas dépasser 2 mois) et de la durée de la construction.

Plan de mesure et vérification deux mots d'ordre : simplicité et précision

Par ailleurs, pour que la rénovation énergétique soit efficace, elle doit être la plus large possible. Une rénovation partielle du bâtiment ne permettra pas au groupement de proposer le meilleur équilibre performance-coût pour le projet.

Un ensemble de modifications de l'enveloppe et des systèmes du bâtiment, couplé à un pilotage performant par le mainteneur, assure un meilleur retour sur investissement au maître d'ouvrage.

La qualité et la fiabilité de l'exécution du CPE passent par ailleurs par la simplicité et la précision du Plan de mesure et vérification. La mesure de la performance doit être facile à suivre pour l'ensemble des parties. Trop de contestations et de contentieux trouvent actuellement leurs origines dans un manque de précision des modalités de mesure et de contrôle des performances insérées dans les contrats.

Un contrat é-qui-li-bré !

La mise en œuvre de la garantie doit être proportionnée, juste et équitable entre le maître d'ouvrage et le groupement. Un tunnel de neutralisation et une année blanche paraissent indispensables afin d'éviter une sur-couverture du risque par le groupement. Il est également important que les systèmes de bonus-malus soient équilibrés et valorisent vraiment les surperformances éventuelles.

L'expérience montre, s'agissant des véhicules utilisés pour mettre en œuvre le CPE, que le MGP est le plus adapté et le plus déployé en commande publique car il intègre le concepteur, le réalisateur et le mainteneur et permet de faire porter la responsabilité à un interlocuteur unique (le mandataire).

C'est une vraie garantie pour le maître d'ouvrage d'une réflexion globale efficiente pour son projet. Dans le cadre d'un marché en conception-réalisation, en revanche, les engagements sont uniquement théoriques (labellisations, simulation thermique dynamique, simulation énergétique dynamique), mais ils ont pu démontrer jusqu'à présent leur fiabilité. La conception-réalisation est aussi garante d'un budget maîtrisé lors de la conclusion du contrat. Dans le secteur privé, il y a peu, voire pas de retours d'expérience à ce stade.

Le mainteneur : un sujet crucial

Malgré toutes les précautions exposées, force est de constater qu'il reste difficile de trouver des mainteneurs dès la phase de candidature.

Trop souvent, la complexité réside dans le fait que le mainteneur, responsable du maintien dans le temps de la performance énergétique du bâtiment, n'est pas en lien direct avec le constructeur, rendant la collaboration a priori difficile.

Les mainteneurs peuvent se montrer réticents à s'engager en raison d'études préalables exigeantes, longues et peu rémunératrices. Qui plus est, celles-ci requièrent un investissement initial pour une rémunération différée et potentiellement réduite en cas de non-atteinte des performances énergétiques prévues. Convaincre les énergéticiens de s'associer aux constructeurs peut donc s'avérer ardu, étant donné le risque financier lié aux pénalités potentielles dans un marché complexe. Cela représente un engagement considérable en termes d'énergie et d'investissement pour une rémunération incertaine.

Le chiffre d'affaires des mainteneurs peut s'avérer faible, surtout lorsque la garantie de performance peut être renouvelée pour deux périodes de trois ans. Il est nécessaire de prévoir au moins un an pour l'ajustement des dispositifs performants, laissant ainsi le temps au mainteneur de générer du chiffre d'affaires sans réduire excessivement la durée de son contrat d'exploitation-maintenance.

Comment intensifier les projets de rénovation en CPE ?

Bien que les CPE - MGP en tête - soient de plus en plus utilisés pour leurs qualités évidentes de contractualisation de la performance du projet et la fixation d'objectifs précis, dans le cadre d'un projet global, certaines personnes publiques y restent hostiles.

Plusieurs raisons à ce constat : la première, qui peut surprendre, mais qui est pourtant bien réelle, est due à une méconnaissance du droit de la commande publique. Il n'est pas rare de croiser des maîtres d'ouvrage persuadés que seul l'allotissement est autorisé. Les freins peuvent aussi venir de la volonté de la personne publique de faire travailler les PME locales, ce qui est en fait tout à fait possible et se pratique de façon très générale dans le cadre d'un CPE. Concernant justement l'insertion d'un critère PME dans un CPE, les retours d'expérience révèlent une divergence de points de vue sur son efficacité. Une pondération trop élevée (plus de 10 %) peut éventuellement déstabiliser l'organisation interne d'une entreprise, mais il faut remarquer que dans la grande majorité des cas cette insertion des PME dans le cadre des MGP a donné pleine satisfaction aux entreprises comme aux maîtres d'ouvrage.

Autres freins constatés : le besoin de réorganisation et d'acculturation du suivi de la performance du patrimoine des maîtres d'ouvrage avant de se lancer. Le prix peut également représenter un frein car il y a une nécessité d'un investissement initial souvent important.

Dans les faits, il est amorti par une amélioration immédiate de la performance énergétique et des coûts de consommation, ainsi que par une diminution des coûts d'entretien et une augmentation de la qualité de service.

Mais cela nécessite une vision sur le moyen et long terme et globale. Sur ce point, les entreprises ont incontestablement un rôle de « démonstrateurs » auprès de nombreux maîtres d'ouvrage réticents ou peu au fait de la réalité économique de ces investissements. Des tableaux précis d'amortissement peuvent être des éléments décisionnels forts.

Enfin, certaines maîtrises d'ouvrage se limitent à des CPE « systèmes » qui diminuent automatiquement la portée du CPE.

Côté entreprises, le volume du contrat peut aussi constituer un frein. La complexité des CPE n'est pas adaptée aux marchés globaux de très faible montant, car l'effort humain et temporel requis ne semble pas justifié au vu des nombreuses études préalables que ce contrat demande.

Pour finir, la question des délais de procédure peut représenter un facteur limitant : trop longs, ces délais épuisent les ressources des entreprises qui, de surcroît, ne sont pas toujours correctement indemnisées si le marché n'est pas obtenu. A contrario, les délais de réponse trop courts ne permettent pas aux groupements candidats de présenter des offres suffisamment abouties, débouchant potentiellement sur des contrats mal ficelés, sources de conflits d'interprétation à venir.

Et les marchés publics globaux de performance à paiement différé (MGPE-PD) dans tout ça ?

Les perspectives semblent encourageantes au regard des exigences environnementales portées notamment par le . Le MGPE-PD devrait permettre, en effet, à certains maîtres d'ouvrage d'accéder à des CPE plus ambitieux pour deux raisons :

- Il leur permet d'investir plus à l'instant T tout en lissant dans le temps le paiement des travaux.

- Il leur permet également de massifier les rénovations en développant des programmes multiproduits et multisites, en se reposant sur un seul interlocuteur, y compris pour la performance financière.

Mais il ne faudrait pas qu'il subisse les mêmes a priori que les partenariats public-privé.

La réussite de la passation d'un contrat de performance énergétique (CPE) repose sur plusieurs facteurs clés, notamment la définition précise des objectifs dans le dossier de consultation des entreprises, l'implication d'un assistant à maîtrise d'ouvrage (AMO) expérimenté, la mise en place d'un mandataire tournant entre la phase de conception-réalisation et celle de l'exploitation-maintenance, ainsi que la limitation du dialogue compétitif à deux ou trois tours pour favoriser l'innovation et éviter l'épuisement des équipes.

Pour l'exécution, il est essentiel d'adopter une durée minimale d'exploitation de six ans, de mettre en œuvre un Plan de mesure et vérification simple et précis, et de veiller à l'équilibre du contrat pour garantir une gestion juste des risques et des performances. Ces éléments contribuent à la valorisation de l'investissement et à l'atteinte des objectifs de performance énergétique, tout en minimisant les risques de contentieux.

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